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Gérald Darmanin : "Je n'abandonnerai pas les policiers"

Dans son bureau place Beauvau, lundi 30 novembre.
Dans son bureau place Beauvau, lundi 30 novembre. © Baptiste Giroudon / Paris Match
Bruno Jeudy

Bavures policières, contestation de La loi sur  la sécurité... Le ministre de l’Intérieur sort d’une semaine de crise affaibli mais déterminé.

Gérald Darmanin ne dit pas encore, comme son mentor Nicolas Sarkozy , qu’il aime les tempêtes ; mais il sait déjà les relativiser. « Moi, je suis en haute mer. Ministre de l’Intérieur, ce n’est pas être un marin d’eau douce qui mange du saucisson sur un étang en se disant qu’il ne veut pas se faire peur. Aujourd’hui, je suis parfaitement aligné avec ce que je pense. Dans ce ministère, je fais ce que j’aime faire. » Il est 13 heures, ce samedi 28 novembre, et Gérald Darmanin finit de déjeuner dans son bureau. Concentré, il reçoit Paris Match en refaisant le film des derniers jours. S’il concède volontiers « erreurs » et « maladresses », il défend son action et répète qu’il assume d’« être en difficulté » et qu’il n’est pas dans ses habitudes de « tirer dans le dos » de ses troupes.

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A ce stade, pas question pour lui de lâcher le controversé article 24 de la loi « sécurité globale », qui prévoit de pénaliser la diffusion malveillante d’images de policiers. Au fond, il est certain que l’opinion – sondage à l’appui – est avec lui, probablement plus favorable au soutien des policiers qu’à celui des journalistes. Hélas, le débat a débordé, depuis plusieurs jours, avec la succession d’images de bavures policières qui percutent les vaines explications du ministre pour justifier l’interdiction de leur diffusion. De temps en temps, la conversation s’interrompt. Le ministre consulte les SMS adressés par son cabinet et le préfet de police. La Marche des libertés doit s’élancer dans une heure et, déjà, la foule afflue dans la capitale. Trente mille personnes sont attendues. Elles seront finalement près de 50 000, selon la police. Le ministre ne le dit pas, mais on le sent inquiet. Même si le président lui a renouvelé sa confiance lors de leurs échanges quasi quotidiens, il se sait sur un siège éjectable en cas de nouveau problème.

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Emmanuel Macron est inquiet du climat de tension avec la jeunesse

Les premières remontées de province indiquent une forte mobilisation (entre 150 000 et 500 000 personnes dans toute la France). L’exécutif appréhende ce nouveau bras de fer avec la rue. Outre les journalistes, de nombreux jeunes se joignent aux cortèges. Cela dépasse le noyau dur de l’extrême gauche. Tous viennent exprimer leur colère après les bavures policières des jours précédents à Paris, lors de l’évacuation d’un campement de migrants place de la République, et le tabassage d’un producteur noir dans le XVIIe. « [Ces images] nous font honte », a écrit Emmanuel Macron, la veille, sur Facebook. Le message présidentiel a été vu plus de 8,5 millions de fois. Preuve, selon l’Elysée, que l’onde de choc est « énorme ».

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Entre les lignes, ce message peut être perçu comme une forme de recadrage du premier flic de France. Pas pour Gérald Darmanin. Le secrétaire général de l’Elysée lui a lu le texte avant sa publication. Le patron de la Place Beauvau n’y voit aucune critique de son action. Selon lui, le président est dans son rôle. « Le texte est équilibré et apaisant » avant la manif parisienne. Inquiet du climat de tension avec la jeunesse, le cabinet d’Emmanuel Macron contactera dimanche Michel Zecler, l’homme roué de coups par les policiers, pour prendre de ses nouvelles. L’Elysée craint en réalité que cette affaire, conjuguée avec la remise en question de la liberté de la presse, fasse mauvaise mayonnaise au point de revoir des manifestants chaque samedi, façon gilets jaunes ! L’issue est désormais inévitable. Ce sera marche arrière toute. A quoi bon s’accrocher à un obscur article de loi inutile, illisible pour bon nombre de Français et peut-être même inconstitutionnel !

Réunion sur la réforme de Schengen en visioconférence. L’immigration est l’autre lourd dossier du ministre.
Réunion sur la réforme de Schengen en visioconférence. L’immigration est l’autre lourd dossier du ministre. © Baptiste Giroudon / Paris Match

Trois jours plus tôt, l’idée de créer une commission pour réécrire l’article 24 du projet de loi sur la sécurité globale qui vient juste d’être voté a échoué. Reprenant une suggestion de Gérald Darmanin validée par le chef de l’Etat, le chef du gouvernement, Jean Castex, s’est précipité pour l’annoncer. Publié jeudi soir dernier, dix minutes avant l’intervention du ministre de l’Intérieur dans le JT de France 2, le communiqué de Matignon a mis le feu aux poudres. Une mauvaise manière mal vécue par Gérald Darmanin, mais qui s’est retournée contre le Premier ministre. Celui-ci a pris, en retour, la foudre du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, et du chef des députés LREM, Christophe Castaner. Et voilà comment l’exécutif a ouvert une crise politique avec sa majorité. « Une bande d’amateurs », a ironisé Xavier Bertrand, tandis que François Hollande a pris un malin plaisir à conseiller le retrait du texte. La rancune est décidément tenace chez l’ex. « Ça ne colle pas entre Jean Castex et Gérald Darmanin », constate, dépité, un conseiller de l’Elysée. Les deux ont pourtant dîné ensemble, jeudi soir, sans vider l’abcès. Ni chercher une solution pour sortir de cette impasse politique. La séquence laissera des traces entre ces ex-présumés proches !

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A vouloir défendre légitimement les policiers, notamment sur les réseaux sociaux, la forte tête du gouvernement a confondu vitesse et précipitation

Malgré la pression de son camp, Gérald Darmanin n’est pas décidé à reculer. Devant nous, il concède avoir eu tort de parler du « floutage » des images de policiers ou de rendre obligatoire l’accréditation des journalistes pour couvrir des manifs. « Je n’ai pas de fétichisme sur l’article 24. Si l’on veut renforcer les droits de la presse, précisons-les ! Mais ça ne peut pas être au détriment d’un abandon des policiers en rase campagne. » Pas de fétichisme, donc. Pas d’empressement non plus. Le ministre conseille d’attendre la deuxième lecture au Sénat, début 2021. L’Elysée dit stop et veut en finir avec cette pagaille que le ministre à lui-même semée.
Dimanche 29 et lundi 30 novembre, Matignon et Beauvau sont priés par l’Elysée de trouver des solutions rapides pour sortir de la crise. Très agacé, Emmanuel Macron prend les choses en main. Lundi, à la mi-journée, il réunit séance tenante son chef du gouvernement, son ministre de l’Intérieur et les responsables de la majorité parlementaire. Le principe d’une suspension de l’article 24 est décidé. Il est urgent de mettre un terme à ce « trouble qui implique une réponse politique », assène Emmanuel Macron dans un reproche à peine voilé en direction de son ministre de l’Intérieur. Roselyne Bachelot l’égratigne. Revanchard, Christophe Castaner se charge d’enterrer ce fichu article qui sera « totalement » réécrit. 

Pour Gérald Darmanin c’est un camouflet. Le premier depuis qu’il est ministre. A vouloir défendre légitimement les policiers, notamment sur les réseaux sociaux, la forte tête du gouvernement a confondu vitesse et précipitation dans ce dossier qui touche aux libertés publiques. L’exécutif va s’empresser de tourner la page pour passer à la séquence suivante, consacrée à la laïcité. Le gouvernement s’apprête, en effet, à mettre sur les rails, le 9 décembre, le projet de loi sur le séparatisme islamiste. Initialement, ce texte tant attendu avait été conçu comme le deuxième étage de la fusée sécuritaire lancée par l’exécutif pour asphyxier la droite avant la campagne présidentielle. Gérald Darmanin le défendra en janvier à l’Assemblée nationale. Ce sera l’occasion de reprendre la main.

« Pour siphonner les voix de la droite, il a nommé Darmanin, le plus à droite de ses ministres », s’étrangle un ténor des Républicains

Décidément, Emmanuel Macron éprouve bien des difficultés sur le dossier de la sécurité. Cette bataille de l’ordre public, qu’attendent les Français lassés par ces images de manifestations systématiquement émaillées de violences, est pourtant essentielle. « On veut l’ordre et la justice en même temps, détaille un conseiller d’Emmanuel Macron. L’ordre, ça ne veut pas dire, comme déclarait Goethe : “Mieux vaut une injustice qu’un désordre.” » La feuille de route de Gérald Darmanin n’a donc pas changé : incarner la sécurité et renouer le lien entre l’exécutif et la police, entre les Français et leur police. Vaste tâche. Si, dans un récent sondage Ifop, 69 % des Français disent faire confiance à la police, ce chiffre a baissé de 7 points en un an. Nommé en juillet, l’ex-ministre des Comptes publics a été appelé à la rescousse après l’échec de Christophe Castaner. « Quand Gérald arrive, les policiers jettent leurs menottes par terre, rappelle son ami et député LREM Thierry Solère. C’est ça, la situation. »

Six mois plus tard, la moitié du chemin a été parcourue. Le lointain successeur de Nicolas Sarkozy a fait le boulot avec cette profession très syndiquée, parfois peu soutenue par ses patrons successifs mais surtout paupérisée par des années de disette budgétaire. Le syndicaliste Yves Lefebvre (SGP-FO) le reconnaît sans ambages : « Le ministre a réconcilié les policiers et leurs syndicats avec Beauvau. Il est hyper réactif et a incontestablement obtenu des moyens supplémentaires. » Même son de cloche chez Alliance : « Darmanin a un discours de flics, assure un autre syndicaliste. Ses propos sur l’ensauvagement, son bras de fer avec le ministre de la Justice et un bon budget sont de bons signaux. Maintenant, le retrait de l’article 24 sera mal vécu. »

Le régalien est le talon d’Achille d’Emmanuel depuis le début du quinquennat. Après les échecs de Collomb et de Castaner, il ne peut pas se permettre de griller une nouvelle cartouche, cela aurait des conséquences rédhibitoires pour sa réélection. « Pour siphonner les voix de la droite, il a nommé Darmanin, le plus à droite de ses ministres », s’étrangle un ténor des Républicains. Le 29 novembre sur BFM TV, Xavier Bertrand, un ami, s’est bien gardé de l’attaquer. Il a préféré faire porter la responsabilité de cette séquence ratée sur le président.

A 38 ans, le voilà déjà perclus de cicatrices. Il a reçu des coups par la droite, la gauche, et maintenant des marcheurs

L’ex-lieutenant de Nicolas Sarkozy défendu par une droite qui le déteste mais admet en privé son savoir-faire, c’est le monde à l’envers. Car le ministre s’est fait de nombreux ennemis ces derniers jours. Des membres du gouvernement l’ont dézingué. « Il commence à nous poser un problème avec sa ligne droitière », confie l’un. « C’est un embrouilleur », fulmine un cadre du parti. N’en jetez plus. Des attaques qui laissent l’intéressé de marbre. « Je sais pourquoi j’ai été embauché. Je dois rassurer les forces de l’ordre et les Français des classes populaires qui ont besoin de la sécurité de l’Etat. Le président aurait pu mettre à ma place un grand commis de l’Etat. Il a préféré faire appel à un élu local, petit-fils d’immigrés, qui n’a pas fait l’Ena. » A ceux qui critiquent son activisme, il renvoie une des maximes de sa grand-mère : « Après la pluie, le beau temps, p’tiot ! » Pour enfoncer le clou, sourire en coin, il distille une des phrases que lui a glissées Nicolas Sarkozy, lui-même jalousé lorsqu’il était ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac : « Petit homme politique, petit problème ; grand homme politique, grand problème. » Le ministre ch’ti n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il cite son père politique .

A 38 ans, le voilà déjà perclus de cicatrices. Il a reçu des coups par la droite, la gauche, et maintenant des marcheurs. S’il tient le choc, la carapace montre des fragilités. Après sa réélection dès le premier tour des municipales dans son fief de Tourcoing, Darmanin a songé à quitter la politique. Une prestigieuse proposition, venue d’un grand groupe privé, lui a été faite. « Ce fut tempête sous un crâne pendant quelques semaines », raconte un de ses copains. Il a consulté avant de décliner. Puis il a considéré qu’il ne pouvait pas « quitter le navire » en plein quinquennat. « On fait de la politique par passion, nous confie-t-il. Mais tu ne fais pas ça pour qu’on te dise “vous avez triché”, “vous avez menti”, “vous avez violé”. Tu ne sors pas indemne d’une attaque sur ta vie intime. »

Parole d’un « grand brûlé », comme il se définit lui-même en évoquant l’affaire de viol présumé malgré deux classements sans suite et un non-lieu. Une affaire relancée après une décision de la cour d’appel de Paris avant l’été. Le ministre s’attend à une inévitable audition et à une probable confrontation avec la victime. Le président lui apporte depuis le début un soutien sans faille. La prochaine tempête est annoncée pour ce jeune ministre qui peut ployer mais ne rompt pas. 

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