Chronique 

Jean de La Ville de Mirmont, c’était Houellebecq avec un siècle d’avance

Jérôme Garcin

Jérôme Garcin

Mort à 28 ans , tué par un obus allemand en 1914, ce jeune Bordelais eut le temps d’écrire un formidable roman « les Dimanches de Jean Dézert ». A redécouvrir aujourd’hui.

C’est le plus moderne des livres d’autrefois. Du Houellebecq, avec un siècle d’avance. D’ailleurs, l’auteur des « Particules alimentaires » ne s’y est pas trompé. En 1998, dans les « Inrocks », il déclarait souhaiter qu’on évoque moins, à son propos, Ionesco ou Bove, que Jean de La Ville de Mirmont. Il en parlait comme d’un frère, trop tôt disparu. Il se reconnaissait dans la « synthèse presque bouddhiste entre romantisme et banalité » qui se dégage de son unique roman, « les Dimanches de Jean Dézert ». Il trouve aujourd’hui une nouvelle jeunesse grâce aux Editions Finitude, où il reparaît en format carré, avec de jolis dessins faubouriens de Christian Cailleaux (23 euros).

Bordelais exilé à Paris, Jean de La Ville avait 28 ans lorsqu’il le publia, à compte d’auteur, en 1914, à la veille de la Grande Guerre. Vendu 4 francs, il n’eut presque aucun lecteur. Afin d’expliquer cet insuccès, il écrivit à son père : « On lance un livre de la même manière qu’on a lancé les pastilles Géraudel ou le cacao Bensdorp. Je manque des qualités nécessaires. » Quelques mois plus tard, sergent au 57e de ligne, il partit pour le Chemin des Dames, où il fut enseveli, le 28 novembre 1914, par un obus allemand. A peine autoédité, aussitôt tué.

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« Une conférence gratuite sur l’hygiène sexuelle »

Sans son ami d’enfance, François Mauriac, qui devint alors l’apôtre de « ce jeune homme éternel », nul n’aurait su qu’il laissait un recueil de poèmes, « l’Horizon chimérique », où il rêvait de « grands départs inassouvis » vers des îles vierges, et une sotie, « les Dimanches de Jean Dézert », qui annonce non seulement Houellebecq, mais aussi Perec. Un rond-de-cuir de ministère résigné, « vêtu d’incolore », y trompe son ennui et distrait sa solitude, le dimanche, en répondant aux prospectus publicitaires. Il se fait masser par des aveugles aux Piscines d’Orient et couper les cheveux pour 50 centimes au Lavatory rationnel, expérimente la « nutto-crème d’arachides » dans un bistro bio et assiste, dans une pharmacie, à « une conférence gratuite sur l’hygiène sexuelle, agrémentée d’auditions musicales ».

Seul imprévu : la rencontre avec la fille d’un croque-mort devant le bassin des otaries, au jardin des Plantes. Après quoi, il rate son suicide. C’est désolant et désopilant. Absurde et réaliste. D’un désespoir tranquille. Comme un passage laconique par les grands boulevards avant l’enfer des tranchées. Une petite vie, mode d’emploi, derrière laquelle se profile une grande mort. Lisez donc « les Dimanches », et faites passer. Merci.

 

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