Claire Castillon ne ressemble à personne et n'écrit comme personne. En 2014 déjà, où elle fut lauréate du prix Marie Claire du roman féminin avec Eux, sa vision étrange et percutante de la vie donnait à son réalisme explosif un parfum de fantastique, jusqu'à faire entendre à son héroïne des voix dans les murs.

Dans Son empire, avec un réalisme toujours aussi impitoyable, trouvant chaque fois la formule qui tue, elle décrit la mainmise d'un homme sur une femme, racontée par sa fille dont la clairvoyance frise l'extralucidité… Interview.

Marie Claire : Comment cette femme peut-elle continuer de subir cet amour-mépris, tour à tour brûlant ou glacial, distillé par ce pervers ?

Claire Castillon : Cela risque de ne pas être bien pris, mais j'avoue fuir ces amies un peu paumées qui se plaignent d'en être à leur quarantième pervers ! Pour certaines, c'est comme une prédisposition. Elles n'en sont pas moins victimes. Ici, cette femme manipulée est dans le déni, et prisonnière de ses bons sentiments : elle veut le "recoudre", comme dit sa fille. Car si c'est un mythomane, un détraqué à l'apparence normale, c'est au fond un malade qu'elle voudrait soigner…

Selon sa fille, "Il la prend, il la vide, il se met dedans et ne ressort jamais"…

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Oui, elle constate son emprise. Pendant un temps, la petite fille se demande quand même si c'est un ogre ou un magicien. Émanant de cet homme "gentil" qui vient de plus en plus souvent chez elle, autant que le charisme, elle perçoit la chimie d'un élément nocif qui détraque leur existence. Il agit comme une mauvaise infusion.

Vous avez déjà traité ce thème de l'emprise d'une autre manière. Quel est le ressort ici ?

Ici, l'angle est plutôt celui de la violence faite à une enfant, même si elle ne lui est pas adressée. Cette petite fille n'a pas encore les codes amoureux, mais voit sa mère qui se vide, absorbée par un vampire.

L'une et l'autre sont ambiguës, non ?

Oui, le bourreau ne fait pas tout… Car si parfois la mère lui résiste, elle est aussi complice, voulant lui plaire pour qu'il se calme. Et sa fille a envie de jeu – or il sait jouer et l'amuser – et une envie de famille qu'il satisfait, endossant le rôle de père. Mais elle sait que la fête va mal tourner.

Comme souvent, vous avez écrit une histoire dure, flirtant avec le paranormal…

J'aime l'ambiance de ce qui va exploser. Ici, la violence, uniquement psychologique, vient de ce que ça peut durer, et qu'on se demande combien de temps encore et qui pourra y mettre fin. Il y a aussi – oui, c'est un peu vaudou – comme un sort jeté par cet homme sur cette femme.

Cet article a été initialement publié dans le n°829 de Marie Claire, daté d'octobre 2021