Je dis ça, je dis rien #1 : Johnny et la duchesse de Guermantes sont dans un bateau

Je dis ça, je dis rien #1 : Johnny et la duchesse de Guermantes sont dans un bateau

Je dis ça, je dis rien, la chronique amusée d'un communicant d'un monde où les mots ne veulent plus dire grand-chose, volume 1!

La récente mort de l’idole des jeunes, qui se portait pourtant encore comme un charme il y a seulement une semaine pose un cas intéressant de "fake news" totalement assumée par tous, médias comme public. 

Retour au 30 novembre.

Johnny Hallyday est annoncé mort sur les réseaux sociaux. Emotion, puis démenti immédiat de la famille, repris dans la foulée partout, comme un simple élément de langage et sans aucune analyse, commentaire ou vérification. La star va bien, ses jours ne sont pas en danger, elle se repose en famille. Pour nous quitter seulement quatre jours après, en fait, la star ne devait pas aller si bien que ça.

 Quelle que soit la charge émotionnelle de la nouvelle, l'ensemble des médias s'est ici livré à un très surprenant exercice d'abdication de son rôle d'information. Le 30 novembre, qu'y avait-il à dire au fond ? Que la rumeur de la mort était infondée, c'est une chose. Mais se contenter des éléments fournis par l'entourage et dire que Johnny allait bien en est une autre. Un média d'information peut-il sérieusement publier qu'un homme de 75 ans, atteint d'une forme de cancer particulièrement violente et en phase terminale, va "bien" ? Publier sérieusement que son état de santé n'est pas, a minima, préoccupant ?

Non, les médias d'information se sont contentés d'imprimer la légende, Johnny va bien, circulez, c’est sa famille qui le dit. Puis de publier en général un second article sur la douleur des fans quand la mort viendrait, au conditionnel, en traitant cette mort comme un événement improbable. Soit, Johnny est un personnage à part dans la culture populaire. Et la douleur et l'intimité de sa famille doivent être respectées. Mais cela justifie-t-il à raconter sciemment n'importe quoi ? A continuer à faire perdre du sens à sa propre parole mais également aux mots eux-mêmes ? Si l'hospitalisation d'un homme en phase terminale n'est pas préoccupante, alors qu'est ce qui peut l'être ? Je suppose que le but était de ne pas nous attrister trop tôt...

En fait, tous ces articles m'ont ramené en tête la scène finale du Côté de Guermantes de Proust. Charles Swann annonce qu'il est mourant à ses amis proches le duc et à la duchesse de Guermantes, qui s'apprêtent à partir à un bal costumé. La nouvelle est évidemment embarrassante, mais ni l'un ni l'autre ne souhaite décommander la soirée pour rester auprès de leur ami, c'est trop déprimante. Proust a comme souvent, la parfaite analyse de la situation : "Placée pour la première fois de sa vie entre deux devoirs aussi différents que monter dans sa voiture pour aller dîner en ville, et témoigner de la pitié à un homme qui va mourir, elle ne voyait rien dans le code des convenances qui lui indiquât la jurisprudence à suivre et pensa que la meilleure manière de résoudre le conflit était de le nier."

A défaut d'être tous Charlie, ce jour-là, en refusant tout simplement d'admettre un fait aussi simple que Johnny Hallyday ne va pas très bien, nous avons tous été Oriane de Guermantes.

To view or add a comment, sign in

Explore topics