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“L'hydroptère” à l'assaut du Pacifique

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Cinq hommes au pied du mât. Cinq hommes sur le bras de liaison. C’est l’équipage pour les tests. Fixé au flotteur, le foil sert d’aile à « L’Hydroptère ».

Cinq hommes au pied du mât. Cinq hommes sur le bras de liaison. C’est l’équipage pour les tests. Fixé au flotteur, le foil sert d’aile à « L’Hydroptère ».
© Francis Demange
Par Romain Clergeat

A bord de son bateau volant, Alain Thébault s’attaque au record de traversée du plus grand des océan.

Pour boucler le budget, il me manquait 1 -million d’euros. Alors j’ai vendu mon appartement. Mais auparavant, j’ai demandé leur avis à mes trois filles. Comme elles aiment leur papa, qu’elles savent fou et déterminé, elles ont accepté. » -Depuis vingt-cinq ans, personne n’a réussi à infléchir la volonté d’Alain Thébault. Son projet d’« Hydroptère », un simple croquis griffonné sur un coin de table, semblait pourtant le désigner pour l’asile. Ce fut plus qu’un rêve, une obsession. Aujourd’hui, c’est une réalité. Ce Breton doux et fantasque a fini par donner corps à sa lubie. Il a enthousiasmé des polytechniciens, convaincu des ministres, bousculé des patrons trop sûrs d’eux, persuadé des marins qui en avaient pourtant vu d’autre… et regardé dix fois sombrer son projet mais sans jamais lâcher. « Si les -Bretons obstinés pouvaient voler, Thébault serait chef d’escadrille », dit Michel -Desjoyeaux, navigateur de légende. Pour suivre son étoile, il a tout investi et tout perdu. Plusieurs fois. Son argent, ses amours. Deux compagnes sont restées à quai, fatiguées de le voir s’enflammer dès que le mot « Hydroptère » était prononcé. Il a refusé les millions que Serge Dassault lui promettait en échange de sa propre gloire.

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L’audace a été payante. Jean-Luc Lagardère est séduit. Il l’appelle dans la foulée : « Jeune homme, vous avez claqué la porte de Dassault ? Passez donc me voir. » -Thébault en ressortira avec un chèque et l’aide des ingénieurs d’EADS. Il était prêt à soulever des montagnes pour faire voler son engin. En 2009, sa patience enragée est enfin récompensée par le record absolu de vitesse sur l’eau : 50,17 nœuds sur 1 mille nautique. Ça reste « son » record, sa fierté, celle d’un « bac moins 2 sans le sou », comme il aime se présenter. Mais surtout pas une fin, plutôt un commencement.

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L’engin a été imaginé avec Eric Tabarly, ce taiseux qui, pour décrire l’incroyable originalité du monstre, se contentait d’expliquer : « C’est pas comme d’habitude. » Il a été conçu pour battre les records des grandes traversées. « Tout le challenge a consisté à transformer une formule 1 en 4 X 4,
 capable de filer aussi vite tout en supportant les chocs d’une longue -traversée », résume l’inventeur. Pour ce record du Pacifique, Thébault a donc dû, avec les ingénieurs de la DNCS qui accompagne désormais son projet, trouver une solution pour éviter les « arrêts buffet », ces moments où le bateau pique du nez, ralentit brutalement, se cabre et… chavire. C’est arrivé quatre fois. « Heureusement, nous n’avons jamais eu de grosse casse », -rigole-t-il.Si, pour un record de vitesse pure sur une courte distance, il pouvait tirer la quintessence de son engin en prenant des risques calculés, une telle audace n’est plus permise sur une distance océanique où les impondérables sont trop nombreux.

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La différence de pression provoquée par la vitesse de l’eau circulant autour des foils fait décoller « L’Hydroptère »

En configuration « record de vitesse », « L’Hydroptère » embarquait à son bord un ingénieur, dont le seul job consistait à repérer la formation des vagues à l’avant du bateau, de façon à les éviter ou à moduler la vitesse d’attaque en fonction. Pour le record du Pacifique de trois jours et… trois nuits, c’est évidemment impossible. « Alors, nous avons développé une arme secrète, dit Thébault. Un système d’asservissement des gouvernes. Une sorte de compensateur d’assise, chargé de gérer en permanence la stabilité du bateau comme pour les sous-marins lanceurs d’engins. Ces derniers possèdent un système qui maintient en permanence leur stabilité pour leur permettre de tirer avec la précision nécessaire et ce quelles que soient les turbulences. Pour “L’Hydroptère” , le principe sera le même. Comme nous allons “voler” au-dessus des vagues 95 % du temps, il est essentiel que la portance soit parfaite pour que l’engin surfe toujours à la même hauteur au-dessus de l’eau. Mais je reste un paysan du high-tech… J’attends de voir in situ, avant de croire totalement. » Par vent faible, « L’Hydroptère » flottera sur l’eau et se déplacera à la vitesse d’un voilier classique en mode dit « archimédien » (en référence à la poussée d’Archimède). Par vent fort, ses deux ailes, les foils, se déploieront sous le bateau. C’est la différence de pression provoquée par la vitesse de l’eau circulant autour d’elles qui créera une force capable de faire « voler »
« L’Hydroptère ». Six tonnes et demie et 30 mètres n’affleurant alors l’océan que sur un cinquième de leur surface !

Pour s’attaquer au record du Pacifique, Thébault a dû résoudre une quadrature du cercle. Faire plus léger tout en faisant plus solide. Le premier poste d’allégement fut celui des -marins. Pour battre le record de vitesse, ils étaient onze. Ils s’engageront sur le Pacifique à… cinq. Ce casse-tête, il ne s’y est pas attaqué avec une planche à dessin ni un programme de modélisation en 3D, mais avec son solide bon sens -breton. Puisqu’il y a deux fois moins de marins, ils devront posséder deux fois plus de talent ! Alors, il s’est constitué sa dream team. Jacques Vincent, 29 transats, 8 tours du monde. Jean Le Cam, triple vainqueur de la solitaire du « Figaro », deuxième du Vendée Globe Challenge et de la Route du rhum. Yves Parlier, vainqueur de la Transat anglaise, de la Route du rhum et de la Jacques-Vabre. Et Luc Alphand. « Quand on m’a parlé d’un skieur, j’étais un peu sceptique, expli-que ‑Thébault. J’ai demandé à regarder sa descente de Kitzbühel. Après le visionnage d’une seule vidéo, j’ai dit oui. J’ai compris qu’il était comme nous.

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Il a le mental, le sens de la trajectoire, un instinct de la glisse évident. Et le sang-froid… Sur « L’Hydroptère », tu confies ta vie à ton équipier. » Mais la peur, il faut apprendre à vivre avec. Comme dit Le Cam, elle fait partie de l’équipement de survie : « Si on n’a pas peur, on est inconscient et on met les autres en danger. » La haute vitesse les transcende. « J’aime vivre dans le rouge-orange, dit Thébault. Si j’avais voulu vivre dans le vert, j’aurais été -jardinier. Mon rêve initial, d’ailleurs, mais ce n’était pas pour moi. »

Le record du Pacifique, il l’aborde « humblement mais avec assurance ». Il tient à une moyenne de 20 nœuds. Son « Hydroptère » est conçu pour -flirter avec les 50 nœuds ! Mais sur mer plate. Le Pacifique et sa houle longue sont encore des inconnus. Après, il y a deux autres défis : le record de l’Atlantique (33 nœuds de moyenne à battre), et surtout le Jules-Verne, que Thébault veut abaisser sous la barre des… quarante jours. « J’ai déjà tellement entendu que c’était impossible, maintenant je n’écoute plus. Je préfère en rire… »

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