Rue de la Santé, une tour qui ressemble à une résidence de bord de mer des années 50 mal fagotée. Au quatorzième étage, en sortant de l'ascenseur, on longe une coursive donnant sur une ouverture intérieure vertigineuse. « Depuis que j'habite ici, quatre malheureux se sont précipités dans le vide à quelques mètres de mon entrée. Les candidats au suicide se refilent désormais l'adresse par Internet. Le dernier candidat a raté son coup », m'annonce devant sa porte et de sa voix chantante Marcela Iacub, qui démarre fort. Nous sommes là pour parler de « M le mari* », roman tragicomique dans lequel il est question d'un mari humilié par l'intelligence et la renommée de sa femme, d'un tueur en série et d'un suspect très proche de l'héroïne.

Séparée deux fois, Marcela n'a jamais caché la complexité de ses relations amoureuses due à ce qu'elle nomme pudiquement et (un peu vachement) un déséquilibre.

Dans mon enfance, en Argentine, mes parents m'avaient poussée à faire aussi bien, sinon mieux que les garçons… et depuis, j'ai toujours vécu péniblement le fait d'être une femme plus intelligente et plus brillante que la plupart des hommes.

« Avoir plus de succès que son mari peut susciter une sorte de haine meurtrière. Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie, mais un homme que j'ai autrefois aimé m'a en quelque sorte tuée. Je respire encore, mais il m'a tuée ! C'est ce que j'ai voulu raconter dans cette histoire. Il y a quelque chose dans l'intelligence féminine qui humilie les hommes, une grande partie du malheur des femmes vient de là. L'ego narcissique surdimensionné des mâles est à l'origine de presque toutes les grandes catastrophes humaines. Les femmes ne sont pas comme ça. »

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Marcela Iacub fascine ou agace, mais elle en impose. De son héritage juif et sud-américain elle a reçu le goût pour l'inquiétude tragique de l'existence et une grandiloquence théâtrale irrésistible. Passer deux heures avec elle, c'est comme assister à un spectacle de loopings mentaux entre Commedia Dell'Arte et plongée chez les frères Karamazov. On ne connaît pas l'ennui, qu'elle confesse, au détour d'une page de "M le mari", haïr autant que la bêtise. Lucide, ultra-brillante, paradoxale dans ses réflexions, choquante et hérétique aux yeux de certains qui ne lui pardonnent pas son indépendance de jugement, Marcela est aussi injuste, brouillonne… et parfois banale, comme tout le monde.

Marcela Iacub, ou le rejet de la femme victime

« Elle est authentiquement cinglée mais attachante, c'est une des personnes les plus compliquées que j'ai jamais rencontrées », juge Manuel Carcassonne, directeur général des Éditions Stock, qui ne s'est pas entendu avec elle et a préféré renoncer à publier ce dernier livre. L'intéressée, elle, rétorque que « c'est un horrible personnage dont je ne veux plus entendre parler ». Ses ripostes sont cinglantes. Pour Yseult Williams, qui fit appel à ses talents de polémiste alors qu'elle était elle-même rédactrice en chef du magazine Lui : « Il est rare de rencontrer quelqu'un d'aussi intense et à fleur de peau. Le problème est qu'étant iconoclaste, très courageuse intellectuellement et, en même temps, très fragile, Marcela s'expose beaucoup aux coups de ses adversaires, même si elle peut facilement blesser car elle est sans filtre. Ce qui ne l'empêche pas d'être affective et affectueuse. »

Turban noir emprisonnant ses cheveux, sweatshirt gris agrémenté d'un perroquet, Marcela donne de la voix dans l'immense atelier d'artiste où, depuis huit ans, la chercheuse vit et écrit. Et aime, a-ton perfidement envie d'ajouter. Car, en pénétrant dans son antre dépouillé où s'agite Lola, sa petite chienne noire « peu compatible avec les canons hitlériens de pureté de la race », et en jetant un coup d'œil au lit sur la mezzanine, on ne peut bien sûr faire abstraction du plus gros buzz littéraire de ces dernières années. Marcela Iacub fut celle par qui le scandale arriva, en 2013, avec "Belle et bête", confessions romanesques mais très autobiographiques de sa relation ultra-sexuelle avec Dominique Strauss-Kahn, surnommé "le cochon". Drôle, enlevé, bien écrit, paradoxal comme son auteure, le livre déchaîna les passions, entre pro et anti-Iacub, pro et anti-DSK, son amant « blessé dans son honneur » pourtant déjà sérieusement entamé.

Aujourd'hui, Marcela ne veut plus entendre parler de cette histoire de cochon. Ou alors pour lui clore le groin, définitivement : « J'aime les animaux, dit-elle en allumant une cigarette. C'est la part de l'homme qui était affreuse, et le cochon était plutôt gentil. » Pourtant, peu de contempteurs de l'affaire, à l'époque, avaient relevé que cette agitation porcine masquait une bonne part de misogynie, de la part des deux sexes. En se posant en maîtresse du jeu et pas en victime, Marcela Iacub s'éloignait du chemin balisé des pleureuses qui encombrent le paysage littéraire français. « Regarde toutes ces filles qui publient des trucs sur leur enfance incestueuse ou leur mec atroce, on ne leur demande surtout pas d'être intelligentes pour vendre, mais pleurnichardes comme Christine Angot… et le résultat est zéro ! Au fond, on ne me pardonne pas de ne pas être restée à ma place. Il faut que les femmes soient un peu connes quand elles écrivent, qu'elles soient nunuches. Ce sont toujours des victimes. »

Marcela Iacub membre des "grosses têtes" chez Laurent Ruquier

La victimisation à outrance des femmes, voilà un de ses chevaux de bataille, et le fossé qui sépare cette féministe « libertaire » de ses « sœurs » de combat, jugées « has been » sur le sujet comme sur l'évolution des mœurs. « Pour une éducation de la débauche », « Du droit des putes à disposer d'elles-mêmes », « Philanthrope comme un bénévole sexuel » : ces thèmes, développés dans « Libération fossé », sont violemment rejetés par les féministes « canal historique », qui ne se privent pas pour l'assaisonner à leur manière. Contactée, Isabelle Alonso dégaine sa « kalach » : « Je trouve ses déclarations sur le viol si méprisables et ignobles que je regrette même de perdre quelques minutes pour vous en parler. Cette personne, que j'ai côtoyée dans l'émission “Les grosses têtes”, est pathétique, tellement abjecte dans ses propos que, non, décidément, elle mérite plutôt le silence et l'oubli qu'une mise en lumière. »

« Elles peuvent dire ce qu'elles veulent, les vieilles féministes se trompent de cible, réplique Marcela. Le pire ennemi des femmes c'est l'enfant, la famille, et pas l'homme », répète-t-elle avant d'enfourcher son nouveau cheval de bataille : la solitude programmée des êtres humains une fois que les enfants se font la malle. « Pourquoi ne pas créer des lieux assez grands dans lesquels des adultes encore jeunes puissent vivre ensemble ? Le plus dramatique, dans une séparation, c'est l'après-couple : qu'est-ce que tu fais, après ? Comment gérer les interstices ? Contrairement à ce que certains avancent, je ne veux pas revenir en arrière, mais je me refuse à accepter la misère sociale, amoureuse et sexuelle qui est devenue la nôtre. » Vivant seule, et l'assumant sans doute modérément, cette nostalgique des phalanstères de Charles Fourier rêve d'acheter un hôtel avec quelques proches et d'en réserver les parties communes aux conversations animées, le sel de la vie de cette sabreuse de mots et d'invectives brouillée avec sa mère, parmi tant d'autres.

Je suis là pour incarner celle qui se moque des dictateurs de la pensée, pour être ridiculisée et faire rire.

Désormais personnalité médiatique en phase ascendante depuis "Belle et bête" et parachutée "grosse tête" à temps partiel chez Laurent Ruquier, Marcela est devenue un être hybride, mi-intellectuelle mi-amuseuse publique. « Je n'osais pas lui proposer, je pensais qu'elle allait me dire non… Après tout, elle vient du CNRS ! Mais pas du tout : elle a accepté tout de suite ma proposition », confie Laurent Ruquier, qui ajoute : « Elle est singulière et possède un humour fou. »

« Le soir, mes parents aimaient chanter au salon, mais je n'osais pas les accompagner car ils me disaient que j'avais une voix ignoble. Tout d'un coup, tout le monde a dit que je possédais la voix la plus sexy de la radio française, lâche Marcela, dans ce mélange presque touchant de naïveté prétentieuse. Je trouve très beau ce qui se passe aux “Grosses têtes”, parce que l'intellectuel français est toujours dans la posture de sinistre donneur de leçons, et là c'est le contraire : je suis là pour incarner celle qui se moque des dictateurs de la pensée, pour être ridiculisée et faire rire. N'est-ce pas aussi le rôle de l'intellectuelle que d'assumer cette posture courageuse ? » Sans doute, mais à condition de savoir manier le grand écart, comme en est capable cette grande amie de Cristina Cordula, la kitchissime « reine du shopping ».

La vie entre deux déconnades chez Ruquier ? Moins drôle mais ressemblant plus à ce qu'elle est, au fond, lorsque les lumières s'éteignent. « J'écris un livre sur l'islamisme et sur l'attitude totalement à côté de la plaque de la gauche sur cette question. Je vais démontrer comment elle ne comprend rien à ce qu'il se passe. » Il se passe en tout cas toujours quelque chose dans la vie de Marcela Iacub. Avec ou sans cochon, avec ou sans mari.

(*) « M le mari », éd. Michel Lafon.