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Sciences-Po : après l'affaire Duhamel, une seule solution, la démission du directeur

Frédéric Mion, qui n'a rien dit des faits d'inceste commis par Olivier Duhamel, doit partir. S'il s'y refuse, c'est aux membres de tous les conseils de l’IEP de démissionner.
par Daniel Mugerin, avocat au barreau de Paris, membre élu du Conseil de direction de SciencesPo de 2013 à 2016, membre élu et Président enseignant de la Commission paritaire de SciencesPo de 2010 à 2016.
publié le 21 janvier 2021 à 18h25

Tribune. Dans son manifeste Indignez vous !, Stéphane Hessel nous interpellait et nous mettait en garde, nous toutes et tous, citoyennes et citoyens: «Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers.» L'indignation est à son comble, non seulement à l'intérieur des murs de Sciences Po mais également dans tout le pays à la suite de la parution du livre de Camille Kouchner. La démission précipitée de monsieur Duhamel de ses fonctions à la tête de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), a précédé de peu l'ouverture, par le Parquet de Paris, d'une enquête préliminaire. Ces circonstances ont suffisamment alerté monsieur Marc Guillaume, alors membre du conseil d'administration de la FNSP, pour réagir et démissionner de ce mandat. Les termes employés par monsieur Guillaume, éminent juriste, parlent d'eux-mêmes: «Je me sens trahi et condamne absolument ces actes.» Cette semaine, c'est monsieur Jean Veil qui démissionnait de l'association le Siècle.

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Pour sa part, dans un premier temps, monsieur Frédéric Mion, directeur de Sciences Po depuis 2013, laissait clairement entendre que, lui aussi, au vu de la magnitude des révélations de Madame Camille Kouchner avait compris l'obligation dans laquelle il se trouvait de tirer les conséquences de cette affaire. En effet, n'est-ce pas lui qui se déclarait unilatéralement «prêt à subir les conséquences» de «sa faute», cette dernière consistant en le fait de ne pas avoir donné suite au signalement qu'il reconnaît avoir reçu avant 2021 des faits d'inceste commis par Olivier Duhamel, lui qui prenait l'initiative d'écrire à toute la «communauté» de Sciences Po le 4 janvier pour s'exclamer sur sa «stupeur» ? Et de poursuivre: «J'avais peine à imaginer que cette rumeur puisse avoir le moindre fondement.»

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Mais, dans notre système judiciaire et institutionnel, la seule autorité habilitée à apprécier l'opportunité des poursuites est le procureur de la République. Les étudiantes et étudiants de Sciences Po le savent parfaitement, qui se destinent, nombreuses et nombreux depuis fort longtemps, au barreau et à la magistrature. Nombreuses et nombreux aussi sont les étudiantes et étudiants de Sciences Po à répondre à leur vocation de fonctionnaires. Or l'article 40 du Code de procédure pénale impose à «toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs».

Veiller au respect de la loi

Monsieur Frédéric Mion, conseiller d’Etat, ne pouvait pas ignorer ces dispositions, ni minimiser le danger intrinsèque et inhérent au refus ou à l’abstention de transmettre le moindre signalement de tels indices, par ailleurs à lui communiqués par une ancienne ministre de la République. Dans sa vie interne, Sciences Po a dû mettre en place des outils de lutte contre toutes les formes de violence sexuelle et les procès-verbaux des conseils internes en attestent, tel celui du conseil de direction du 9 mars 2015. Il appartient à toutes et tous les élus de veiller, sans faillir, au respect de la lettre de la loi.

Le fait d'avoir, pour le directeur de Sciences Po, continué de présenter monsieur Duhamel comme le dépositaire de l'âme de la vie intellectuelle de l'IEP et de la FNSP ne laisse pas d'étonner, pour le moins. La conduite de la vie interne de Sciences Po n'est pas du ressort du seul directeur. Au contraire, les étudiants et les élus de cet établissement y prennent part, notamment au travers des réunions mensuelles de deux conseils de l'IEP et des groupes de travail thématiques qui façonnent leur ordre du jour. Une réunion du conseil de l'institut est prévue le 26 janvier 2021. Si monsieur Frédéric Mion s'obstine, contre toute évidence, à refuser de démissionner, ce faisant exposant toute la communauté académique de Sciences Po aux conséquences délétères de son aveuglement, ce sont tous les membres de tous les conseils de l'IEP (conseil de la vie étudiante et de la formation et conseil de l'institut) et de la FNSP (conseil d'administration) qui doivent, sans délai, démissionner. Mais Aristote nous prévenait: «Le courage est pénible» et, pour Stéphane Hessel, «la pire des attitudes est l'indifférence».

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