Peut-être aurait-il fallu agir comme ses équipes, se poster devant le studio d’enregistrement, surgir en tendant le micro et demander : « Pourquoi vous ne voulez pas nous parler ? »


S’exposer à un vent monumental, ou bien entendre une réponse polie mais ferme et voir un scooter ou une voiture filer dans la nuit parisienne. Mais Yann Barthès, l’homme chez qui – naguère à Canal+, désormais sur TMC – se bousculent tous ceux qu veulent être vus et entendus, est un homme secret qui ne déteste rien plus que parler de lui-même. Alors qu’il réussit tout ce qu’il entreprend, y compris rebooster, depuis septembre 2016 avec « Quotidien », l’audience de la moribonde chaîne TMC, rejointe à la suite de son départ de Canal+.

Contacté par Marie Claire, le service de presse du groupe TF1 (maison mère de TMC, qui diffuse « Quotidien ») l’a fait comprendre clairement. Celui de Bangumi (sa société de production) a repoussé au mois de juin prochain, soit à la fi n de la saison télévisuelle, une hypothétique rencontre. Impossible, donc, de l’interviewer. On croise, dans les locaux de la rédaction de Vanity Fair qu’il dirige, Michel Denisot, l’homme qui l’a lancé, en 2004, en lui offrant, au sein du « Grand Journal » alors rayonnant, son premier « Petit Journal ».

Vidéo du jour

« Pas de problème, appelez mon assistante, on va se voir, je vais vous donner des numéros. » Une heure après, on reçoit un e-mail déroutant : « Michel ne peut pas vous donner de disponibilités pour le moment. » On écrit à Marc-Olivier Fogiel, qui fi t, lui aussi, débuter Barthès, en 2002, dans « + Clair ». « Désolé, mais j’ai cru comprendre que Yann Barthès n’avait pas apprécié les quelques mots assez banals que j’ai déjà pu dire. Je préfère m’abstenir. Bon courage. » Diantre ! Et si l’animateur et producteur culte de la télévision française, l’homme qui interviewe les plus hautes personnalités en jean et baskets, n’était pas aussi cool qu’il en a l’air ?

Silence autour de lui

Plusieurs articles publiés sur lui le laissaient déjà entendre, mais en voici la confirmation. Son surnom ? « Complicus ». On contacte un ancien collaborateur du « Petit Journal » : « Salut ! J’en ai déjà parlé de manière anonyme, ça m’a joué des tours donc pas trop chaud, désolé. »

Un autre, qui ne travaille plus, lui non plus, avec Barthès, accepte de répondre mais refuse également d’être cité : « Pour certains, “Le Petit journal” et aujourd’hui “Quotidien” sont la meilleure émission de télévision au monde. La plus cool en tout cas. C’est peut-être vrai, mais cela ne correspond pas à l’image que j’ai de Yann, encore moins de Laurent Bon, le producteur. Ces gens ne sont pas cool du tout dans le cadre du travail. Ils tolèrent assez peu la contradiction. »

L’an dernier, un article du Point étrillait « Le Petit Journal », parlant de « secte », citant plusieurs membres de l’équipe « qui racontent leur “boule au ventre” lors des réunions et un fonctionnement de cour, avec ses favoris, ses bouffons et ses disgrâces rapides. »

Animateur, rédacteur en chef et producteur – il a fondé, en 2011, avec Laurent Bon, la société Bangumi –, Barthès contrôlerait tout ce qui est susceptible de l’être. Un autre ancien : « Barthès c’est un peu Louis XIV : tu ne peux pas trop t’opposer à lui. » Mais d’autres se montrent bien plus élogieux. Salhia Brakhlia, aujourd’hui reporter à BFM, a travaillé pendant huit ans avec Yann Barthès. C’est elle que l’on voyait régulièrement se faire insulter par les militants du Front national ou de La Manif pour tous.

« Il m’a formée, et j’ai énormément appris avec lui. Au bureau, il est effectivement beaucoup plus timide et réservé qu’à l’antenne, mais il a l’humilité de celui qui ne connaît pas le terrain et qui écoute, qui veut creuser, avec qui on peut toujours discuter. »

Sans attachée de presse

En septembre dernier, Sonia Devillers l’invite dans son émission, « L’instant M », sur France Inter. Elle est drôle et brillante, il l’est tout autant, les deux vont faire la paire. Pas du tout. « Je croyais voir débarquer l’animateur triomphant du “Petit Journal” de Canal, gonflé aux stéroïdes du succès, dopé à l’hélium d’un humour très décontract, racontera-t-elle plus tard sur sa station.

J’ai vu arriver un garçon frêle (…), terrassé à l’idée d’être interviewé. Les questions ressemblaient à des attaques, les réponses à une défense bunkerisée. Ça a complètement foiré. » L’entretien est diffusé en vidéo. On y voit un Barthès effectivement tremblant, plus qu’intimidé, à mille lieues du show-man étincelant de nos débuts de soirées télévisuelles.

Plusieurs semaines après, la journaliste analyse avec plus d’acuité le drôle d’instant « M » vécu avec Barthès : « Il tremblait alors qu’il s’était surentraîné : il m’a dit avoir écouté deux cents de mes émissions avant de venir. L’interview a été ratée, mais je me suis dit que ce type aux allures de geek, venu sans attachée de presse – ce qui n’arrive jamais –, qui se transmute quand il présente son émission, est en réalité quelqu’un de très authentique et d’humain. »

Certains, dans l’entourage de la journaliste, en sont ressortis convaincus que Barthès n’était qu’une « marionnette » entre les mains de son producteur Laurent Bon – dont, en 2015, Télérama a titré un portrait : « L’homme qui murmure à l’oreillette de Yann Barthès », et a plus récemment obtenu une interview. Que son aisance et son esprit de répartie légendaires n’étaient que factices, que ses textes étaient écrits à l’avance.

Sonia Devillers : « L’interview que j’avais réalisée m’avait décontenancée. Puis j’ai regardé la nuit électorale américaine de “Quotidien”, le 8 novembre 2016, et j’ai été époustouflée. Son talent était tellement évident dans l’improvisation, la clarté, le professionnalisme, l’intelligence. En réalité, ce mec sait faire rire et réfléchir en même temps, ce qui est loin d’être donné à tout le monde. » Du coup, pour apprivoiser son stress, et parce qu’il adore son métier, Barthès travaille comme un fou.

En juin 2014, Denisot confiait au magazine GQ : « C’est lorsque tu n’as pas assez bossé que ton ventre fait des loopings dès que le générique commence. » Le journaliste, qui se décrit lui-même comme un « workaholic », écrit effectivement tous ses textes et n’a recours à aucun auteur.

Un savoyard secret

Au début des années 2000, lorsqu’il commence à la télévision, il est un homme très réservé qui, contrairement à bien d’autres, ne rêve pas de passer à l’antenne. Ses dents ne rayent pas le parquet des studios télé. Il ne sort pas des plus prestigieuses écoles de journalisme de Lille ou de Paris mais du plus modeste Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine. Avant cela, il n’a
guère brillé en fac d’anglais : « En fait, j’étais tellement fainéant qu’on a fait un deal : l’université me donnait mon DEUG si je changeais d’établissement », raconte-t-il un jour au site internet StreetReporters.net.

Ariane Massenet est une de ses amies, et elle l’a vu débuter. Les deux s’apprécient tant que lorsque L’Express lui a demandé ce qu’il emmènerait sur une île déserte, Barthès a répondu : « Ariane Massenet ! Comme ça je suis sûr de ne pas m’ennuyer. » « On dit souvent de lui qu’il est “mystérieux”, mais c’est absurde. Ou alors il l’est en miroir de ce que les gens de la télé sont le plus souvent. Non, il ne sort pas tous les soirs et ne passe pas son temps dans les boîtes de nuit ; contrairement à d’autres, il ne s’attarde pas à la sortie des restaurants pour se faire reconnaître, et si, en arrivant, le restaurateur lui propose la meilleure table, il sera affreusement gêné et refusera. »

Mouloud Achour, un autre de ses amis rencontrés par l’entremise de Denisot, ajoute : « Il n’a aucun plaisir à être célèbre. » (2) Il ne faut donc pas s’étonner si Barthès refuse toutes les demandes d’interviews… sauf au moment du lancement de « Quotidien », promotion oblige ; et sauf à quelques médias ou journalistes dont il se sent proche : GQ, Les Inrocks et, parfois, Le Dauphiné libéré.

Interdisant, de fait, de s’intéresser plus précisément à son passé, à son parcours, à l’installation à Paris du jeune Savoyard. Yann Barthès est né à Chambéry en octobre 1974 d’un père cheminot et d’une mère employée dans un cabinet notarial. On n’en saura pas plus sur cette enfance, ces instants adolescents, sur la naissance de son intérêt pour la télévision. Ou sur son admiration pour le Japon.

De 8 h 30 à 21 heures, je travaille pour la télé, alors quand j’ai fi ni mon taf j’ai besoin de passer à autre chose

a-t-il expliqué à GQ. On pourra s’étonner, peut-être à juste titre, que l’homme qui tend tellement à connaître le vrai côté des choses, notamment en ce qui concerne les personnalités politiques, se tienne autant à l’écart des médias.

Il ne s’applique pas la transparence qu’il attend des autres. Transparent, en réalité il ne l’est que très peu.

relève Nicolas Kaciaf, enseignant à Sciences Po Lille, spécialiste des médias et de la communication politique. Ce à quoi Barthès répondrait sûrement : « L’anonymat est la plus grande des libertés. C’est lorsque tu n’en bénéficies plus que tu réalises combien il était précieux. »

Les convenances transgressées

« Ce type est un génie, c’est le Lionel Messi de la télé, explique un ancien journaliste qui, lui aussi, a demandé l’anonymat. Il est le meilleur sur le terrain, mais une sorte d’autiste quand le match est fini. » Tous s’accordent à dire que, depuis toujours, Barthès sort du lot. Ariane Massenet raconte le débutant « à la précision horlogère, au sens du détail, de l’élocution et de l’écriture hors du commun ».

Salhia Brakhlia décrit son « intuition folle », sa capacité à repérer tout de suite, en visionnant les rushs, l’image qui fera parler d’elle.

Il voit ce que personne ne voit. Ça vous rend dingue !

Ce n’est donc pas un hasard si « Le Petit Journal » puis « Quotidien » sont devenus le lieu de passage obligé des stars internationales de la musique et du cinéma, mais aussi des cadors de la politique française. Là encore s’est illustré le talent de Barthès. Pour Nicolas Kaciaf, « ils ont transgressé les convenances, ce qui se montre et ne se montre pas, ce qui est déterminé par les conseillers des hommes politiques. Il se moque des faux-semblants et des hypocrisies, de la connivence, et réalise un vrai travail journalistique. »

De fait, « Le Petit Journal » a réussi son pari, que les adolescents et les jeunes adultes s’intéressent à la politique. Elizabeth Martichoux, chef du service politique de RTL, en convient : « Il dézingue de façon remarquable la langue de bois. Il a un talent fou qui nous a tous poussés à faire les choses autrement. Certains ont pris une sacrée leçon en observant l’acuité de son regard. C’est un génial fabricant de télévision. »

Un fabricant, oui, mais un fabricant engagé ? Yann Barthès serait-il de gauche ? Lorsque Sonia Devillers a abordé la question, sur France Inter, le faux cool s’est braqué. La journaliste ne voulait pourtant ni l’agresser ni le cataloguer.

Je voulais juste souligner que son émission prend souvent la défense de causes qui sont les moins partagées du moment : l’égalité des droits pour la jeunesse, les minorités, les migrants…

En réalité, Barthès est trop malin pour se laisser enfermer dans une catégorie. « Il est altruiste et humaniste, mais ce n’est pas un militant, conclut Ariane Massenet. C’est surtout le super-copain brillant, mais avec qui, bien assis au fond de la classe, on rigole beaucoup. »