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Lifestyle - Rencontre

Quand Chantal Goya passe à l'âge adulte… ou pas

Carrière avortée au cinéma, engagements sociétaux, envie de non-changement… L’infatigable égérie des bambins laisse ses costumes et la guimauve de côté pour répondre aux questions de « L’Orient-Le Jour ». Conversation mature garantie, loin de la « Route enchantée ».

Quand Chantal Goya passe à l'âge adulte… ou pas

Chantal Goya quelques heures avant son spectacle sur la scène du théâtre du Casino du Liban, le 30 mars 2024. Photo Raphaël Abdelnour

« On a toujours dit que j’étais un peu conne… Maintenant, on a ajouté un i devant ! » Quand elle n’est pas devant des enfants, Chantal Goya se lâche. Chemisier Sézane bariolé, baskets beiges assorties à son pantalon à coupe large, l’idole des petits est sûre d’elle. À quelques heures de sa première représentation au Casino du Liban, elle a rangé ses robes à froufrous au placard, le temps d’un entretien.

L’espace d’une seconde, la tête poussiéreuse de Bécassine traverse les coulisses. Pas besoin de botox, la cousine préférée des Français n’a pas pris une ride. Comme elle, Chantal Goya semble figée dans le temps. Et elle assume. « Moi, je n’aime pas changer de look, de coupe, de conjoint… Y en a qui ont 50 maris, j’en ai qu’un ! » Le fameux Jean-Jacques Debout, celui qui lui a écrit - encore - son dernier spectacle « Sur la route enchantée »*.

Toujours heureuse de poser pour les caméras, dans son décor indémodable datant d'une scénographie de 1982 au Palais des Congrès. Photo Raphaël Abdelnour

Dans ces décors décolorés ressortis de son hangar parisien, la chanteuse aux 400 titres vante la longévité de ce show qu’elle recycle sans jamais se lasserArbres en papier mâché, yeux de chat luminescents, tout date de 1982. Une année noire pour ce Liban qu’elle ne découvre que neuf ans plus tard au milieu des ruines…

Du terrain miné au terrain mimi

Fraîchement débarquée du premier vol Air France à destination de Beyrouth, Chantal Goya découvre un pays meurtri par la guerre civile. À bord d’une voiture officielle, elle s’engouffre dans une capitale ravagée. Elle, la première artiste étrangère à oser fouler la terre libanaise après le conflit. « J’ai alors vu la cathédrale Saint-Georges quasi-détruite. Pour les besoins d’un clip qu’on voulait dédier à la jeunesse, j’ai symboliquement voulu entrer dans la nef avec des enfants… »

Sans réfléchir, l’artiste et son mari enlèvent les barbelés, poussent la porte, pénètrent dans l’enceinte d’un bâtiment criblé de balles… « Et miné ! Quand on est sortis, l’armée libanaise nous a attrapés en nous disant qu’on s’était mis en danger ! » Suivront de nombreux retours au pays du Cèdre, seule nation ayant décoré Chantal Goya de sa Légion d’honneur. Mais elle en est certaine, la France la lui remettra un jour. « Ils vont bien se souvenir de moi ! », s’esclaffe-t-elle avec son sourire enfantin d’octogénaire.

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Sans jamais prendre parti, l’alter ego de Marie-Rose refuse systématiquement d’afficher sa couleur politique, ou ses idées sur les grands sujets de société qui ont ébranlé la France depuis les sixties mouvementées. Sortir de l’univers des enfants ? « Non mais ça ne va pas ? Je ne veux pas décevoir mon public ! », s’insurge-t-elle, presque surprise par la question. Goya scande son « apolitisme » et veut endosser l’éternel rôle de Mamie Gâteau réconfortante. Et pourtant, elle en aurait, des choses à dire…

« Ils voulaient me voir un peu à poil ! »

Si elle jouit aujourd’hui d’une réputation « proprette », l’amie des tout-petits a commencé dans un tout autre registre. Au cinéma, sous la direction de Jean-Luc Godard, le public s’amourache d’une jeune ingénue réservée qui se jette dans l'arène cinématographique dans un film interdit au moins de 18 ans.

Lors du tournage de Masculin féminin, Chantal Goya se plie aux règles strictes d’un réalisateur réputé pour son exigence, entre les monstres sacrés qu’étaient Jean-Pierre Léaud et Marlène Jobert. À l’heure où l'Hexagone vibre au rythme du train de vie haletant de ses sex-symbols qui se dénudent et s’affichent façon Bardot, Goya, elle, rejette tout en rafale. « Je ne voulais ni embrasser un garçon, ni me mettre dans un lit ! »,  lance-t-elle amusée. « Je n’avais pas le temps de mener ce train de vie là, j’avais un mari et un bébé dont je devais m’occuper ».

Traditionaliste revendiquée, la graine d’actrice décline même une offre d’Alfred Hitchcock, toujours au nom de la famille. Soixante ans plus tard, ce choix reste assumé. « Ce que les réalisateurs voulaient, quand même, c’était me voir un petit peu à poil », confie-t-elle, presque en chuchotant. D’où une maigre filmographie, dont les critiques ne retiendront que l’image d’une Chantal désertant précocement le jeu du circuit médiatique. Ces mêmes « journalistes intellos » s’étonneront ensuite de son passage de la case sombre et sobre de Godard à celle plus juvénile de Bécassine et Jeannot lapin.

Chantal Goya sur scène avec ses animaux de la forêt de Brocéliande. Photo Raphaël Abdelnour

Dans ce milieu impitoyable du 7e art, Goya pense avoir évité les pièges. Alors que les langues se délient aujourd’hui et que les comédiennes françaises dénoncent, chacune à leur façon, les abus dont elles ont été victimes, la vague tricolore de Me Too ne semble pas atteindre la meilleure amie du Chat-Botté… Qui préfère botter en touche. « Rien ne m’est arrivé, même quand j’étais gamine. Je n’ai jamais été dans la chambre d’un producteur… Et à l’époque, si un garçon m’approchait et ne me plaisait pas, il prenait deux tartes ! », lâche-t-elle avec un geste. Sempiternelle enfant certes, mais sachant toujours se défendre.

Marie (trop) Rose

Sur les routes qui la mènent en Asie, en Afrique et en Orient, où elle incarne une légèreté venue de l’Occident bien lisse, elle croise le chemin d’artistes complexes et tourmentés. À commencer par Barbara, qui lui prédit un avenir radieux au creux de la décennie 80. « Elle m’a dit : 'tu deviendras une institution' ». Je ne l’ai pas crue, mais elle a eu raison », affirme-t-elle, une pointe de nostalgie dans le regard.

Âme contraire, la grande dame hurlant son désespoir et ses colères se lie d’amitié avec l’adepte des mini-jupes rose bonbon. « Ce qui nous unit ? Une sensibilité et une clairvoyance ». Et des carrières jalonnées par un soutien indéfectible de la communauté LGBTQ+. Car dans les boîtes de nuit gay, autant fascinées par la noirceur de l’une que par la kitschissime aura de l’autre, Goya avait droit de cité. « Mes amis homosexuels me racontent les maltraitances qu’ils ont subies. Assez similaires aux miennes à mes débuts. Nous avons donc ça en commun », veut croire la star.

Mais tous ces coups bas, plus question d’en parler. À 82 ans, Chantal Goya ne veut qu’une seule chose : son exutoire, la scène. Et au Casino du Liban où elle offre trois jours de spectacle pour le weekend pascal, le show se déroule davantage dans le public que sur les planches. Des bambins courent et crient, des mamans tentent de les retenir. Certains distribuent des jouets lumineux, ambiance Disneyland avant la parade. Lorsque Marie-Rose débarque en playback avec son cortège d’animaux champêtres, elle s’adresse à la foule : « Je vous vois, les adultes ! Je vous ai connus tout petits, et maintenant vous êtes parents ! » Le même discours, à chaque fois, et le même emballement.  Et c’est loin d'être fini. Offusquée à l'idée de s’éclipser, Goya martèle : « Vous me verrez jusqu'à la fin de ma vie ! Je serai là jusqu'au bout ! »

Proposera-t-elle autre chose un jour ? « Je raconterai toutes les aventures qui me sont arrivées », assure-t-elle avec un sourire complice. « Ça va impressionner les gens… » Mais peut-être n’est-ce là que la promesse en l’air d’une enfant.


*Sur la route enchantée au Casino du Liban. Dernière représentation lundi 1er avril à 11 heures.

« On a toujours dit que j’étais un peu conne… Maintenant, on a ajouté un i devant ! » Quand elle n’est pas devant des enfants, Chantal Goya se lâche. Chemisier Sézane bariolé, baskets beiges assorties à son pantalon à coupe large, l’idole des petits est sûre d’elle. À quelques heures de sa première représentation au Casino du Liban, elle a rangé ses...

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