Joey Starr: l'interview sans concession!

Joey starr dans Marie Claire ? La bombe était lâchée. On a pris le pari, il l'a relevé. Avant d'embraser le Parc de Princes avec NTM, le roi du rap nous dit tout : la honte de ses coups donnés aux femmes, ceux reçus par son père, l'amour pour ses enfants... Interview sans concession

Joey starr a mis le feu à la rédaction. A sa seule évocation, un débat incandescent, des empoignades, des convictions scandées, argumentées, débattues, réaffirmées. La question : Joey starr doit-il ou non être dans Marie Claire ? D'un côté, les partisanes du « non » : parce qu'il a levé la main sur des femmes, il n'a rien à faire dans nos pages. De l'autre, l'envie de ne pas enterrer d'avance un artiste sans l'avoir écouté, lui laisser la possibilité de se présenter, de s'expliquer. Quel regard Joey starr porte-t-il sur ses actes passés ? Veut-il changer ? A-t-il changé ?

Rendez-vous est pris au Costes, mercredi, 15 heures. Il commande un lait à la fraise. Derrière ses lunettes noires, essayer de voir ses yeux. Pendant une heure et demie, il a répondu, avec calme et franchise, à toutes nos questions. Toutes. Le 19 juin, il sera avec NTM au Parc des Princes. Puis sortira son album « Egomaniaque », écrit seul et en prison.


Joey Starr: "Mes deux nains ont l'air heureux. Ça me rassure et ça m'apaise."

MC: Si je vous demandais de vous présenter ?

Joey Starr: J'ai très mal dormi donc je suis de très mauvaise humeur. Je la pratique un peu comme un sport. Je me considère avant tout comme un musicien. Je crois que je fais un peu peur à tout le monde car je vis à l'humeur. Je ne me force à rien, et parfois, ça m'emmène dans des sentiers un peu sinueux.

MC: Dans votre autobiographie « Mauvaise réputation », vous racontez votre enfance avec un père qui vous battait.

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Joey Starr: Je ne suis pas ce qu'on appelle un enfant du placard. Mon père était assez dur. Il a reproduit ce qu'il a vécu. Il faut comprendre : on l'obligeait à travailler, mais lui voulait absolument aller à l'école, et quand on l'attrapait, il se faisait rosser. Il a fait avec ses outils.

MC: Je vous trouve d'une grande mansuétude à son égard.

Joey Starr: Parce que j'ai grandi avec lui tout seul. Vers qui me tourner ? C'est un peu le syndrome de Stockholm.

MC: Vous ne vous êtes jamais révolté ?

Joey Starr: Jamais. Le seul jour où je l'ai fait, je suis parti. J'habitais dans une cité et je voyais des jeunes taper sur leurs parents devant tout le monde. Je m'étais promis de ne jamais le faire.

MC: Comment faire pour échapper à la reproduction ?

Joey Starr: Je ne sais pas. C'est un peu mal barré puisque je suis déjà séparé de la mère de mes enfants. C'est l'un des plus grands échecs de ma vie, mes petits n'ont que 2 et 4 ans. Contrairement à mon père, qui n'avait pas cette patience, j'ai bien assimilé qu'un gosse a tous les droits car il n'est pas accompli, pas fini. Moi, à l'âge de mon plus petit, j'avais déjà pris des roustes. Lui n'en a jamais reçu et ça se voit : il est curieux, il parle. Moi je ne parlais que lorsqu'on me le disait. Je n'étais pas très souriant quand j'étais jeune. Mes deux nains ont l'air heureux. &CCcedil;a me rassure et ça m'apaise.


Joey Starr: "J'ai un sac à dos rempli de pierres"

MC: Quand avez-vous compris que les coups, ce n'était pas normal ?

Joey Starr: Tout jeune. Surtout quand tu as un père qui te dit : « Mets-toi en slip », et qu'il envoie. (Silence.) Je ne me vois pas du tout faire ça à mes enfants. Je serais désarmé... Comme j'ai pu l'être quand j'ai eu des heurts avec les femmes avec qui j'ai vécu. La violence me désarme complètement.

MC: C'est-à-dire ?

Joey Starr: Je ne suis pas le genre de mec qui rentre chez lui et bat sa femme. Ce qui se passe est passionnel. Je n'ai jamais eu de velléité de cogner pour avoir raison ou pour avoir le dernier mot, comme ce que j'ai pu subir. Ça n'a jamais été ça. Je pense m'exprimer assez bien pour essayer de prendre des sentiers qui détournent la violence. Mais je choisis des femmes comme moi, des personnes à problèmes, des écorchées.

MC: Vous avez dit : « Je ne battais pas les femmes, on se battait. » C'est ainsi que vous l'expliquez ?

Joey Starr: Oui. Vous voyez ces cicatrices, là ? (Il montre son cou, ndlr.) C'est la première fille avec qui je suis allé au tribunal qui me les a faites : elle a cassé une coupe de champagne et me l'a enfoncée là et là. Avec la mère de mes enfants, nous sommes aussi allés au tribunal. Il faut lire le procès-verbal. Quand on lui a demandé : « Est-ce lui qui vous a frappée le premier ? », elle a répondu : « Non, j'étais énervée, c'est moi. » Ça ne justifie rien, je veux juste expliquer de quelle manière se font les choses. La mère de mes enfants est sortie première de Penninghen, à bac+5, est quelqu'un d'assez réfléchi. Mais elle a aussi eu une enfance très dure. Je pense qu'on se retrouve. A un moment on s'est dit : « On arrête, on ne peut plus. On n'arrive plus à se parler. » On sentait que ça pouvait partir n'importe quand.

MC: Vous pensez que la responsabilité est égale entre vous ?

Joey Starr: J'estime que c'est moi le plus vieux, donc c'est de ma faute. Je suis l'homme aussi, je me dois d'être responsable. Ça, c'est un peu de machisme.

MC: Quand vous faites le geste de frapper, ne vous dites-vous pas : « Je fais comme mon père » ?

Joey Starr: Mais bien sûr. Je n'ai pas cette pensée immédiate à ce moment-là, mais j'ai ensuite toujours cette distance. Je suis marqué au fer rouge. Cette impression de déjà-vu, c'est pire que tout. J'écris, je réfléchis. J'ai un sac à dos rempli de pierres.


Joey Starr: "L'amour crétinise, tant que tu es crétin c'est beau"

MC: La prison force-t-elle encore plus à regarder les choses en face ?

Joey Starr: Je n'ai pas besoin d'être en prison pour y penser. Sinon, c'est que tu es une bête. Et ce n'est pas en prison qu'il faut te mettre, c'est dans une niche.

MC: Quand on aime une femme et qu'on est passé par la violence, qu'est-ce que ça change ?

Joey Starr: Tout. Ça éteint plein de choses. L'amour crétinise, tant que tu es crétin c'est beau. La violence altère la confiance. On ne se regarde plus de la même manière, on s'épie. Moi je suis très casanier, je fais à manger, je m'occupe de mon chez moi. J'en ai besoin pour affronter le dehors. A partir du moment où notre relation se dégrade, cela devient très difficile.

MC: Avez-vous pu un jour en parler franchement avec la femme avec qui vous viviez ?

Joey Starr: A chaque fois.

MC: Avez-vous déjà ressenti de la honte à avoir frappé ?

Joey Starr: Oui, bien sûr. Complètement. Et ma honte est acide. Elle brûle. Mais je n'ai pas besoin de l'œil de l'autre pour ça. J'ai appris à vivre pour moi et ce que pense l'autre, ce n'est pas ce qui remplit mon frigo. Moi et moi-même on ne se sent pas bien dans mon slip. J'ai honte par rapport aux femmes avec qui c'est arrivé. Je suis très enclin aux remords. Sinon tu es une bête. Je ne suis pas une bête.

MC: Peut-on guérir de sa violence ?

Joey Starr: L'âge aidant, oui. Tout est histoire de climat que tu installes. La mère de mes enfants et moi, on a fait un gosse la première fois qu'on a copulé. On s'est retrouvés comme deux gamins avec deux petits gniards, on a appris à se connaître. Mais je suis content, car même si je n'ai pas trouvé la femme qu'il me fallait, j'ai au moins trouvé la bonne mère pour mes enfants. Je crois l'avoir entendue dire la même chose de moi.


Joey Starr: "J'ai horreur de me faire draguer"

MC: Comment grandit-on sans mère ?

Joey Starr: Comme on peut. Mon père a fait office de tout. C'est aussi pour ça que je ne peux pas le détester. Dès que je regardais vers lui, je voyais tout.

MC: Vous pensez que ça a eu quelles conséquences dans vos rapports avec les femmes ?

Joey Starr: Je ne sais pas. Mais avoir vu beaucoup de passage quand j'étais jeune ne m'aide pas à rester un homme d'une fidélité indéboulonnable. Déjà je suis antillais, chanteur... J'ai eu beaucoup de mal à rester fidèle. Ce besoin de savoir si tu plais encore me vient de mon père. J'ai besoin de charmer.

MC: Vous êtes un séducteur ?

Joey Starr: Oui, mais malgré moi. Je me retrouve dans des situations et je me dis : « Mais qu'est-ce que t'es en train de faire là ? » En revanche, j'ai horreur de me faire draguer.

MC: Pourquoi ? C'est intéressant ça...

Joey Starr: Ça casse quelque chose. Moi, j'ai besoin de lutter, j'ai besoin qu'on me dise « non » pendant des lustres. Je reste tapi dans l'ombre et j'attends le bon moment. J'insiste. N'étant pas sûr de moi, me répondre « non » est une étape normale. On me met en position de challenge et j'adore ça, forcément.

MC: Vous avez retrouvé votre mère à 23 ans. Quelle relation avez-vous aujourd'hui avec elle ?

Joey Starr: Je suis très amoureux de ma mère. Je la respecte. Elle en a beaucoup bavé, la pauvre. Elle est très chrétienne, mais pas comme les grosses familles cathos qui votent FN. Elle est dans la compassion et passe son temps à prier pour les autres devant sa petite vierge en plastique. En ce moment, j'ai une fiancée et à chaque fois qu'elle nous voit, elle dit : « Je n'arrête pas de prier pour vous. » C'en est gênant.


Joey Starr: "Didier Morville voit un peu plus la vie en rose que Joey Starr"

MC: Pensez-vous que vous vous marierez un jour ?

Joey Starr: Je crois qu'il va falloir. Pour rassurer, plus que pour moi.

MC: Vous en pensez quoi, vous, du mariage ?

Joey Starr: Rien de bien. On sacralise quelque chose qui fait partie de la vie : rencontrer quelqu'un et vivre avec. Devoir apposer sa signature pour ça... Mais je le ferai pour faire plaisir.

MC: C'est gentil.

Joey Starr: Non, « gentil » ce n'est pas le mot. Ça ne m'intéresse pas.

MC: C'était un vrai désir pour vous d'avoir des enfants ?

Joey Starr: Oui. Vers 35 ans, ça marchait grave professionnellement, mais lorsque je rentrais le soir, je tournais en rond. C'est bien beau de s'envoyer en l'air avec des copines, mais à un moment, tu as envie de briller pour quelqu'un, avoir des yeux qui te renvoient quelque chose sur ce que tu es, sur ce que tu donnes. Du coup, j'embrassais le cul de Dieu. Ma mère a horreur que je dise ça. Elle, elle dit : « Se droguer. »

MC: Quel père vous voudriez être ?

Joey Starr: Ecoute, à chaque fois que j'ai dit : « Je ne ferai pas ça », j'ai fini par le faire. L'important, c'est d'être attentif. Kool Shen a écrit une phrase super-belle : « Ne le laisse pas chercher ailleurs l'amour qu'il devrait y avoir dans tes yeux. » J'aimerais bien l'appliquer. Parce que ça m'a beaucoup manqué.

MC: Avez-vous beaucoup d'amies femmes ?

Joey Starr: Oui, mais pour moi, c'est comme les cordes d'une guitare : je me fous de la question du sexe. Vous avez vu : j'appelle mes deux attachées de presse « les gars ».

MC: Qui est Joey Starr ?

Joey Starr est un haut-parleur, musicien de surcroît, qui a une assez bonne lecture de son époque, mais qui n'est pas toujours au contrôle du vaisseau.

MC: Et qui est Didier Morville (son vrai nom, ndlr) ?

Joey Starr: Il s'efforce d'être un père de famille, épicurien, ça serait bien. C'est mon garde-fou. Didier Morville voit un peu plus la vie en rose que Joey Starr. C'est le petit lutin amoureux qui se balade en Joey Starr de temps en temps.