Alors que le Premier ministre a annoncé pour l'automne la présentation au Parlement de l'extension de la PMA aux couples homosexuels et aux femmes seules, la philosophe Sylviane Agacinski publie dans la petite collection "Tracts" de Gallimard un texte intitulé "l'Homme désincarné". Une réflexion sur la production d'enfants en laboratoire.
Marianne : L'opinion semble majoritairement favorable à cette évolution qui nous est présentée comme un progrès et l'accès à un droit de personnes qui en étaient privées. Vous contestez cette logique ?
Sylviane Agacinski : Je me méfie d'un progressisme pour lequel les sciences et les techniques sont la seule source de vérité. Bien sûr, nous avons besoin des sciences, particulièrement dans le domaine médical, mais aucune connaissance scientifique, aucun procédé technique, ne peut nous dire ce qui est bien ou mal ou ce qui est juste ou injuste. Or, on voit qu'une certaine idéologie progressiste est aveugle aux exigences éthiques, juridiques et politiques qui formaient le socle de notre civilisation depuis les Grecs. Tout se passe comme si nous n'avions plus d'autre ambition que de dominer la nature et de changer notre propre nature grâce à la puissance techno scientifique. D'où les rêves les plus fous du transhumanisme, qui nous promet d'échanger la vie humaine, fragile et sensible, contre des êtres fabriqués et de plus en plus performants. Cette idéologie élimine les questions fondamentales, c'est-à-dire : comment vivre humainement les uns avec les autres ? Comment établir dans la société des lois et des institutions justes ? Ce sont ces questions éthiques qui m'intéressent, celles que pose la philosophie, depuis Aristote jusqu'à Paul Ricœur. Si nous les abandonnons, nous tombons dans un relativisme total.