Vice, le magazine vidéo, internet et papier préféré des 18-34 ans, vient de sécuriser 500 millions de dollars de financements, ce qui le valorise à plus de 2,5 milliards de dollars

"Tel est le paradoxe, de Fdesouche: très critique vis-à-vis des grands médias, le site se nourrit avant tout des contenus produits par ces derniers." (Photo d'illustration).

afp.com/Jean-Pierre Muller

Rappelez-vous le scandale retentissant à propos du tourisme sexuel pratiqué par Frédéric Mitterrand ou, plus récemment, la polémique autour de Black M, ce rappeur qui devait se produire à l'occasion de la commémoration de la bataille de Verdun. Qui a lancé ces deux affaires? Le site Fdesouche, alias François Desouche (attention, jeu de mots), de loin le label le plus influent de ce que l'on appelle la "fachosphère", cette frange à l'extrême droite du Web.

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Les journalistes Dominique Albertini (Libération) et David Doucet (Les Inrocks) publient un livre riche et passionnant sur les dessous des principaux sites de la droite de la droite - Le Salon beige, Soral et Dieudonné, ou encore les "youtubeurs de l'extrême"... Et, bien sûr, Fdesouche, cette sulfureuse machine qui attire 1 million de visiteurs chaque mois et qui devrait, n'en doutons pas, s'inviter dans la campagne de 2017. Où l'on en apprend un peu plus sur son mystérieux fondateur et sa proximité avec le Front national de Marine Le Pen...

[Extraits]

"Premier blog politique de France", selon

Eric Zemmour est en retard, mais qui le lui reprocherait? La table est mise dans le bel appartement du quartier de l'Opéra, à Paris; autour d'elle, la vingtaine de convives n'a que bienveillance pour le grand absent. Nous sommes en octobre 2014 et le polémiste est l'homme du moment. Il vient de sortir Le Suicide français, déprimant récit d'un pays en chute libre, trahi par ses élites, livré à l'immigration de masse et à une mondialisation sans frein.

[...] A table, à quelques places d'Eric Zemmour, il y a aussi ce jeune homme que l'invité ne reconnaît pas. Avec son allure timide, ses épaisses lunettes et son pull à col cheminée, l'inconnu détonne parmi les convives. A la fin du repas, celui-ci se lève et s'approche de Zemmour, sollicitant poliment une dédicace "pour une amie". Lorsque l'auteur du Suicide français comprend qui lui parle, son visage s'éclaire: "C'est vous? Prenez mon téléphone et mon mail, nous organiserons un rendez-vous."

Le jeune homme s'appelle Pierre Sautarel. Si Zemmour le connaît sans l'avoir jamais vu, c'est que ce trentenaire est à la tête de Fdesouche, le site le plus connu de la fachosphère. Comparable à certains magazines d'actualité, l'audience de Fdesouche est largement supérieure à celle de la page officielle du Front national.

Le polémiste Eric Zemmour dans son bureau à Paris le 12 janvier 2015

Eric Zemmour "aime beaucoup Fdesouche." Ici dans son bureau à Paris le 12 janvier 2015.

© / afp.com/Joel Saget

Sautarel n'a même pas à rougir face à Zemmour et à ses centaines de milliers d'ouvrages vendus: chaque mois, c'est plus de 1 million de visites qu'enregistre le "premier blog politique de France", comme l'a qualifié dès 2012 Le Figaro. "J'aime beaucoup Fdesouche", témoigne Zemmour lui-même.

"Syndicat (virtuel) des autochtones"

[...] Visiter Fdesouche.com, c'est s'offrir un shoot d'angoisse. Terrorisme, agressions, drames sociaux: le site se présente comme une compilation d'articles anxiogènes liés à l'islam et à l'immigration, tirés des médias "traditionnels" ou repérés sur les réseaux sociaux. En tête de page figure le symbole du site, un petit coq stylisé; en arrière-plan, une statue de Jeanne d'Arc en prière. Reprenant une vieille formule de Jean-Marie Le Pen, Fdesouche - contraction de "François Desouche" - se veut le "syndicat (virtuel) des autochtones".

[...] Pierre Sautarel est un garçon prudent. "Ne jamais parler aux journalistes" est d'ailleurs l'un de ses credo. [...] Cette réserve, il l'a longtemps observée vis-à-vis des auteurs de ce livre.

Avant d'accepter un échange de courriels, puis une rencontre. La première a lieu en février 2012 dans un restaurant japonais de la rue Sainte-Anne, à Paris. Y débarque un jeune blond aux yeux bleus, à l'allure frêle et au visage anodin. Il porte d'épaisses lunettes, une luxueuse doudoune Moncler et un médaillon de Vercingétorix autour du cou. Voilà donc le patron de Fdesouche? Il s'en défend. S'il reconnaît participer à l'animation du site, Sautarel assure que "le responsable légal est indien et s'appelle Tilak Raj".

Depuis 2008, c'est en effet ce qu'indiquent les mentions légales de Fdesouche, avec une adresse à Govind Puri, au sud de New Delhi. Drôle de profil pour le gérant d'un site français d'extrême droite. "Peut-être que son cousin vendait des marrons chauds à gare de l'Est et qu'il s'est fait agresser", ricane Sautarel.

[...] "La devise sur Fdesouche, c'est de faire le moins d'analyse possible, résume Sautarel d'un débit rapide. Il s'agit de faire passer une idée politique par la concentration et le choix d'articles trouvés ailleurs. On fonctionne sur le principe d'une revue de presse, à base de copier-coller. Ensuite, ce sont nos lecteurs qui font l'analyse." Telle est l'originalité, voire le paradoxe, de Fdesouche: très critique vis-à-vis des grands médias, le site se nourrit avant tout des contenus produits par ces derniers.

[...] Né le 13 juin 1980 dans le XIVe arrondissement de Paris, Pierre Sautarel, Joris de son second prénom, raconte avoir eu des parents de gauche. "Ma mère travaille dans la com, mon père dans le marché des livres anciens du Moyen Age et de la Renaissance", relate-t-il. L'origine de son engagement politique serait un passage douloureux du paysage bucolique de son enfance à son adolescence parisienne.

Le Parc des Princes, rendez-vous des "petits Blancs"

[...] De 1993 à 1996, l'ado, qui commence aussi à militer dans la branche jeunes du Front national, se rend régulièrement au Parc des Princes. Plus pour l'ambiance ultra que pour fêter les buts de Raí, le meneur de jeu brésilien qui fait alors rayonner le Paris-Saint-Germain.

"Pour plein de jeunes de ma génération, le PSG, c'était surtout une manière de se revendiquer d'une tribu urbaine, affirme Sautarel. Le Parc des Princes était un lieu de communautarisation et de politisation, le point de rendez-vous des 'petits Blancs' d'Ile-de-France. J'étais fier d'y être. A l'époque, c'était le seul moyen d'être d'extrême droite sans qu'on te fasse trop chier. Dans la cour de récréation, les gens savaient que j'allais au Kop de Boulogne et ils me regardaient avec respect. C'était un peu comme les mecs des cités qui ont fait un passage en prison."

[...] Nous voilà le 12 février 2012. La campagne présidentielle bat son plein et Marine Le Pen, candidate du Front national, tient meeting à Strasbourg devant près de 2000 personnes. Quelques minutes à peine après le début de son discours, l'oratrice se lance dans un éloge du Web.

"Internet a une importance particulière, car c'est grâce à Internet que nos compatriotes peuvent se faire une opinion sans caricature sur les idées qui sont les nôtres et sur le projet qui est le mien, expose Marine Le Pen. Je profite de cela pour lancer un signal amical à un site Internet qui n'est pas du Front national, mais dont les administrateurs sont victimes d'une véritable persécution judiciaire, à savoir nos amis de Fdesouche." Le nom, manifestement bien connu de l'assistance, déclenche une véritable ovation.

Marine Le Pen tient une conférence de presse au siège du FN à Nanterre, le 16 juillet 2016 après l'attentat de Nice

Marine Le Pen déplore "la persécution judiciaire dont Fdesouche est victime". Ici à Nanterre, le 16 juillet 2016.

© / afp.com/ALAIN JOCARD

La candidate connaît personnellement Pierre Sautarel. Et pour cause: entre 2006 et 2011, ce dernier a travaillé pour le Front national, comme "prestataire de services" au sein de la cellule Web du parti. "A l'approche de la présidentielle de 2007, le FN m'a contacté alors que je travaillais dans un groupe hôtelier, raconte-t-il. Il fallait refaire le site du parti et le site de campagne de Jean-Marie Le Pen. J'ai accepté et j'ai quitté mon travail."

En plus de cette mission, le blogueur tourne aussi les premiers "journaux de bord" de Jean-Marie Le Pen: des vidéos en ligne où le patriarche disserte librement sur l'actualité, à grand recours de bons mots et de citations latines.

Se déployer au-delà du "ghetto" de l'extrême droite

[...] "J'ai été très surprise, rigole Marine Le Pen. Il ne correspond pas du tout à l'image qu'on pourrait se faire de lui. Il est très discret, extrêmement calme et courtois. C'est vraiment le geek dans toute sa splendeur. Ce n'est pas le type qui se lancera dans un grand discours. Il est très modéré dans ses propos et assez objectif."

Dans un parti en pleine déconfiture financière, Sautarel se voit même sollicité pour être candidat suppléant lors des législatives en 2007 au côté de Marie d'Herbais, autre membre du service communication, dans la deuxième circonscription de Seine-et-Marne. Il accepte, mais ne fait quasiment pas campagne. "Ça n'a jamais été un militant politique engagé, il a accepté d'être suppléant pour nous rendre service car nous manquions de candidats un peu partout en France", confirme le vice-président du FN Jean-François Jalkh.

[...] Echapper au "ghetto": telle est l'une des grandes ambitions de Pierre Sautarel. Quoique ancien militant FN, l'homme n'éprouve pour le parti lepéniste aucun attachement sentimental. Plutôt que de voir ses idées portées seulement par celui-ci, il rêve de les diffuser dans l'ensemble de la droite.

"Ma hantise, c'est d'être rattaché à la vieille extrême droite, grommelle-t-il. Moi, je veux séduire l'électorat de droite, de cette droite identitaire sudiste. Pour la campagne présidentielle de 2017, nous ne voulons pas nous positionner en fonction d'un candidat, mais d'idées sur l'islam, l'immigration et l'insécurité. Nous sommes prêts à défendre des élus locaux LR s'ils s'engagent contre la construction de mosquées."

LA FACHOSPHÈRE. COMMENT L'EXTRÊME DROITE A REMPORTÉ LA BATAILLE DU NET, par Dominique Albertini et David Doucet, Flammarion, 320p., 20,90¤.

3403 La Fachosphère. Comment l’extrême droite a remporté la bataille du net, par Dominique Albertini et David Doucet

3403 La Fachosphère. Comment l’extrême droite a remporté la bataille du net, par Dominique Albertini et David Doucet, Flammarion, 320 p., 20,90 €.

© / Flammarion/SDP

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