L'artiste ORLAN est à Nice ce week-end: "Être femme, une calamité sociétale"

Son nom d’artiste s’écrit en lettres capitales. Pour souligner peut-être sa place à part dans l’art contemporain. Invitée d’honneur du festival OVNi, ORLAN est à Nice pour exposer, signer, danser…

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Franck Leclerc (fleclerc@nicematin.fr) Publié le 19/11/2021 à 12:48, mis à jour le 19/11/2021 à 14:13
interview
Photo DR

Attention, programme chargé. ORLAN est partout. Invitée d’honneur du festival OVNi, elle signe son autobiographie à la Fnac de Nice ce vendredi et se dévoile intégralement lors d’un "strip-tease" au Théâtre National de Nice. À l’issue duquel, cette fois pour de vrai, elle invitera le public à danser un slow dans ses bras.

Que verra-t-on d’ORLAN ce week-end?
Des vidéos et caissons lumineux à l’hôtel Windsor. Et, à la galerie Eva Vautier, une exposition sous le titre Les femmes qui pleurent sont en colère. Mon idée était de travailler à partir des femmes modèles – on pourrait dire "femmes objets" – qui ont beaucoup donné pour la notoriété de nos grands hommes. J’ai commencé par Picasso avec ses portraits de Dora Maar. En essayant de redonner à cette dernière toute sa force pour que l’on sente, à travers ses larmes, une émancipation à venir et cette colère qui monte.

Pourquoi, avec une autobiographie, avoir voulu remonter aux origines?
Une autobiographie, c’est un bilan. Un point complet pour comprendre, aussi, pourquoi j’ai fait des œuvres qui me semblent fortes. Et pour montrer combien elles sont hybridées à ma vie. Dans mon enfance à Saint-Etienne, mon père, ouvrier, travaillait de temps en temps à l’Eden Théâtre comme électricien. Il m’y emmenait parfois, ce qui m’a ouvert toutes les portes et donné de la lumière. Concerts, opéra, danse, j’ai vu les artistes sur scène comme dans les coulisses de l’exploit. Ce qui m’a ouvert les yeux sur autre chose que les banalités que je vivais chez moi.

Et Le Baiser de l’artiste, en 1977…
Une sculpture qui me servait de piédestal. Où, pour cinq francs, on pouvait déposer des cierges à sainte ORLAN ou obtenir un vrai baiser, un "french kiss". Ceci au Grand Palais, pendant la Fiac [Foire internationale d’art contemporain, ndlr]. Pour savoir si cette pièce aurait la même force aujourd’hui, il faudrait la refaire. Mais mes baisers ne valent plus cinq francs: tout ceci a beaucoup augmenté!

Au Théâtre National de Nice, une performance attendue?
Muriel Mayette-Holtz lira des passages de mon autobiographie et je parlerai de l’une de mes dernières œuvres: Le Slow de l’artiste. Au moment de la distanciation physique, j’ai décidé de rapprocher les corps. J’ai pensé que mes assistants, qui sont jeunes, devaient savoir ce qu’est un bon slow sensuel, torride. D’où l’album "tout slow" que je vais sortir, dont j’ai écrit les paroles, où l’on entendra ma voix et pour lequel j’ai collaboré avec des artistes fantastiques comme Charlemagne Palestine, Robert Combas et Les Sans Pattes, les Tétines Noires, La Femme ou encore Jean-Claude Dreyfus. Dimanche, je proposerai à tout le monde de me rejoindre sur la scène pour danser le slow avec moi.

Il est difficile d’être artiste. Plus encore quand on est une femme?
La question ne se pose pas. C’est absolument vrai. Où sont les femmes dans la commande publique? Dans les grandes monographies bilingues? Au Centre Pompidou ou au Palais de Tokyo? Dans les rues, avec leur nom sur une plaque? Dans le grand marché, dès qu’il y a beaucoup de zéros? Moi qui ai toujours été professeure, je peux le dire: dans les écoles d’art où j’enseignais, nous avions 75% de femmes et, au final, la proportion se retournait complètement. Ce sont toujours les hommes qui passent.

Être une femme, c’est du boulot?
J’ai essayé toute ma vie d’être une "vraie" femme, c’est-à-dire de correspondre à tous les stéréotypes de la société. Et je n’y suis pas arrivée. Être une femme, c’est une calamité, tant biologique que sociétale. Les règles, vous savez ce que c’est? C’est douloureux, les gens pensent qu’on fait tourner la mayonnaise et c’est tous les vingt-huit jours. Même quand on ne veut pas avoir d’enfant, ce qui a toujours été mon cas, voulant mon temps pour moi. Du temps pour être libre, certainement pas pour me retrouver au bac à sable avec des femmes sans instruction la plupart du temps, à parler de recettes de gâteaux, de maladies et de couches-culottes.

Art sacrificiel?

Diffuser en direct la pose d’implants sur vos tempes, vendre des reliquaires contenant vraiment de votre chair: un art sacrificiel?
"Pas du tout, puisque le premier deal avec le chirurgien a été: pas de douleur. Ayant toujours détourné des phénomènes de société, j’ai voulu parler de la chirurgie esthétique, mais en la déréglant. Me faire poser sur les tempes des implants habituellement utilisés pour rehausser les pommettes, ce n’était pas une opération renommée pour conférer de la beauté. En entendant ma description, on peut penser que je suis un monstre indésirable. Si l’on me voit, cela peut changer. Même si ce n’est pas le cas à tous les coups. Finalement, ces deux bosses sur mes tempes sont devenues des organes de séduction. C’est ma décapotable! Il s’agissait de démontrer que la beauté n’est qu’une question d’idéologie dominante et d’habitudes, de modèles, de stéréotypes. En un point donné, géographique et historique."

L’Origine du monde, en couverture d’Art Press, faisait encore scandale en 1982. Votre Origine de la guerre montrant un sexe d’homme: un contrepoint?
Pour moi, L’Origine du monde est le tableau le plus abominable qu’on ait pu faire, ou presque. Bien que j’aime beaucoup la peinture de Courbet. Il a quand même coupé la tête, les bras et les jambes de cette femme pour ne montrer que le lieu de la reproduction et de la sexualité. J’ai voulu voir ce qu’il se passerait en faisant poser un homme avec une queue moyenne, ne voulant pas que ma photo soit un Mapplethorpe, et je pense que c’est une œuvre importante. J’ai travaillé toute ma vie pour que les choses changent, pour que l’égalité soit faite, pour que les femmes s’émancipent et qu’on arrête de les discriminer. Cela s’est ouvert un certain temps, mais en dépit de #MeeToo, qui était plus que nécessaire, on a l’impression que tout se referme. C’est comme si ma vie n’avait servi à rien, je suis catastrophée. Mes œuvres peuvent être vues sur les murs de mes galeries mais pas sur les réseaux sociaux comme Instagram, je me dis que la période est désastreuse. Comme à l’époque où l’on reculottait les chefs-d’œuvre de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. C’est un retour abominable.

Vous qui avez toujours défendu l’amour des deux sexes, êtes-vous optimiste sur la façon dont les hommes et les femmes peuvent vivre ensemble?
Pas très, non. Il y a eu des avancées, mais en France, dès que vous parlez de féminisme, on vous accuse de faire la guerre des sexes. Alors que le féminisme ne tue pas. Ce sont les hommes qui nous traitent en esclaves depuis des millénaires. Qui nous battent. Nous assassinent. J’aime beaucoup les hommes. Enfin, ceux d’entre eux qui ne sont pas des porcs ni des brutes, qui ne frappent pas, ne violent pas. Dans ces conditions-là, on va très bien ensemble. Mais combien d’hommes en dehors des instincts grégaires, sachant vraiment se maîtriser?

Une immense majorité?
Certainement pas. Je ne voudrais pas vous agresser si vous n’avez aucun instinct grégaire: je vous adore d’emblée. Mais quand on voit que l’avortement est remis en question, que ce soit au Texas, en Pologne et même dans notre pays si l’extrême droite passe, il y a beaucoup de souci à se faire. Heureusement, comme l’a dit Nietzsche, nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité.


Signature à la Fnac de Nice, ce vendredi, à 17h.

Festival OVNi, ce samedi, à partir de 14h. Rens. sur Ovni-festival.fr

Vernissage à la galerie Eva Vautier à Nice, ce samedi à 18h.

Strip-tease ce dimanche, à 16h, au TNN. Entrée gratuite sur réservation: tnn.notre-billetterie.fr

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