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Portrait

Thierry Beccaro : l’enfance volée

L’animateur de «Motus», qui quitte France Télés, a suscité une vive émotion en révélant ses premières années meurtries par la violence de son père.
par Chloé Pilorget-Rezzouk, Photo Samuel Kirszenbaum pour Libération
publié le 7 juillet 2019 à 17h16

Il est comme soulagé de ne pas avoir à sourire sur la photo. «Ça fait du bien !» lâche l'animateur de Motus, ayant pourtant fait son mantra de l'adage «il est poli d'être gai». Thierry Beccaro glisse : «J'ai fait ça toute ma vie : être souriant et de bonne humeur.» Donner le change, offrir «ce [qu'il] n'a pas reçu». Il est vrai que l'intéressé, particulièrement affable, multiplie les vannes à la papa (tombant souvent à plat) et sourit tout le temps. D'un large et éclatant rictus. Comme pour contrebalancer cette légère fêlure perçant son regard noir.

On retrouve le Parisien de 62 ans dans un bar du XVe arrondissement, tendance m'as-tu-vu pour people du PAF. Un lieu pas vraiment à son image, mais où il a ses habitudes. L'ex-membre du CSA Christine Kelly le salue, une spectatrice le félicite : «J'peux vous faire une bise ?»

Las ! Beccaro raccroche. Après trente-cinq ans de romance, de Matin Bonheur à Télématin, il quitte France Télévisions où il est «unanimement apprécié», souffle-t-on. «J'étais arrivé au bout de ma relation avec le groupe», affirme sans aigreur le futur retraité, hanté par la crainte classique de «l'année de trop». Fini donc «Mo-Mo-Motus», son jingle entêtant, gentiment ringard et finalement indémodable… Le jeu télévisé lancé il y a vingt-neuf ans s'arrêtera avec le départ du présentateur, figure populaire et familière des matins de semaine. Les dernières de l'émission ont été enregistrées fin juin. «J'avais la boule noire dans l'estomac», plaisante Beccaro, un brin secoué. Parmi les invités surprises, le journaliste culturel Augustin Trapenard, inconditionnel depuis l'enfance, ou l'animatrice Maïtena Biraben. Diffusées fin août, elles laisseront 600 000 fidèles orphelins. Un public auquel ce fils d'un ouvrier de chez Renault et d'une militaire de carrière est attaché.

Confessons notre ignorance en matière audiovisuelle : on n'avait jamais regardé le jeu de lettres. Et puis, un soir d'errance 2.0, a surgi sur notre écran de smartphone le saisissant témoignage de cet ancien enfant maltraité. Un Thierry Beccaro ému racontant l'alcool «triste et agressif» de ce père dont il subira la fureur dévastatrice des années durant : «Un soir sur deux, un soir sur trois, la moindre petite faute est prétexte à une rafale de coups qui s'abattent sur moi sans que j'en comprenne la raison […]. Vous êtes recroquevillé dans l'escalier, votre dos est marbré, et votre petite sœur assiste à ça. C'est ça, la maltraitance.» La vidéo produite par Brut a été vue 15 millions de fois. Elle dure neuf minutes, la caméra a tourné une heure. «J'étais dans un lâcher prise total», avoue le messager, encore surpris par l'impact de son récit. Le voilà «submergé» sous les marques de reconnaissance, lui qui en a longtemps manqué.

En avril, le sexagénaire est devenu ambassadeur de l'Unicef. «Très à l'aise» face à une jeunesse qui le «fascine», notera Ann Avril, directrice générale adjointe, lors de sa première mission en Côte-d'Ivoire. Thierry Beccaro le résilient veut sillonner les écoles à la rencontre de ces gosses, fils de riches ou de prolos, de la ville ou la campagne, victimes comme lui de maltraitances. Il rappelle qu'un enfant meurt tous les cinq jours de violences intrafamiliales en France, se réjouit d'avoir trouvé une oreille auprès du secrétaire d'Etat à la Protection de l'enfance, Adrien Taquet. «Le drame, c'est qu'on se croit toujours tout seul», souligne celui qui garda le silence «pour protéger [ses] parents».

Thierry Beccaro a d'abord grandi chez sa «mémère Anna» en banlieue parisienne. A la naissance de sa petite sœur, il part vivre chez ses parents. Il a 4 ans. Sa vie bascule. De son enfance qui n'en fut pas une, ce fils d'un Italien du Piémont se souvient : «C'est comme si je n'étais pas dans la bonne pièce avec les bonnes personnes. Comme s'il y avait eu maldonne.» A 10 ans, il se passionne pour le basket, y trouve une échappatoire. A 17 ans, le théâtre s'imposera comme une évidence. L'école fut un refuge ambigu pour ce garçon réservé, «condamné à avoir des bonnes notes pour sauver [sa] peau». Il y a l'imaginaire étouffé par la violence, la survie au jour le jour. «On espère juste que ça va aller, on fait en sorte que ça se passe bien entre "maman" et "papa", on oublie de vivre pour soi. Il n'y a pas de rêve.» Le seul que s'autorisait le petit Thierry : «Dans ma tête, j'écrivais des cartes postales envoyées par mes parents. Ils signaient : "On t'aime beaucoup."»

Que reste-t-il de tout ça, des années après les coups ? L'intranquillité, le questionnement permanent. Une vorace demande d'amour aussi, quand on a soi-même «beaucoup de mal à dire "je t'aime"». La peur, enfin. Celle qui inhibe le désir, entrave au quotidien, éloigne parfois de l'autre, impuissant à lire nos réactions. Un «sac à dos lourd à porter», dit Beccaro, dont les épaules un peu tombantes dessineraient presque ledit fardeau. Longtemps, conduire fut un calvaire pour le jeune reporter radio piégé au volant par des crises de tétanie. Tout comme prendre l'avion, participer au jeu Fort Boyard… Encouragé par Emmanuelle, sa femme depuis vingt-neuf ans, il est entré en analyse. Dix années sur le divan ont aidé cet «Avenger» tout en surprotection : «L'analyse est une enquête, qui m'a permis de comprendre – pas forcément d'excuser – ce qui s'était passé dans ma famille.» Thierry Beccaro a pardonné son père, aujourd'hui disparu. Ce père qui, paradoxalement, lui a permis d'entrer à Radio France : un jour, cet excellent vendeur a fourni une voiture à un animateur d'Inter… et en a profité pour décrocher un job d'été à son fils. Au fond du studio, le jeune homme tient la liste des disques passés à l'antenne. Puis il sillonne la France comme reporter pour Radio Bleue, l'ancêtre de France Bleu. Cinq ans plus tard, Beccaro passe de l'autre côté de la vitre et présente sa première émission sur les ondes. Avant de découvrir la télé au côté de Guy Lux.

Il y a un an, l'autodidacte a craquelé l'armure avec son livre Je suis né à 17 ans… Le titre renvoie à cette soirée de juin 1973, où il surprit son père braquant sa mère avec un fusil. Forcément, l'homme a «eu les jetons» lorsqu'il est devenu père. «Je me disais : "Pourvu que ce soit une fille." J'avais trop peur de reproduire», confie les mains un peu tremblantes ce brun aux sourcils broussailleux. Il aura deux filles et un garçon, qui l'ont récemment converti à l'écologie. Il «gagne bien sa vie», avait choisi Macron à la présidentielle, a voté Jadot aux européennes. Aujourd'hui, ce passionné des planches aimerait adapter son histoire au théâtre, en faire «une sorte de : les Garçons et Guillaume, à table !» pièce de Guillaume Gallienne dans laquelle le sociétaire de la Comédie-Française tient tous les rôles. En attendant, Beccaro tend fiérot le script de la pièce qu'il jouera à la rentrée prochaine : Faut que ça change. Ce croyant non pratiquant aime y voir un signe. Désormais plus confiant, il conclut néanmoins : «J'aimerais avancer vers plus d'insouciance.» L'entretien est terminé. D'un air inquiet, il lance : «Ça va, c'était bien ?»

1956 Naissance à Saint-Mandé (Val-de-Marne).
Juin 1978 Entrée à la Maison de la radio.
Juin 1990 Présentateur de Motus.
Février 2018 Je suis né à 17 ans… (Plon).
31 août 2019 Der de Motus.

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