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Portrait

Sciences-Po : Frédéric Mion le démineur

Un an après sa nomination, le directeur a su tourner la page Descoings et lancer des projets.
par Véronique Soulé
publié le 3 juin 2014 à 18h36

Frédéric Mion grimpe les marches au pas de course. Le successeur de Richard Descoings à la tête de Sciences-Po a un emploi du temps serré. Pourtant, une fois dans son bureau, souriant et détendu, il prend le temps de plaisanter. On est très loin des tensions qui avaient suivi le décès brutal de Richard Descoings et les révélations consternantes de la Cour des comptes sur la gestion de la maison. Avec Frédéric Mion, Sciences-Po semble avoir retrouvé sa sérénité, à l’image du poster accroché dans son bureau : l’apaisante vallée de Haute-Engadine, en Suisse, où le directeur aime se ressourcer dans le village de Sils-Maria, où Nietzsche venait soigner ses migraines.

Scandale. Nommé le 2 avril 2013, Frédéric Mion, 44 ans, un ancien de Sciences-Po, énarque et normalien, est d'abord resté très discret. Venant de Canal+ où il était secrétaire général, il lui fallait redécouvrir une maison quittée deux décennies plus tôt. Après la pire crise de son histoire, Sciences-Po gardait des séquelles : des dirigeants éclaboussés par le scandale, des «académiques» (enseignants, chercheurs…) divisés…

Avec son style lisse et pro, très loin de la personnalisation de l’ère Descoings, Frédéric Mion a d’abord renouvelé la direction en cherchant à renvoyer des signaux rassurants. Il a notamment nommé deux femmes parmi ses adjoints - Christine Musselin à la direction scientifique et Françoise Mélonio à la tête de la scolarité. Sur la parité, il reste toutefois à faire : les directeurs des centres de recherche sont tous des hommes… La plupart des responsables controversés, symboles des errements passés, sont par ailleurs partis au fil des mois.

Après un peu plus d’un an rue Saint-Guillaume, Frédéric Mion a jugé le moment venu de dévoiler ses projets. Rien de révolutionnaire pour celui qui se place dans la continuité de «l’ère Descoings» (1996-2012). Sa vision est celle d’une grande université de sciences humaines et sociales de type oxfordien, rivalisant avec les meilleures au monde, et dotée d’une recherche solide mais qu’il faut encore développer - l’un des axes forts de son programme.

Avec plus de 13 000 étudiants dont 46% d'étrangers - suivant un cursus ou venus dans le cadre d'échanges -, Sciences-Po va désormais cesser de grandir. «Nous avons une petite marge sur les masters, mais autour de 14 000 étudiants me paraît un chiffre raisonnable. Au-delà, cela devient difficile de garder la même sélectivité», explique Frédéric Mion à Libération.

L'organisation des études devrait, elle, évoluer sur le modèle anglo-saxon. Sciences-Po veut rendre autonome son premier cycle - le «collège universitaire» regroupant les trois premières années. «Aujourd'hui, les étudiants s'inscrivent pour cinq ans, et je comprends que pour les familles cela paraisse rassurant, souligne son directeur, mais il faut s'ouvrir et diversifier les profils. Nos étudiants doivent pouvoir partir, s'ils le veulent, avec le diplôme Sciences-Po au bout de trois ans et s'inscrire dans des masters ailleurs. Et nous devons accueillir, en master, davantage d'étudiants venus d'autres horizons.»

En deuxième cycle, l'établissement va continuer de créer des écoles avec, à la rentrée, une spécialisée dans les affaires publiques. «Notre master était trop tourné vers les concours de la fonction publique, explique le directeur. Or, sur 500 à 600 étudiants, environ 35 entrent chaque année à l'ENA.» L'idée est d'ouvrir la formation et de mieux préparer des élites si critiquées. Deux autres écoles suivront - sur les questions urbaines et sur les métiers de l'entreprise.

Autre grand chantier : l'immobilier. Sciences-Po voudrait acquérir 14 000 m2 en plein Paris libérés par le ministère de la Défense. Cela lui permettrait de rassembler une bonne partie de ses activités - centres de recherche, services administratifs, salles de cours… - aujourd'hui éparpillées sur 20 sites. Financièrement, c'est jouable, assure le directeur. L'argent des locations actuelles (6,8 millions d'euros par an) couvrirait aux trois quarts le remboursement de l'emprunt. Reste à trouver les fonds auprès de mécènes et des pouvoirs publics.

Boursiers. Malgré ses trésors de courtoisie, Mion a buté sur un sujet sensible : les frais de scolarité. Le 10 décembre, les militants de l'Unef ont envahi un conseil d'administration qui devait entériner une hausse. Finalement, elle a été ramenée à 1,3% et concentrée sur les tranches supérieures - le coût des études est fonction des revenus. Mais pour l'Unef, le directeur a violé sa promesse de ne pas l'augmenter.

Habitué des médias et de la com, l'ex-secrétaire général de Canal+ ne se laisse pas démonter. Il rebondit en vantant les dispositifs de justice sociale imaginés par Descoings : les rallonges accordées aux boursiers par Sciences-Po qui leur verse en plus 75% de leurs bourses d'Etat, et les conventions éducation prioritaire qui ont permis à 1 153 lycéens de ZEP d'intégrer l'école depuis 2001. «Avec 30% de boursiers, nous faisons même mieux que les universités parisiennes», claironne-t-il. Une nuance tout de même : plus de la moitié (51%) des boursiers de Sciences-Po se situent aux échelons 0 et 1, correspondant à des revenus de classes moyennes, sur une échelle qui va jusqu'à 7 - les bourses maximales pour les étudiants issus des familles les plus pauvres. Le diable se cache dans les détails, à Sciences-Po comme ailleurs.

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