Giorgio de Chirico, “La récompense de la devineresse” (détail), 1913.

Giorgio de Chirico, "La récompense de la devineresse" (détail), 1913.

©Artists Rights Society (ARS), New York/ SIAE, Rome ©ADAGP, Paris, 2020

Au-delà de sa production à l'étrangeté déroutante, la place dans l'histoire de l'art de Giorgio de Chirico (1888-1978) a son importance. Le peintre est le cofondateur de la Pittura metafisica, en 1917. Que cache cette appellation mystérieuse, en marge des avant-gardes ?

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"L'abolition du sens en art", répond l'intéressé, qui se réclame de Nietzsche et de Rimbaud. La pensée vitaliste du premier, dont il découvre le posthume Ecce Homo dès 1908, approfondit sa vision d'un monde tangible et matériel, ancré dans un "éternel présent", dont il tente de révéler les signes sur la toile. Du second, il dévore Les Illuminations, qui le confortent dans l'idée d'un art de la révélation et des associations visuelles saugrenues. "Il y a bien plus d'énigmes dans l'ombre d'un homme qui marche au soleil que dans toutes les religions passées, présentes et futures", revendique le peintre.

Chirico Apollinaire

Giorgio de Chirico, "Portrait (prémonitoire) de Guillaume Apollinaire", 1914.

/ ©Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais/ A.Rzepka © ADAGP, Paris, 2020

La démarche séduit Guillaume Apollinaire, le premier à qualifier cette oeuvre de "métaphysique", et le jeune Paul Guillaume, qui fait de Chirico une figure majeure de sa galerie. A l'époque, l'artiste a 25 ans et déjà quelques tribulations cosmopolites derrière lui. Il est issu d'une famille ottomane de nationalité italienne, installée en Thessalie, à Volos, point de départ de l'expédition des Argonautes, ces héros mythologiques qui inspire ses débuts.

Biberonné au romantisme allemand tardif d'Arnold Böcklin ou de Max Klinger, Giorgio de Chirico affine son pinceau à l'Académie des beaux-arts de Munich. Mais, c'est à Paris, dès 1911, puis à Ferrare, en Italie, qu'il pose les fondements de la peinture métaphysique. Ce sont ces trois temps forts que le musée de l'Orangerie éclaire dans l'exposition qu'il lui consacre jusqu'au 14 décembre. En collaboration avec la Hamburger Kunsthalle de Hambourg, Paolo Baldacci, de l'Archivio dell'Arte Metafisica à Milan, et la conservatrice parisienne Cécile Girardeau ont réuni près de 100 oeuvres, dont une cinquantaine de tableaux

Chirico Cerveau enfant

Giorgio de Chirico, "Le Cerveau de l'enfant", 1914.

/ ©Moderna Museet/ Stockholm ©ADAGP, Paris, 2020

Le frère cadet de Chirico, Andrea - dit Alberto Savinio -, est constamment à son côté au cours de ces années. Peintre lui-même, compositeur de musique et écrivain, lui aussi inspirateur des surréalistes, il collabore aux Soirées de Paris, la revue fondée par Apollinaire. André Breton flashe sur une toile de l'aîné, exposée dans la vitrine de Paul Guillaume : un homme aux yeux clos, un livre fermé posé devant lui. Le père du surréalisme l'acquiert illico et garde jusqu'à sa mort ce Revenant qu'Aragon rebaptisera Le Cerveau de l'enfant. Sur la composition datée de 1914, Giorgio illustre le statut de l'artiste, saisi par la révélation. Picasso lui rend hommage avec son Homme au chapeau melon assis dans un fauteuil (1915) et Max Ernst en reprend le personnage moustachu dans sa Pietà, en 1923

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Au printemps 1915, les deux frères répondent à l'appel du drapeau italien, mais sont déclarés inaptes au combat. Admis à l'hôpital militaire de Villa del Seminario, à Ferrare, pour troubles nerveux, Giorgio retrouve son comparse Carlo Carrà, avec lequel il crée le mouvement Pittura metafisica. En pleine Grande Guerre, à l'abri du front, ils plantent, avec la bénédiction des médecins, leurs chevalets au milieu des accessoires d'électrothérapie, des prothèses orthopédiques et des mannequins de couture des ateliers de rééducation fonctionnelle. Ces silhouettes énigmatiques, adulées par Breton et consorts, peuplent alors les toiles de Chirico.

Les deux soeurs (L'ange juif)

Giorgio de Chirico, "Les deux soeurs (L'Ange juif)", 1915.

/ ©BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais/ W.Klein ©ADAGP, Paris, 2020

Ces mêmes surréalistes vont le conspuer à partir des années 1920, quand il prônera un retour à la tradition pour s'adonner au néobaroque. Seuls lui resteront fidèles Apollinaire et Paul Guillaume. Ce dernier, mort prématurément en 1934, est un rouage clef de l'émergence de Chirico dans l'art moderne. Le galeriste est d'ailleurs le fil rouge de la collection permanente de l'Orangerie, laquelle, sous l'égide de sa directrice, Cécile Debray, bénéficie d'une nouvelle présentation, qui offre, dans un superbe écrin de béton ciré, des perles signées Matisse, Modigliani, Marie Laurencin, Derain, Cézanne, Renoir, Utrillo, Soutine... Un ensemble étourdissant à coupler avec la visite Chirico.

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