Jean-Jacques Goldman, en 1997 : « Je n’ai jamais souhaité rencontrer les gens que j’admirais »

Jean-Jacques Goldman en juillet 1999.

Jean-Jacques Goldman en juillet 1999. STEPHANE CARDINALE - CORBIS / SYGMA VIA GETTY IMAGES

Portrait  En septembre 1997, le sixième album de Jean-Jacques Goldman, « En passant », vient de sortir, et « le Nouvel Observateur » rencontrait son auteur-compositeur-interprète en terrasse d’un café parisien. Un homme de gauche fier de ne pas avoir voté pour Mitterrand, un motard en passe de devenir cycliste, un homme de convictions.

Vite évacuer quelques lieux communs. Doué ? Oui. Discret ? Certes. Séducteur ? On le serait à moins… Voilà qui est fait. La suite ? Parler de son goût pour la provoc. Jean-Jacques Goldman n’aime rien davantage que le politiquement incorrect : « Tu aurais chanté à Longchamp si le Saint-Siège te l’avait demandé ? [les Journées mondiales de la jeunesse, un rassemblement organisé par l’Eglise catholique, avaient lieu à Paris en 1997, NDLR] – Oui, sans doute. Premièrement parce que ç’aurait été mal vu (sourire). Deuxièmement parce qu’il y avait plus de “scouts ridicules” catholiques dans la Résistance que d’intellectuels gauchistes. » (pas de sourire).
Voilà quelqu’un qui ne tient pas à ne se faire que des amis ou des admirateurs zélés. S’il « détonne » (sans jeu de mots), c’est parce qu’il est convaincu que l’on crève de faux-semblants, de sourires complices et de mensonges convenus. Alors il tente le parler vrai puisque le parisianisme – cet art d’être méchant avec rien, et de mépriser tout – est précisément ce qu’il déteste. Continuons :
« Mitterrand ?
Je m’honore en tant qu’homme de gauche de n’avoir jamais voté pour lui. C’est pour moi l’archétype du politicien de droite, par son passé, ses méthodes, son cynisme… Quant à de Gaulle, qui est tombé sur la régionalisation et la participation, j’aurais voté oui à son référendum ! »
Homme de convictions, il avoue être plus attaché aux principes qu’à la forme.
« Je n’ai jamais souhaité rencontrer les gens que j’admirais : Jean-Marie Djibaou, Olaf Palme, Anouar el Sadate…
Même pour le plaisir d’un moment exceptionnel ?
Non, qu’ils sachent seulement à quel point ils furent notre honneur et notre fierté. »
Mais comme les choses ne peuvent être simples, il place aussitôt Mrs. Thatcher dans son Panthéon et ajoute : « Sans elle, pas de Tony Blair ! »
Ce soir les joueurs de boules de la place Dauphine (Paris-1er) font nocturne, l’orage couve, c’est une fin de vacances, on est assis à la terrasse du Caveau du Palais. Il m’a apporté son intégrale, sortie en 1991. Elle niche à l’intérieur de son casque de moto à côté du dernier album, « En passant », dont il m’avait fait entendre les maquettes l’hiver dernier. « Natacha », alors sans paroles, entendue le jour même où elle fut composée : une nostalgie slave rappelant que Goldman père a dû un jour quitter sa ville de Lublin (Pologne). « Des mains » : « nos paumes sont pour aimer ». En mémoire encore, la douce amertume de « Quand tu danses » : « Que deviennent les amoureux perdus, quand tu danses, y songes-tu ? » « C’est ta préférée, je me souviens », dit-il.
Retour en arrière. En 1981, il a suffi d’un signe pour qu’un pays succombe au charme discret de la planète Goldman : une voix, une silhouette, une attitude. Étrangeté d’une rencontre de troisième type. Ce qui nous semblait la chronique d’une réussite annoncée était pour son auteur un disque de plus (le dernier ?) sans espoir particulier. « Catherine (la Goldman wife) et moi, on ne rêvait pas. Je pensais écrire pour les autres et rester avec Robert (le Goldman brother) dans notre boutique de sport de Montrouge. Nous agrandir, acheter un autre magasin. C’était ça mon monde et j’y étais bien. »
La suite est inordinaire. Beaucoup de gens, visités par la célébrité, prennent vite l’habitude de faire semblant de tout : faire mine d’écouter, d’être ému, d’être présent. Apparemment ils semblent vivants mais habités de crépuscule, ils sont là et ailleurs : des distraits. Lui est rarement pris en flagrant délit d’oubli, il se souvient des visages, d’une confidence… Inutile de lui rappeler ce qui fut dit il y a un an, deux ans, il donne les détails, les circonstances et reprécise une couleur, un sentiment. Simone Signoret avait cette grâce : la « souciance ».
« Il paraît qu’il faut faxer à ton service de presse pour obtenir une interview. Et le téléphone ?
Une demande écrite, avec le pourquoi et le comment, je peux la lire moi-même, sans intermédiaire et donc décider avec qui je veux ou ne veux pas discuter. »
Discrétion maladive vis-à-vis des médias ? Sans doute, mais le contraire d’une hostilité, une méfiance plutôt. Il sait qu’un mot, un silence peuvent être distordus, et pénétrer ainsi les yeux et les oreilles débarrassés de leur contexte, c’est-à-dire la réflexion ou l’humour. J’en reviens à la jeunesse : « Le jour même où 700 000 jeunes se rassemblaient autour du pape, trois autres jeunes tabassaient un chauffeur de bus qui ne voulait pas s’arrêter entre deux stations ! Commentaires ?
Ceux-là sont nulle part, ce sont des consommateurs de flashs. En une seule génération on peut perdre ses repères identitaires si personne n’a été là pour les inculquer. Alors que certains exigent plus de spiritualité, d’autres sont perdus dans le monde, n’importe où, du côté de Neandertal. »
Il porte toujours sur lui un petit cahier Clairefontaine qui abrite les mini-choses pour lesquelles il ne faut pas faillir : un rendez-vous, un anniversaire, une résolution…
« Aujourd’hui, tu as écrit quoi sur ton carnet ?
Acheter un vélo en prévision des pics de pollution ! »
Le carnet des petites choses de la vie rangé dans la poche arrière de son jean, nous marchons vers sa moto. Il est minuit, demain matin jogging. Où dormira Goldman ? A la première interdiction des moteurs dans un Paris rempli de CO2, observez bien les cyclistes ! L’un aura un masque noir collé sur la bouche, il portera une casquette bleue marquée « Rouge ». Qui pourra le reconnaître ? Un passant, vous dis-je.

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◗ Article publié initialement dans « le Nouvel Observateur » du 4 septembre 1997

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