Accueil

Agora Entretiens et débats
Mazarine Pingeot : "Le capitalisme fait oublier la cause du désir, le manque fait de nous des sujets sensibles"
Et si ce dont nous manquions le plus aujourd'hui, c'était du manque lui-même ? C'est la thèse défendue par la philosophe Mazarine Pingeot, dans son dernier livre.
AFP or licensors

Article abonné

Mazarine Pingeot : "Le capitalisme fait oublier la cause du désir, le manque fait de nous des sujets sensibles"

Entretien

Propos recueillis par Isabelle Vogtensperger

Publié le

Je m'abonne pour 1€

Professeur agrégée de philosophie à Sciences Po Bordeaux, Mazarine Pingeot publie un nouveau livre « Vivre sans » (Flammarion), dans lequel elle analyse une notion dont il semble impossible de se passer : le manque.

Et si ce dont nous manquions le plus aujourd'hui, c'était du manque lui-même ? C'est la thèse défendue par la philosophe Mazarine Pingeot, dans son dernier livre Vivre sans (Flammarion). Dans cet ouvrage, elle puise dans l'histoire des idées afin de comprendre en quoi le manque est à la fois indispensable et insupportable aux individus. Selon l'autrice, le capitalisme tire partie de cette situation, à travers le consumérisme.

Marianne : Le manque caractérise-t-il notre société ?

Mazarine Pingeot : Notre société refuse le négatif, le tragique de nos existences et nous promet le bonheur à travers des injonctions de transparence, de consommation, d’interrelations dont je souligne les dangers. D’une part, parce que la possession est la mort du désir, d’autre part parce que cette vision du monde rétrécit notre espace sensible, appauvrit notre capacité à penser, à chercher la vérité au-delà des apparences et des illusions. Le désir, pour exister, se construit dans l’indigence, l’expérience de la différence, le questionnement, l’imprévisible, faisant échec à toute volonté de savoir et de maîtrise.

Je pense qu’aujourd’hui, les modèles dominants de pensée ne laissent plus de place à l’incertitude, au doute, à l’esprit critique, soit parce qu’ils les rejettent à travers des dogmatismes religieux, scientifiques ou économiques, soit parce qu’ils proposent des vérités alternatives, souvent relativistes. Kant l’avait déjà énoncé dans sa préface de la première critique quand il parlait d’oscillation entre le dogmatisme et le scepticisme. On y est aujourd’hui.

Pour Platon, Éros n’est jamais dans l’opulence ni dans l’indigence, mais dans une tension permanente entre ces deux extrêmes. Au contraire, dans notre rapport consumériste à l’objet, s’impose une logique binaire, indépendante de l’attente et du désir : avoir ou ne pas avoir. Quelle est la conséquence sur notre manière d’aimer, d’être au monde ?

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne