Les parutions de fin septembre jouent des coudes dans notre palmarès...

A lire, en décembre...

GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO

L'Italienne qui ne voulait pas fêter Noël

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par Jérémie Lefebvre.

Buchet-Chastel, 264 p., 16 ¤.

La note de L'Express : 17/20

Surtout, ne pas se fier aux apparences d'une couverture gentiment italianisante et d'un titre qui fleure un peu trop le marketing de saison. Ce cinquième roman de Jérémie Lefebvre, 47 ans, auteur-compositeur et comédien dans une autre vie, témoigne en effet d'une finesse et d'une originalité inattendues. Tout commence par un défi : "Tu pourrais ne pas passer Noël avec ta famille en Sicile ?" C'est ce que s'entend dire Francesca, 24 ans, doctorante en littérature à la Sorbonne, par son collègue et amant français. Une provocation pour cette fille d'intellos de gauche nullement à cheval sur les traditions, à ses dires, et qui pensait "échapper complètement au phénomène de l'appartenance". De retour à Palerme pour les vacances, le 22 décembre 2016, la jeune femme annonce donc à ses parents, à son frère aîné et à sa soeur cadette ce soudain "projet de Noël buissonnier". Si tous font mine de comprendre, ils vont s'escrimer à l'en dissuader...

Non content de ménager le suspens, à grand renfort de manigances cocasses, voire extrêmes, Jérémie Lefebvre se met dans la peau de sa narratrice avec une véritable maestria - et une connaissance avérée des moeurs siciliennes. Drôle, érudite, "hégélienne" revendiquée, un "sale caractère" aussi, cette Francesca est tout bonnement irrésistible. Le romancier lui prête sa plume caustique tant pour conspuer les tyrannies de l'époque que pour disséquer les névroses familiales et le rapport de l'exilée à ses origines. "L'appartenance n'était pas une fiction qui mène à l'obscurantisme et à la guerre, comme je l'avais cru, mais un lien conscient et nécessaire avec nos racines, qui sont ce qui nous maintient debout", admettra-t-elle in fine. De quoi faire réfléchir tout un chacun en cette veille de fêtes. Et une idée de cadeau d'un excellent rapport qualité/prix ! D. P.

Jérémie Lefebvre

Couverture

© / SDP

Nous autres

par Jean-Pierre Montal.

Pierre-Guillaume de Roux, 222 p., 18 ¤.

La note de L'Express : 16/20

Dans un recueil de nouvelles, il y en a souvent une qui donne le ton de toutes les autres. Ici, c'est 25 bis, rue Jenner, qui doit son titre à la mythique adresse parisienne des anciens studios de cinéma du réalisateur Jean-Pierre Melville. Un cadre désoeuvré et divorcé - comme à peu près tous les "héros" de ce recueil... - y traque les fantômes de Jeff Costello, le personnage mutique interprété par Alain Delon dans Le Samouraï. Lui qui n'a que son tableur Excel pour toute vision du monde se replonge mentalement dans la faune de gangsters froids du Martey's, le club enfumé fréquenté par Delon. Et puis, un peu à l'image de nos souvenirs, ce décor parfait va partir en fumée. Cette nouvelle réunit tous les ingrédients du recueil de Jean-Pierre Montal, auteur remarqué des Années Foch (2015) et par ailleurs cofondateur des éditions Rue Fromentin. Ses personnages fatigués de l'existence errent entre comptoirs de café et dîners ennuyeux où ils entendent toujours les mêmes banalités.

Tous ont en commun la nostalgie d'une jeunesse enfuie sur laquelle ils se retournent presque étonnés : "Quoi, j'ai été cela ? J'ai fait cela ? J'ai eu ces amis-là ?" Aujourd'hui, au bout du rouleau, ils sont contraints de squatter l'appartement d'une vieille connaissance, où, la nuit, ils boivent en cachette du gin, cet alcool transparent qu'on peut faire passer pour de l'eau, au cas où on leur demanderait ce qu'ils font dans la cuisine à 3 heures du matin. L'écriture est directe, sans effets, immergée dans l'époque (BFMTV, Twitter, Uber...). Montal avait jadis publié une biographie du comédien Maurice Ronet. Et l'on a un peu l'impression, dans ces nouvelles, de croiser éternellement le personnage mélancolique qu'il interprétait dans Le Feu follet. Une impression agréable, faut-il le préciser ? J. D.

Jean-Pierre Montal

Couverture

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Décapage, n° 61

Collectif. Flammarion, 172 p., 16 ¤.

La note de L'Express : 16/20

Ne jamais oublier de lire la revue Décapage, telle pourrait être la bonne résolution de tout amateur de littérature. D'abord parce que de jolies plumes se nichent au sein des multiples entrées de chacun de ses numéros trimestriels, ensuite parce que les thématiques du dossier consacré à la vie des écrivains sont toujours originales, enfin parce que le ton, enjoué, alerte, démontre à l'envi que les belles lettres n'ont rien de barbantes. Ainsi dans ce n° 61 de tous ces auteurs qui expliquent pourquoi ils n'ont pas, à raison, lâché leur activité professionnelle, et encore mieux, comment ils s'y épanouissent. Enseignants (Jean-Philippe Blondel, Philippe Forest) chroniqueur pour Voici (Philippe Jaenada), conseiller à l'université (Arnaud Dudek), éditrice (Nathalie Kuperman), avocat (Mathieu Simonet), haut fonctionnaire (Stéphanie Dupays), salarié d'Orange (Jean-Paul Didierlaurent), d'une ONG (Christine Avel), ou encore dans la sécurité informatique (Pierre Raufast), tous disent leur peur d'aliéner leur liberté et leur crainte de l'assistanat, tout en soulignant le plaisir de mener une double vie.

"Vivre de sa plume ? Ce serait marcher sur une jambe", s'exclame Arnaud Dudek. Comme pourrait l'affirmer Olivia Rosenthal, cofondatrice du master de création littéraire de Paris, qui ouvre grand son univers, son bureau, ses désirs et ses pensées dans ce numéro très illustré. Plus que jamais à son affaire (la transmission), l'auteure de Que font les rennes après Noël et d'Eloge des bâtards (Verticales) témoigne avec générosité des différentes facettes de son art. On signalera, enfin, le bel hommage choral rendu à Dominique Noguez, décédé en mars 2019, signé Florent Georgesco, Arthur Dreyfus, Mark Greene, Arnaud Viviant, Noël Herpe et Guillaume Daban. M. P.

Décapage 6

Couverture

© / SDP

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