Grand entretien avec Gérard Jugnot : "J’aime la bienveillance, on en manque sérieusement en ce moment"

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  • Gérard Jugnot au Festival de Cannes, le 17 mai 2022.
    Gérard Jugnot au Festival de Cannes, le 17 mai 2022. MAXPPP - Fred Dugit
Publié le , mis à jour
Propos recueillis par Manuel Cudel

L’acteur et réalisateur est de retour en salles le 21 décembre, avec Le Petit Piaf. Grand entretien.

Votre nouveau film, Le Petit Piaf, sort le 21 décembre, c’est l’histoire d’un jeune apprenti chanteur coaché par un artiste désenchanté…

Oui, il y a des thèmes qui me touchent beaucoup dans ce film, la transmission, la passion de cet enfant pour la chanson, il y a un clin d’œil à Meilleur espoir féminin et un côté “petit choriste créole”. J’ai ajouté beaucoup de sourires, d’éclats de rire, avant l’émotion finale.

On y retrouve d’ailleurs la force musicale des Choristes.

C’est important la voix chantée, en trois minutes, elle vous raconte une histoire avec émotion. Même si cela va très mal au départ dans le film, grâce à la musique, grâce à l’humain, cet enfant va enchanter la vie.

Elle en a besoin aujourd’hui ?

On a toujours besoin d'être enchantés. Le monde n’a jamais été très brillant, mais en ce moment, c’est pas joli, joli… Le cinéma, c’est la vie en mieux. J’aime ce cinéma roboratif, qui donne des vitamines, dans cette période de grippe, de froid.

Après Le Petit Piaf, sur les planches avec son fils Arthur

Le Petit Piaf, un réjouissant remède à la morosité ambiante, est attendu en salles le 21 décembre. Marc Lavoine, Soan Arhimann, Stefi Celma et Philippe Duquesne partagent l’affiche avec Gérard Jugnot, dont c’est le douzième long métrage en tant que réalisateur. Le comédien multiplie les projets parallèlement. "Je viens de tourner avec Christophe Barratier un très joli film (Comme par magie, NDLR) et là je repars au théâtre avec mon fiston", annonce-t-il. Gérard Jugnot et Arthur Jugnot seront réunis pour la première fois sur scène, au théâtre Edouard VII, dans Le jour du Kiwi, une pièce de Laëtitia Colombani, mise en scène par Ladislas Chollat, du 12 janvier au 15 avril 2023 On retrouvera aussi l’acteur dans la suite de Pourris gâtés, dont le premier opus a fait un carton à travers le monde, via Netflix.

Ce regard tendre, ce concentré de sensibilité, teinté de comédie, c’est votre signature. Vous avez raconté aussi comme personne la bascule dans la précarité et la rue, dans Une époque formidable. Un film plus actuel que jamais…

Oui, malheureusement. Je ne fais pas de films politiques, je parle de la société, de l’attention accordée aux autres. Parfois, il suffit de petits gestes, même pour le climat, je passe mon temps, au bord de la mer, à ramasser les mégots, les plastiques, c’est rien, mais si tout le monde le faisait, ça irait mieux.

J’aime la bienveillance, dont on manque sérieusement en ce moment avec le délire des réseaux sociaux, ce déferlement de haine. Dans Le Petit Piaf, on retrouve cette solidarité. Cela se passe à la Réunion, où il y a ce sens de l’autre, ce culte des anciens. Je milite pour ce lien social.

Ce besoin d’imprimer votre style, ce regard sur la société a été une motivation quand vous avez tracé votre chemin après le Splendid ?

Oui, quand on disait “nous”, on était beaucoup dans la dérision, le burlesque, mais il y avait peu de place pour l’émotion, la compassion. C’est pour ça sans doute qu’on a dit “je”.

D’ailleurs, c’est drôle, j’ai continué à faire des films qui pouvaient quelque part être des suites de ceux qu’on avait faits ensemble. Casque Bleu est une suite mélodramatique des Bronzés, Monsieur Batignole de Papy fait de la résistance, en un peu plus réaliste. Dire “je” permet aussi d’exprimer plus clairement ce qu’on est, ce que l’on sent.

Le Père Noël, Les Bronzés, sont aussi le reflet d’une époque.

Oui, c’était la fin des “trente glorieuses”, des années Giscard. Mais, quand j’y réfléchis, les personnages étaient plus vieux que nous, on jouait un peu nos parents. Quand on a fait Les Bronzés 3, là on jouait vraiment des personnages de nos âges, il n’y avait plus cette distance, c’était plus pathétique sans doute…

Vous n’êtes pas content des Bronzés 3 ?

Ah si ! Il a des défauts comme les deux premiers, mais il a été plutôt bien accueilli par le public, à part une certaine presse.

Je n’ai jamais été très honoré, mais je m’aperçois que ces films-là restent, alors que beaucoup de films encensés sont partis aux oubliettes. Finalement, je fais des films mineurs qui acquièrent leur majorité plus tard… Je suis content d’avoir vécu assez longtemps pour voir tout ça.

Quel souvenir gardez-vous du tournage du Père Noël est une ordure ?

On s’était dit on écrit ce qui nous fait marrer et on n’en a rien à foutre de ce que les gens pensent. Finalement, on a touché juste. Et Jean-Marie Poiré a fait un boulot formidable. C’est la première fois qu’on était en studio, avec un vrai décor.

On a tourné aussi des scènes à l’arrache dans la rue, on n’avait pas d’autorisation et j’ai pris des PV, car une loi interdisait d’être travesti sur la voie publique…

À l’époque, on n’était pas très connus, il n’y avait pas de loge et je me souviens qu’on s’est retrouvés à boire un coup dans un bistrot, moi en père Noël dégueulasse, Marie-Anne enceinte jusqu’aux dents, Christian en travesti. On nous regardait d’un sale air…

Vous aviez aussi des sources d’inspiration personnelles, les doubitchous seraient un clin d’œil à Josiane Balasko.

Josiane Balasko est d’origine croate, elle s’appelle Balaskovic, et on se moquait parfois de sa bouffe, car on mangeait très très mal chez elle.
On se faisait aussi des blagues au théâtre, Thierry était censé déguster des doubitchous, mais en vérité c’était des trucs immondes, on remplaçait le chocolat par des morceaux de merguez.

Selon la légende, la liqueur était, elle, authentique à la fin des Bronzés font du ski.

Non, c’était du cinéma ! Par contre, dans Les Bronzés, pour la scène du massage, ils m’ont collé un mec qui n’était absolument pas masseur, il était dans l’entretien. Ils l’ont briefé pour qu’il me massacre et leurs fous rires, là c’était des vrais. Il m’a démonté le dos, j’ai failli aller voir ensuite un vrai ostéopathe !

Michel Blanc n’avait pas, lui, envie de faire les Bronzés font du ski et on n’entend que sa voix dans Le Père Noël.

Il avait pris un peu de distance avec le groupe. Michel avait envie de dire “je” avant tout le monde. Il a un peu souffert du premier Bronzés parce que ce personnage de Jean-Claude Dusse n’était pas très valorisant (rires). Il avait envie aussi de faire des films plus “respectables”. C’est un acteur formidable.

Cette période du Père Noël marque la fin du Splendid. Après, j’ai fait Enfin seul !, un spectacle qui a très bien marché, j’avais 30 ans, j’ai enchaîné des films et j’ai pu faire enfin ce que je voulais depuis le début, réaliser Pinot simple flic.

J’ai écrit par la suite un bouquin (Une époque formidable, mes années Splendid, chez Grasset), parce que j’avais envie de me souvenir, mais je réalise qu’on n’a pas forcément été marqués par les mêmes choses les uns et les autres. Quand on se voit avec Thierry, on se rappelle des trucs…

Comment fonctionne votre collectif ? Comment prenez-vous vos décisions ensemble ?

C’est un collectif d’individualistes, on est payé pareil, on essaie d’avoir des rôles identiques. C’est pour ça qu’on a arrêté, ça devenait compliqué. Si quelqu’un ne veut pas, on ne fait pas. On a mis longtemps pour faire les Bronzés 3, car untel n’avait pas envie, puis un autre ne voulait plus. On s’est retrouvés au moment où les ego étaient apaisés, on a pu faire ce film et on s’est bien marrés.

Vous avez envie de vous retrouver aujourd’hui ?

Oui, mais je pense qu’on n’aura pas le temps d’écrire ensemble. Il faudrait que quelqu’un nous présente un bon sujet et qu’il plaise à tout le monde et ça, ce n’est pas gagné (rires). Mais en ce moment, on est très occupés, on fait plein de trucs, c’est formidable.

À notre âge, on devrait être en train de planter des carottes, on est en pleine bourre !

Bio Express

Né le 4 mai 1951 à Paris, Gérard Jugnot a été popularisé à ses débuts par la troupe du Splendid aux côtés de Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Marie-Anne Chazel, Michel Blanc, Josiane Balasko et Bruno Moynot, avec Les Bronzés (1978), Les Bronzés font du ski (1979) et Le père Noël est une ordure (1982). Acteur très sollicité par le cinéma depuis le début de sa carrière, scénariste, producteur, il s’est imposé aussi comme réalisateur, notamment avec Pinot simple flic (1984), Scout toujours (1985), Une époque formidable (1991), Casque bleu (1994) et Meilleur espoir féminin (2000), ou encore Monsieur Batignole (2002) et Le PetitPiaf (2022). Il est le père du comédien Arthur Jugnot, né en 1980.

Parmi les rencontres importantes dans votre parcours, il y a Coluche, vous le racontiez dans un documentaire (Coluche, Une époque formidable), à l’occasion des 35 ans de sa disparition.

Oui, en découvrant le Café de la gare, on a eu une révélation. Il avait un talent fou.

Vous étiez reçus aussi chez lui, à Paris, rue Gazan…

On y passait beaucoup de temps, il y avait table ouverte, Thierry (Lhermitte) a même habité sur place. Il y avait une piscine, des jeux, on déconnait… Il fallait payer un peu en bons mots Coluche, mais c’était le jeu. C’était formidable et on y croisait des gens étonnants comme Pierre Bénichou, Jacques Attali, des politiques et Gainsbourg, Michel Berger, France Gall…

C’était vraiment la maison du bon Dieu et puis ça c’est un peu dégradé quand le foie gras a été remplacé par la poudre. C’était un peu triste.

Derrière le rire, il y avait beaucoup de désespoir.

Oui il avait une puissance comique, mais aussi quelque chose de désespéré, il fallait qu’il y ait du monde autour de lui il était excessif en tout. Quand il mangeait, quand il jouait, etc.

Coluche voulait réaliser Les Bronzés et vous aurait dissuadé de faire appel à Patrice Leconte, vous confirmez ?

Oui, ça c’était mal passé sur le film qu’ils avaient fait ensemble, Les vécés étaient fermés de l’intérieur et il aimait bien mettre son grain de sel partout. On était très admiratifs, mais on résistait à son influence. On prenait ce qu’il y avait de bien, mais pas tout. Il nous avait un peu pris sous son aile, mais il fallait faire attention de ne pas se faire étouffer.

C’était un grand frère. Il nous avait prêté de l’argent, comme Jean Rochefort, Eddy Mitchell, Julien Clerc. On a voulu ensuite le rembourser, on a fait un dîner, on lui a préparé un chèque, mais à la fin du repas, il l’a déchiré. C’était Coluche, à la fois tyrannique et très généreux.

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