La Callas, dans le coeur et la voix des chanteuses d'opéra.

La Callas, dans le coeur et la voix des chanteuses d'opéra.

L'Express

[...] Quelles sont les grandes "divas" actuelles, celles qui remplissent les salles à New York, Londres, Chicago, Buenos Aires, Vienne, Milan, qui signent leurs contrats deux ou trois 68 ans à l'avance et font vendre les enregistrements internationaux? Préambule: aucune n'approche, de près ni de loin, la "prima donna assoluta" qui ne chante plus depuis deux ans, Maria Callas; ni en célébrité, ni en vente de disques (la sienne a encore augmenté cette année), ni, tout simplement, en génie. Si toutes ont bénéficié de l'extraordinaire regain de vitalité qu'elle a apporté à l'opéra, plus d'une pâtit de son ombre gigantesque lorsqu'elle s'attaque au même répertoire. Comme soupire un callassien inconsolable: "Elle nous a gâché toutes les autres." Mais Callas est un phénomène probablement unique dans l'histoire du chant, il serait dément d'en exiger deux dans le même siècle.

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Les cachets. La doyenne des divas en exercice est l'Allemande Elisabeth Schwarzkopf, 52 ans: compensant par des prodiges de rouerie, de charme et d'intelligence scénique ce que l'âge lui enlève, elle reste insurpassée dans Mozart et dans Strauss (elle chantera "Le Chevalier à la rose" à l'Opéra, en juin). L'Italienne Renata Tebaldi, 45 ans, fait une fin de carrière discrète aux Etats-Unis et en Italie, notamment avec "La Gioconda"; aux dernières nouvelles, ses aigus ne seraient plus ce qu'ils furent. L'Espagnole Victoria de Los Angeles, 44 ans, ne paraît presque plus dans l'opéra, mais poursuit imperturbablement une magnifique carrière de récitals.

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Au zénith brillent aujourd'hui une demi-douzaine de noms. Et encore, à ne considérer que les cachets, n'y a-t-il que trois superdivas: Nilsson, Price et Sutherland, qui "plafonnent" à 10 000 dollars (50 000 Francs) par représentation. Mais les cachets varient selon les théâtres où elles chantent. Ainsi Price, dont on dit à New York: "Leontyne ne traverse pas la rue pour moins de 10 000 dollars", traversera l'Atlantique pour les 4000 dollars que lui consent M. Auric...

La Suédoise Birgit Nilsson, 49 ans, est le type de la voix "glorieuse": éclat, puissance, solidité à toute épreuve, faisant d'elle l'Isolde, la Brünnehilde et la Turandot suprêmes de notre temps. Elle a gardé les qualités de la fermière qu'elle fut: santé d'airain, bon sens robuste et résistance inépuisable au travail. Simple, très gaie, elle mange et boit gaillardement. "Mes secrets? Je vis aussi naturellement que possible, dit-elle. J'ai beaucoup travaillé pour accrocher ma voix là où elle est; maintenant, très peu. Ma voix chauffe rapidement, comme une bonne voiture."

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Australienne (comme Nellie Melba), Joan Sutherland, 41 ans, est sans doute la plus forte technicienne. Elle a été "inventée" par son mari (et chef d'orchestre favori), Richard Bonynge: c'est lui qui l'a détournée des emplois wagnériens où elle s'enlisait, pour en faire une extraordinaire virtuose du bel canto. Elle porte à un rare degré de perfection l'art de la vocalise et des ornements dans les opéras de Haendel, Donizetti, Bellini, Rossini... mais ses dons de tragédienne restent fort en deçà. Idole du "Met", l'Américaine Leontyne Price est considérée comme la plus grande interprète actuelle de Verdi, après avoir été lancée, il y a quinze ans, par "Porgy and Bess", qu'elle a chanté dans le monde entier. Elle est belle, mince sans régime, et unanimement adorée dans le milieu musical pour sa conscience professionnelle, sa loyauté et sa cordialité. "Truc": elle boit un bouillon chaud avant d'attaquer le redoutable air du Nil, dans "Aida".

La cantatrice Maria Callas dans "Norma" de Vincenzo Bellini, le 23 mai 1964 à Paris

Maria Callas dans Norma de Vincenzo Bellini, le 23 mai 1964 à Paris.

© / afp.com/-

Ces vedettes sont talonnées par l'Espagnole Montserrat Caballé, 34 ans: sans doute, au point de vue du pur "matériau", la plus belle voix d'aujourd'hui. Elle a été catapultée dans la gloire en huit minutes treize secondes, le 20 avril 1965, à New York: inconnue au lever du rideau (elle remplaçait une cantatrice malade), elle déclencha, à la fin de l'air "Com'e bello!" de "Lucrèce Borgia", une ovation qui fit trembler Carnegie Hall. Elle avait, auparavant, passé une audition à l'Opéra de Paris, où l'on avait trouvé sa voix "un peu mince". Son tour de taille, malheureusement, ne l'est pas.

Le leitmotiv. La France a sa place dans la constellation grâce à Régine Crespin, 40 ans, éminente wagnérienne, verdienne et berliozienne. Plus encore que sa voix (parfois métallique dans l'aigu), ses armes sont le raffinement et la musicalité extrêmes, l'intelligence de ses interprétations. Un instant découragée par son renvoi de l'Opéra de Paris, en 1953, elle a connu le "grand démarrage" cinq ans plus tard, grâce au Festival de Bayreuth, où on la baptisa "la Lionne". Un port de reine, de ravissantes petites mains, et un humour rare: quelle autre "prima donna" oserait chanter, comme elle l'a fait à la Télévision: "On dit que j'suis grassouillette - Mais j'serais pas la Crespinette - Si j'étais pas comme ça"?

L'Allemagne s'enorgueillit de Gundula Janowitz, 29 ans, favorite de Karajan, qui l'a imposée dans plusieurs de ses productions scéniques et discographiques. Du très beau son, mais un peu froid. L'Angleterre lance Gwyneth Jones...

Il faut, enfin, citer la Soviétique Galina Vichnevskaya: un peu en marge, non par la beauté vocale et le talent, qui sont grands, mais parce qu'elle voyage moins souvent que ses consoeurs. (Elle a paru à Paris, en 1962, dans "Aida"). Analogue est le cas d'Anne-Lore Kuhse, premier soprano de l'Allemagne de l'Est, physique d'hippopotame, mais admirable wagnérienne [...]

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