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"Censure" pour les "impurs" : la gauche riante de Geoffroy de Lagasnerie
Capture d'écran France Inter

"Censure" pour les "impurs" : la gauche riante de Geoffroy de Lagasnerie

Champion de la tolérance

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Entre refus de la légitimité de la loi au profit de valeurs morales et exclusion du champ politique de ceux n'adhérant pas aux dites valeurs, le philosophe et sociologue Geoffroy de Lagasnerie a théorisé ce mercredi 30 septembre sur France Inter la rupture de la gauche avec les principes républicains et démocratiques.

"Le juste et le pur" et "un certain nombre de censures dans l'espace public" : sacré programme. Ce mercredi 30 septembre, le philosophe et sociologue Geoffroy de Lagasnerie était invité sur France Inter pour présenter son dernier ouvrage, Sortir de notre impuissance politique. Entre refus de la légitimité de la loi au profit de valeurs morales et exclusion du champ politique de ceux n'adhérant pas aux dites valeurs, l'intellectuel radical a théorisé la rupture d'une partie de la gauche avec les principes républicains et démocratiques.

Selon le sociologue, les modes de contestation traditionnels de la gauche - manifestation, grève -, ont perdu leur "capacité d'action, de transformation, pour être seulement des formes d'expression", si bien que la gauche "milite beaucoup plus en automate qu'en stratège", sous des "formes d'actions rituelles, instituées".

"Le mouvement social est devenu une forme de réaction à la réaction et appelle gagner ce qui est ne pas perdre", constate Geoffroy de Lagasnerie. Citant en exemple l'agriculteur Cédric Herrou, finalement relaxé par la cour d'appel de Lyon après avoir été poursuivi pour avoir convoyé et accueilli 200 migrants à la frontière italienne, le philosophe privilégie l'action directe "parce que c'est une action où vous faites le temps politique, c'est une action où vous imposez à l'Etat votre propre légalité, où vous dites : voilà le monde que je veux voir venir (...)."

"Ce qui compte c'est la justice et la pureté"

Dans la vieille lutte philosophique entre le droit et la morale, Geoffroy de Lagasnerie choisit clairement son camp : "Vous savez, le respect de la loi n'est pas une catégorie pertinente pour moi, ce qui compte c'est la justice et la pureté, ce n'est pas la loi", explique-t-il. Et tant pis si la loi en question, perfectible en pratique, est au moins sur le plan théorique issue du "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple", soit de la souveraineté populaire. "La personne la plus condamnée de France, c'est le préfet de police de Paris, qui a 135 condamnations au tribunal administratif pour des manœuvres dilatoires sur la question de la demande d'asile, donc je ne crois pas que les gouvernants obéissent beaucoup à la loi. Je ne vois pas pourquoi nous on devrait le faire" explique le Geoffroy de Lagasnerie. Tant pis, aussi, si les condamnations du préfet de police sont justement l'effet de l'application de la loi.

Reste à savoir qui définit "la justice et la pureté". Rien de plus facile, à croire Geoffroy de Lagasnerie : "C'est l'analyse sociologique. C'est-à-dire que vous pouvez établir dans le monde social qu'il y a un certain nombre de mécanismes qui produisent de la persécution ou la mise à mort prématurée d'un certain nombre de populations." Comme dans Le Bon, la brute et le truand le monde se divise en deux catégories : "Si jamais vous produisez une action qui lève ces systèmes de persécution, qui soulagent les corps de la souffrance, vous produisez une action qui est juste et qui est pure. Et si à l'inverse vous prenez des mesures qui renforcent l'exposition des corps à la persécution, alors vous êtes impur et vous êtes injuste."

Mais donc, comment savoir qui sont les gentils, et qui sont les méchants ? "C'est objectif, tout le monde le sait" répond le philosophe. "Tout le monde sait très bien ce que c'est qu'un corps qui souffre, tout le monde sait très bien qu'il y a des clochards dans la rue. Quand Macron dit qu'il n'y a pas de pénibilité du travail, il le sait qu'il y a de la pénibilité. (…) Quand il dit qu'il n'y a pas de violences policières et qu'on voit les vidéos du Burger King pendant les gilets jaunes (…). Il voit très bien qu'en niant ces réalités, il active des systèmes de pouvoir de dénégation qui permettent de perpétuer des systèmes de persécution." Soit, mais outre ces exemples relevant de l'évidence, n'existe-t-il par ailleurs aucune nuance entre les croyances, valeurs, convictions et idées de nos concitoyens, lesquels sont sincèrement convaincus de penser justement ?

"Le but de la gauche, c'est de produire des fractures"

Il faudrait donc pouvoir en débattre rationnellement pour arriver à un compromis, mais Geoffroy de Lagasnerie n'est pas non plus d'accord avec cela. "Moi je pense que le but de la gauche, c'est de produire des fractures, des gens intolérables et des débats intolérables dans le monde social. Il faut savoir qu'il y a des paradigmes irréconciliables. Moi je suis contre le paradigme du débat, contre le paradigme de la discussion", avance-t-il.

De sorte que les impurs n'auraient tout simplement… plus voix au chapitre dans le débat public : "Je pense que nous perdons notre temps lorsque nous allons sur des chaînes d'info débattre avec des gens qui sont de toute façon pas convaincables", continue le philosophe. "En fait nous ratifions la possibilité qu'il fasse partie de l'espace du débat." Si bien que Geoffroy de Lagasnerie assume complètement de mettre en pratique une forme d'ostracisme : "Je pense que la politique est de l'ordre de l'antagonisme et de la lutte et j'assume totalement le fait qu'il faille reproduire un certain nombre de censures dans l'espace public, pour rétablir un espace où les opinions justes prennent le pouvoir sur les opinions injustes."

"Plus que la censure - parce que je ne suis pas favorable à l'appareil d'Etat -, je suis favorable à une forme de mépris que la gauche doit avoir pour les opinions de droite", précise encore l'intellectuel. "Quand vous avez sur une chaîne d'info en continu des débats d'extrême droite ou semi racistes, tout le monde sait que c'est fait pour ça, et tout le monde va se mettre à réagir ça. (…) On se met à être contaminé dans nos espaces de gauche par ces prises de parole complètement délirantes plutôt que les laisser tranquilles dans leur coin à faire le silence, les renvoyer à leur insignifiance." Après la gauche de combat, la gauche de désertion

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne