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François de Closets : « La liberté est à construire, quitte à se tromper »

Dans un essai décapant, l’essayiste dénonce l’égoïsme de la génération des boomers (nés entre 1946 et 1960). Pour rompre avec cette « France au service des Français », il propose l’instauration d’un conseil de prévision pour les futurs retraités.

Temps de lecture: 6 min

Vous opposez une France conquérante à une France démissionnaire. Quand s’est faite la rupture ?

Cette rupture est inscrite dans les chiffres. La France des années 60 est une France qui a une croissance extraordinaire, qui équilibre parfaitement ses finances. C’est une grande puissance industrielle et elle est quasiment à la tête de l’Europe.

La France des années 70 accumule les déficits et commence à s’enfoncer. On trouve l’instant exact de cette rupture au moment du premier choc pétrolier, quand chacun se demande qui va payer l’augmentation du prix de l’essence… Or, Georges Pompidou n’a que le mot croissance à la bouche. Le Président, qui a négocié mai 68, est obsédé par le caractère explosif des Français. D’où sa fameuse phrase : « Faut pas les emmerder ! » D’où l’idée de faire payer les entreprises en augmentant leurs charges. Les salaires ont continué d’augmenter et les Français n’ont perçu aucune crise…

C’est la rupture avec la conception gaulliste de la Nation ?

Tout à fait ! De Gaulle avait mis les Français au service de la France, là on a mis la France au service des Français. Il ne fallait rien faire qui puisse les contrarier ! Même si les institutions perduraient, on a en fait basculé dans une autre République. Mais il ne faut pas donner à croire que le mouvement de 68 a été lui seul la cause de ce changement. La vérité, c’est que les Français des années 60 ont suivi De Gaulle mais sans avoir envie de servir la France. Ils découvraient le confort et trouvaient finalement que « le vieux » les embêtait. Raison pour laquelle ils l’ont fait partir. J’ai beaucoup travaillé sur cette histoire contemporaine à travers mes livres et j’ai eu tendance à mettre en cause les partis politiques, les syndicats, les corporations, alors que l’acteur principal de tout cela, ce sont les générations !

“Le danger évident de vivre une époque aussi heureuse, c’est de ne pas être prêt quand les choses deviennent difficiles”

Les boomers sont les enfants de parents qui ont connu la guerre, les privations, comment leur en vouloir de cette soif de plaisirs et de consommations ?

Cette génération d’après-guerre n’a de fait connu que la consommation et veut maintenant profiter de la vie. Je l’appelle la génération « Mittrac », c’est-à-dire Mitterrand-Chirac. On habille cela de gauche, de droite, mais l’objectif générationnel est le même. C’est le paradigme de l’individu roi et la fin de la suprématie du collectif sur l’individuel. L’histoire est tragique et faite de guerres, d’épidémies et de famines. Tout d’un coup, à partir de 1965, il n’y a plus rien eu de tout cela. On a cru que cela allait toujours être comme ça, sans guerre, sans crise, et après tout on l’avait bien mérité… On s’est installé dans cette insouciance. Or il s’agissait d’une parenthèse, qui s’est refermée en 2020 avec le retour de l’épidémie puis de la guerre. On ne peut reprocher aux boomers d’avoir profité de cette période enchantée. Mais le danger évident de vivre une époque aussi heureuse, c’est de ne pas être prêt quand les choses deviennent difficiles.

Le confort a rendu égoïste toute une génération ?

Il y a 2 500 ans, l’homme était libre mais au service de la cité. Cette idée de liberté civique s’est imposée. Or, on s’aperçoit aujourd’hui que la croissance, le progrès technique ont fait disparaître cet état d’esprit au profit d’une liberté individuelle qui fait que je ne suis plus un citoyen, mais un client-consommateur d’une entreprise tout risques qui s’appelle la France. La France me doit des choses mais je ne lui dois rien. La liberté aujourd’hui est beaucoup moins à défendre contre les pseudos-atteintes à la liberté individuelle (je pense au port du masque et au vaccin !), que contre la pression de tous les conformismes. La liberté n’est pas à défendre, elle est à construire, quitte à se tromper. Ce qui m’est insupportable c’est le conformisme de la pensée ; quand quelqu’un vous dit : « À l’époque, tout le monde pensait ça… » Il faut penser par soi-même. J’ai une admiration sans borne pour ces résistants de 1940, qui n’étaient ni juifs ni communistes, et qui auraient pu rester tranquilles…

Une conformité et un égoïsme qui se retrouvent selon vous dans l’organisation de la retraite ?

La façon dont nous posons le problème de la retraite est aberrante ! Nous faisons de la retraite un progrès social. Ce fut vrai pour celle du mineur de fond et ça le demeure pour ceux qui ont un métier difficile. Notre système fait que la retraite est payée d’une génération à l’autre. Or aujourd’hui, la génération qui reçoit a une situation beaucoup plus favorable que celle qui paye. Il y a 3 fois plus de pauvres chez les moins de 30 ans que parmi les plus de 70 ans. Je crois qu’on ne peut plus continuer à parler des retraités. Il y a les seniors de 60 à 80 ans qui peuvent très bien encore avoir une activité et ensuite les vieux, qui ont d’autres besoins. Or, nous n’avons ni le personnel ni l’argent pour s’occuper de ces derniers, de plus en plus nombreux.

D’où votre réflexion sur l’idée d’un conseil de prévision pour les quinquagénaires ?

Ma proposition de conseil de prévision est concrète et s’inspire de ce qui se passe dans les pays nordiques. Durant toute notre enfance, on apprend à être adulte, mais quand apprend-on à être vieux ? Quand on étudie les chiffres sur l’espérance de vie en bonne santé, on est stupéfait de voir que les Français ont dix ans de moins que les Suédois. D’abord parce que notre médecine est plus curative que préventive, ensuite parce que notre façon de vivre est moins saine. Donc il faut apprendre ce qu’est la vieillesse à partir de 50 ans et ensuite organiser son vieillissement, notamment professionnel. C’est le sens du passage devant un conseil de prévision, avec la perspective d’un service non pas militaire, mais social. Avec des engagements en fonction de son âge de départ à la retraite. Plus j’arrête tôt, plus j’aide les autres. Ce serait en fait la mise en place d’une réserve civile, un peu sur le modèle pompiers volontaires. Si je résume, les actifs aident les seniors en cotisant, les seniors aident les vieux. Et les entreprises doivent apprendre la mise en place des retraites progressives avec une évolution des tâches. Le débat sur les retraites est complètement faussé puisque les syndicats font de la retraite un progrès social, alors que la génération des boomers est devenue une génération prédatrice qui a tout organisé à son profit au détriment des plus jeunes.

À lire : « La parenthèse boomers » (Fayard), 314 pages, 22 euros.

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