Menu
Libération
Affaire

Raymond Barre, la Suisse et les fonds secrets

Un témoin confirme à «Libération» que le compte helvétique de l'ancien Premier ministre aurait pu être alimenté par des fonds publics, il y a bientôt quarante ans.
par Renaud Lecadre
publié le 5 juillet 2019 à 16h53

Archéologie politique ou judiciaire ? Un vieux routier des affaires nous raconte la scène suivante. Mai 1981, Raymond Barre est encore locataire précaire à Matignon, Valéry Giscard d'Estaing venant d'être battu par François Mitterrand au second tour de l'élection présidentielle. Gestionnaire en titre des fonds secrets du gouvernement, le Premier ministre ordonne alors que lui soit apporté fissa tout l'argent non encore dépensé à ce titre. En cash et pour solde de tout compte. Des agents de la Banque de France, choqués par une telle démarche mais zélés serviteurs de l'Etat, se seraient alors vengés à leur manière, apportant le pognon sous petites coupures et en billets usagés. «Au lieu d'une grosse mallette, ce sera via une fourgonnette», s'en amuse encore notre témoin de la scène.

À relireMême Raymond Barre aurait caché de l'argent en Suisse

Après les récentes révélations du Canard enchaîné sur l'antique compte outre-Léman de Raymond Barre (garni de 11 millions de francs suisses, soit 6,8 millions d'euros de l'époque), conservé en nom plus ou moins propre jusqu'à son décès en 2007, ses héritiers peinant depuis à s'en dépêtrer, l'origine des fonds fait fantasmer – d'où une enquête pénale ouverte en 2016 par le Parquet national financier (PNF). La justification par les fonds secrets, parfaitement légaux quoique totalement opaques, pourrait satisfaire bien du monde. C'est d'ailleurs devenu un alibi bien commode, brandi de longue date en matière judiciaire, d'Edouard Balladur à Claude Guéant en passant par François Léotard. Argument en défense qui pourrait également convenir à la famille de Raymond Barre.

Quand bien même l'origine des fonds serait licite, leur non-déclaration est illégale. Après le décès de Raymond Barre en août 2007, ses héritiers disposaient d'un délai de trois ans pour effectuer une déclaration de succession en toute transparence. Ils se sont abstenus. Le fisc, pour sa part, dispose d'un délai de six ans pour refaire l'histoire. C'est dans cet intervalle qu'est intervenue, en 2013, une dénonciation anonyme d'un employé du Crédit suisse, comme l'a révélé le Canard. «Dans ce genre de cas de figure, c'est une pénalité de 40 %» pour mauvaise foi, explique à Libération un inspecteur des impôts. Soit une ardoise frisant potentiellement les 3 millions d'euros, Bercy transigeant finalement à 1 million – cadeau – sans qu'on ne sache trop à quel moment. Comme un sursaut d'orgueil, la Direction générale des finances publiques (DGFIP, une forteresse au sein du ministère) saisira en 2016 la justice pénale du cas Barre. Laquelle progresse depuis trois ans avec toute la sérénité nécessaire.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique