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Le ministre star nous a reçus chez lui - Yanis Varoufakis

Juste le temps d’avaler une salade verte et un poisson grillé arrosé d’un verre de vin de Santorin, avec Danae, après une réunion chez le Premier ministre Alexis Tsipras, et avant de repartir pour Bruxelles.
Juste le temps d’avaler une salade verte et un poisson grillé arrosé d’un verre de vin de Santorin, avec Danae, après une réunion chez le Premier ministre Alexis Tsipras, et avant de repartir pour Bruxelles. © Baptiste Giroudon
Marie-Pierre Gröndahl et Anne-Sophie Lechevallier, envoyée spéciale à Athènes , Mis à jour le

A l’ombre du Parthénon, il se prépare à affronter Bruxelles et ses diktats. Le ministre grec des Finances nous a reçus chez lui.

Dix minutes avant le décollage, un dernier passager embarque dans l’A320 d’Aegean Airlines, le vol direct de 16 h 40 entre Athènes et Bruxelles de ce dimanche 8 mars. Ses écouteurs rouges autour du cou, en jean et veste, Yanis Varoufakis s’avance dans l’allée centrale pour prendre place à côté de ses conseillers en classe économique. L’ensemble des passagers a reconnu sa silhouette athlétique et son crâne rasé. Certains lui sourient, d’autres le saluent. Tous leurs journaux évoquent le nouveau ministre des Finances grec de 53 ans. A peine installé, l’ami du Premier ministre Alexis Tsipras ouvre des chemises plastifiées multicolores, pour préparer la réunion du lendemain avec ses homologues de la zone euro.

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A voir : Les photos de Yanis Varoufakis chez lui à Athènes

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Son dimanche de liberté à Athènes n’a duré que quelques heures. Dans un entretien au quotidien italien « Corriere della Sera », accordé la veille à Venise, le ministre évoque un possible référendum en Grèce sur l’euro. Des propos démentis avec vigueur. Trop tard, la phrase a mis le feu en Europe. Il fonce sur sa Yamaha 1 300 cm3 vers le bureau d’Alexis Tsipras pour concocter une riposte. De retour dans son appartement au pied de l’Acropole, au premier étage d’un immeuble appartenant à la famille de sa femme, l’artiste contemporaine Danae Stratou, l’économiste au statut de rock star disserte de longues heures au téléphone, enfermé dans sa chambre. Il s’en extrait quelques minutes, le temps de lancer : « C’est Stalingrad. » Sa déclaration finalisée, le Grec le plus médiatique de la planète peut passer une petite heure en compagnie de Danae, avec laquelle il vit depuis dix ans, et faire une apparition chez ses beaux-parents, au troisième étage de la même bâtisse. Autre échappée, sa discussion quotidienne sur Skype avec Xenia, sa fille adolescente née d’une précédente union, qui vit en Australie. Sa nomination ne l’a pas enchantée : « Tu viens de pourrir ma vie, papa », lui a-t-elle lâché alors que des photographes se pressaient devant son école.

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"Je méprise le star-système"

Leur vie a été bouleversée le 25 janvier quand Syriza , le parti de la gauche radicale, a remporté les élections. Élu député, puis nommé ministre, Yanis Varoufakis a alors quitté Austin, aux Etats-Unis, où il enseignait l’économie à l’université depuis deux ans, pour revenir à Athènes. « En 2008, au début de la crise, on l’a sollicité pour des commentaires, se souvient Danae Stratou. Ni politique, ni journaliste, il excellait à communiquer simplement des idées complexes. » Son apparence physique – on le compare à Bruce Willis – détonne. Son éloquence et son charisme séduisent ou agacent. Son aisance en anglais (acquise grâce à plus de deux décennies en Angleterre et en Australie) lui assure une audience internationale. Fort de ses 335 000 « followers » sur Twitter, il sait que chacune de ses multiples déclarations a un retentissement instantané.

Yanis Varoufakis et sa femme, dans le salon.
Yanis Varoufakis et sa femme, dans le salon. Baptiste Giroudon

Dans sa rue d’Athènes, la présence d’un policier en civil qui surveille le porche, où la sonnette mentionne le nom des habitants, ne suffit pas à dissuader les badauds d’enfourcher sa moto pour se prendre en photo. Un journal local vient de titrer « Ma nuit chez M. Varoufakis ». Intriguée, Danae a lu l’article : un touriste qui avait loué leur appartement par l’intermédiaire du site Airbnb racontait ses impressions ! Un déferlement que ce scientifique de formation dit ne guère apprécier : « Je méprise le star-système. C’est toujours le corollaire d’un déficit démocratique et d’un déficit de valeurs. Y appartenir me préoccupe et m’irrite. » Pour préserver son intimité, le couple emménagera dans trois semaines dans un plus grand appartement dont il vient de signer le bail.

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A lire : Notre interview avec Yanis Varoufakis

A Bruxelles, où il enchaîne les réunions depuis sa nomination, ce membre du gouvernement Tsipras ne réunit pas tous les suffrages. Yanis Varoufakis, le plus récemment nommé des ministres des Finances européens, et Wolfgang Schäuble, le plus ancien en exercice, étaient faits pour ne pas s’entendre. Les deux hommes se situent aux antipodes l’un de l’autre. L’Allemand n’a aucune estime pour les universitaires, dont il craint la vision « romantique » de la réalité économique et sociale. Il ne croit qu’aux règles du droit. Si leurs relations se sont apaisées après des débuts houleux, le Dr Schäuble, spécialiste de droit fiscal, cultive une méfiance certaine envers son homologue souriant, grand, sportif et bronzé, et parfaitement anglophone, quand lui-même, caustique, voûté, peu à l’aise en anglais et fatigué, est cloué dans un fauteuil roulant depuis un attentat en 1990. Toute menace contre la monnaie unique le met hors de lui, surtout après quatre ans consacrés à ferrailler pour la sauver. Leurs nationalités les séparent plus que le reste. Les élites grecques estiment que la crise résulte de l’« indécent » excédent commercial allemand, et qu’il suffirait que Berlin s’acquitte du paiement des dommages de guerre pour que l’économie grecque se redresse par miracle. Outre-Rhin, les revirements d’Athènes sont perçus comme une tentative de récrire des traités inscrits dans le marbre. Varoufakis, lui, voit dans cette hostilité européenne la trace d’une culpabilité : « Élaborer un programme politique pour la Grèce, mettre en jeu sa légitimité politique, investir toute son énergie, pour s’entendre dire que ce dernier n’a créé qu’une grande pauvreté, n’a rien d’agréable. » Le ministre souligne que l’Allemagne a bénéficié de la bienveillance des Etats-Unis et du reste de l’Europe après guerre. « Avec une économie biblique, œil pour œil, le pays n’aurait pas pu se redresser. »

A 14 ans, il militait déjà

Lassé de la rhétorique guerrière, avec alliés et ennemis supposés, Yanis Varoufakis réfute les clichés qui réduisent l’Allemagne ou la Grèce à des caricatures : « La généralisation est le début du racisme. » Certains poncifs reposent pourtant sur des réalités, comme l’incapacité de la Grèce à lever l’impôt. Selon lui, l’explication réside dans l’asservissement du pays par l’Empire ottoman pendant cinq siècles. Toute taxe humiliante se devait d’être impayée. Après l’indépendance, les riches ont pris le relais de l’occupant, traitant les pauvres comme des esclaves, en s’octroyant l’immunité fiscale. « Depuis cinq ans, accuse le ministre des Finances, les premiers responsables de la crise ont évacué leur argent de Grèce. Et les pauvres ont été saignés à mort. Restaurer la justice fiscale prendra des années. » Il compte sur une « task force » internationale pour traquer les coupables, aidé par les Allemands, les Français et les Britanniques.

Adolescent, Yanis Varoufakis se rêvait pianiste. Sa professeur de musique, une vieille dame, l’y encourageait. Sans le convaincre : le musicien ne se trouvait pas assez doué. A 14 ans, il militait déjà. La dictature des colonels venait de tomber. Son père, qui avait payé son engagement par une déportation de trois ans sur l’île de Makronissos, dans le camp de concentration réservé aux opposants pendant la guerre civile, a découvert que son fils avait passé plusieurs heures au poste de police pour avoir participé à une manifestation. Le résistant lui a ordonné de partir en Grande-Bretagne : « Tu étudies ce que tu veux, l’anthropologie ou la zoologie, mais tu t’en vas. » Yanis y passera onze ans, militera dans l’alliance des étudiants noirs, qui l’accepte malgré sa couleur de peau, étudiera les mathématiques et l’économie, soutiendra sa thèse et enseignera dans plusieurs universités. En 1988, Margaret Thatcher entame un troisième mandat. Yanis Varoufakis s’envole pour l’Australie.

Sur une terrasse de l'immeuble familial de Danae à Athènes, dimanche 8 mars.
Sur une terrasse de l'immeuble familial de Danae à Athènes, dimanche 8 mars. © Baptiste Giroudon

L’économiste se définit comme un « marxiste libertaire », rappelant que « Marx n’a pas mérité ses disciples, qui ont créé des dictatures en son nom ». Il aime chez le philosophe sa description du capitalisme, « ce système stupéfiant dans sa capacité à engendrer d’immenses contradictions ». Un brin cabot, Yanis (avec un seul « n », il y tient depuis l’enfance pour des raisons « esthétiques ») prend ses interlocuteurs à contre-pied. Se voit-il rebelle ? « Non. Plutôt subversif. » Le refus de la cravate ? « Cela m’est arrivé d’en porter une ou deux fois. Elles m’étranglaient. Je ne fais pas des choses pour être différent. » Quand la crise éclate en Grèce, de nombreux hommes politiques le consultent. Parmi eux, Alexis Tsipras. « Nous n’étions au début pas d’accord politiquement. Après 2011, nos vues ont convergé. » Les deux hommes se lient d’amitié. Leurs familles se rapprochent sur l’île d’Egine, à une heure de bateau d’Athènes, où elles possèdent des maisons. En avril 2014, le leader de Syriza lui propose de se présenter aux élections européennes. Varoufakis, alors à Austin, décline. En novembre, de passage en Grèce, il revoit Tsipras. « Alexis avait la conviction que les élections allaient avoir lieu. Il m’a demandé si j’accepterais d’être ministre des Finances. Après avoir passé cinq ans à critiquer les gouvernements, la question n’était pas de savoir si je voulais ou pas devenir ministre, mais si je pourrais encore me regarder dans une glace en cas de refus. » Il accepte. A une condition. « Je lui ai demandé de me présenter pour devenir député. Je ne voulais pas être un technocrate comme mes prédécesseurs. Il m’a souhaité bonne chance. »

Le 29 décembre, le gouvernement d’Antonis Samaras convoque des élections anticipées. Danae et Yanis passent les fêtes en Australie avec Xenia. Ils reçoivent un appel d’Athènes. Le couple n’utilisera pas son billet retour pour Austin et rejoindra la Grèce, ses valises remplies de vêtements d’été. Pendant sa campagne éclair, le candidat, qui n’est pas adhérent du parti, fabrique son site Internet, n’emploie aucun staff, ne dépense pas un euro. Son score en fait le député le mieux élu du pays, avec 135 638 voix dans sa circonscription d’Athènes. Aujourd’hui, Varoufakis négocie pour que la Grèce évite la faillite : « Nous avons de quoi payer les salaires et les retraites des fonctionnaires. Pour le reste, on verra. »

Découvrez ce que pensent les Grecs de leur nouveau ministre des Finances :



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