Histoire

Les mystères égyptiens de la montagne de la Madeleine à Retournac

Les mystères égyptiens de la montagne de la Madeleine à Retournac
La Madeleine ou Podium-Ibis depuis la forêt de Miaune. Au premier plan, le village d’Artites. Photo Vincent Jolfre © Vincent JOLFRE
Tout le monde, dans l’arrondissement d’Yssingeaux, connaît la montagne de la Madeleine qui se trouve entre Beauzac et Retournac. Ce plateau volcanique offre, à 970 mètres d’altitude, une vue exceptionnelle sur les monts du Pilat, le massif du Felletin et les sucs de l’Yssingelais. Ce fut certainement un lieu de culte dès la plus haute Antiquité.

Aujourd’hui, il subsiste, en héritage, une chapelle dédiée à Sainte Marie-Madeleine nommée par les habitants de Retournac « lou chu de sainta Maria-Magdeleina » (lire ci-dessous).

Une origine égyptienne ?

La Madeleine n’a pas toujours porté le nom sous lequel elle est connue de nos jours. Avant le XIIIe siècle, c’était le pey (podium) Ibis, soit littéralement la montagne d’Ibis, comme le précise le cartulaire de Chamalières-sur-Loire. Le village qui lui est adossé à l’est porte encore aujourd’hui le souvenir de cette antique dénomination, quoique sous une autre forme : le Peydible.
Si les Vellaves sont habitués à la présence de hérons dans les gorges de la Loire, jamais aucun ibis n’y a été encore vu ! On sait que l’ibis est un oiseau oriental, connu pour sa capacité à distinguer l’eau pure de l’eau impure, et qu’il était vénéré dans la religion de l’ancienne Égypte sous les formes du dieu Thot, dieu du savoir et de la sagesse, à Hermopolis Magna sur les rives du Nil.Photo Vincent Jolfre

Que viendrait donc faire une telle divinité païenne à cet endroit ?

Une première hypothèse serait de penser que le culte fut rapporté sous le Bas-Empire romain. À cette époque, d’autres divinités orientales se trouvaient vénérées par les habitants du Velay qui adoptèrent, par syncrétisme, le dieu Sarapis dont des têtes sculptées furent retrouvées à la Roche de Coubon et à Saint-Paulien, ainsi que sa parèdre Isis dont on connaît au moins une représentation en Velay, dans un réemploi de la cathédrale Notre-Dame du Puy, signalé dans la Carte Archéologique de la Haute-Loire. Il pourrait en avoir été de même à la Madeleine avec le dieu à tête d’ibis Thot.
Albert Boudon-Lashermes, célèbre érudit qui a tant fait pour le Velay, pensait que « le peuple vellave primitif, celui qui subsista de-ci de-là […] semble nous venir de Chaldée par l’Égypte et Pergame » (dans Le Velay gallo-grec, chapitre « D’où venons-nous ? »). Il pensait que nous devions à cet héritage chaldéen nos chibottes, ainsi qu’une une bonne partie de nos coutumes. Nos ancêtres chaldéens auraient-ils pu aussi apporter le culte « ibien » en Velay ?
Enfin, une dernière hypothèse est de penser qu’il n’y a jamais eu de lieu de culte à une divinité ibis à cet endroit. À part des traces de constructions hypothétiques (un oppidum gaulois avec chibottes, tumulus et remparts ?) qui firent dire à Albert Boudon-Lashermes que « la Madeleine est une réédition du camp d’Antoune », aucune découverte archéologique tangible, prouvant une occupation durable du site pendant l’Antiquité, n’a été faite. L’Association de Protection du Patrimoine de Retournac (APPR) a contacté l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) afin de mener prochainement des prospections et dévoiler une bonne fois pour toutes la destination antique du site (sanctuaire ? habitations ?). 

 

Sources. Abbé Colly, La montagne et le prieuré de Sainte-Marie-Magdeleine en Velay (Imprimerie Prades Freydier, 1887) ; Albert Boudon-Lashermes : Le Velay gallo-grec (Éditions Subervie 1958) ; Jean-Paul Béal : Le monde souterrain de Haute-Loire (Éditions du Roure 2018) ; Jean-Claude Besqueut, Jean-René Mestre & Alexandre Pau : Guide de la France Merveilleuse Sud-Est (Editions Payot 2011).Photo Vincent Jolfre

Une chapelle, Lou chu de sainta Maria-Magdeleina

Au XIIIe siècle, alors que des restes de paganisme s’attardaient un peu trop sur le sol vellave, on construisit sous l’impulsion de la famille Chalencon, qui allait bientôt devenir par alliance les Chalencon-Polignac, une modeste chapelle à la cime du mont, en l’honneur de Marie-Magdeleine.Un pèlerinage en l’honneur de Saint-Roch y est célébré chaque 16 août.

L’ancienne dénomination, Podium Ibis, disparut pour prendre celle connue de nos jours. En effet, lors des croisades, les seigneurs de Chalencon rapportèrent de Palestine des reliques. Un inventaire dressé en 1599 en liste sept, dont une de Marie-Magdeleine. Sa chapelle devint également un lieu de culte à Saint Roch, dont le pèlerinage perdure de nos jours, chaque 16 août. La Madeleine fut sous le règne de Louis XIV un lieu de culte très fréquenté. En 1650, d’après les registres paroissiaux de Bas, une habitante de Valprivas aurait trouvé la mort en allant en dévotion à la chapelle. D’après le curé, elle serait tombée de la passerelle du Bérard au-dessus de l’Ance et s’y serait noyée. Il ajoute que la femme fut trouvée avec son chapelet au bras.Photo Vincent Jolfre

À l’époque de la Révolution, la chapelle et son cimetière adjacent furent entièrement détruits. Ce n’est qu’en 1884-1885 que fut élevée une nouvelle croix à l’emplacement de l’ancien cimetière (dont on devine encore la ceinture de murs éboulés) et qu’une nouvelle chapelle fut bâtie, grâce à une souscription.

Magna Luna et la grotte de Saint-Régnier

Si le culte de Marie-Magdeleine est très répandu en Provence, cela est moins le cas en Velay. On raconte que Marie-Magdeleine accosta aux Saintes-Marie-de-la-Mer avec son frère Lazare et sa sœur Marie de Béthanie, après avoir été chassée de Galilée.L’entrée de la grotte de Saint-Régnier au bas de la paroi nord de la Madeleine. On ne peut y entrer qu’en rampant. Photo Vincent Jolfre.
Marie-Magdeleine prêcha d’abord la parole du Christ au côté de Saint-Maximin en terre provençale, puis elle vécut recluse pendant près de 30 ans à la grotte de la Sainte-Baume sur les hauteurs d’Aubagne près de Marseille.

Un sanctuaire celtique ?

La caverne de la Sainte-Baume est connue pour avoir été un ancien lieu de culte de la Magna Luna, une divinité païenne de la fécondité et symbole de la pleine lune. Un pèlerinage à la fertilité féminine dit « l’offrande des œufs » s’y déroule encore chaque année au printemps.
Il est très possible que la Madeleine de Retournac ait abrité, elle aussi, un nemeton (sanctuaire celtique) païen dédié au culte de la fécondité et aux cycles lunaires assimilés au cycle menstruel. De ce point de vue, la dédicace antique à une divinité ibis pourrait se comprendre par le fait que le dieu égyptien Ibis-Thot avait le don de capter les rayonnements lunaires et d’en organiser les cycles.
Le site rappelle aussi en de nombreux points la caverne provençale de la Sainte-Baume. Au nord, cachée dans la pente et difficilement accessible sans corde, se trouve une grotte que l’on dit avoir été habitée pendant l’époque médiévale par l’ermite Saint-Régnier. Cette cavité est de forme utérine et le pèlerin « ne peut y pénétrer que par une ouverture très petite et en rampant sur le sol ».
Pour l’abbé Colly, qui écrit à la fin du XIXe siècle un fascicule sur la Madeleine, « la tradition la plus vraisemblable, ici, rapporte que c’était, aux temps jadis, le sanctuaire mystérieux où s’accomplissaient les cérémonies du culte Ibien ».
En tout cas le mystère reste entier. Mais rêvons un peu ! N’y a-t-il pas quelque chose du Nil dans cette Loire qui serpente à Retournac ? Les sucs des monts du Velay ne font-ils pas songer aux pyramides du plateau de Gizeh ? La porte formée par le Gerbizon et la forêt de Miaune ne rappelle-t-elle pas les immenses colosses de Memnon protégeant l’accès à la vallée des Rois ? Et le mont Madeleine ne serait-il pas finalement la transposition vellave du Gebel Barkal soudanais, ce promontoire rocheux en bordure du Nil, qui abritait la demeure d’Amon ? 

La légende du bénitier des fées rapportée par l’abbé Colly

À une cinquantaine de mètres de l’entrée de la grotte de Saint-Régnier, sur la falaise à hauteur d’homme, on aperçoit un trou horizontal, d’une profondeur d’une cinquantaine de centimètres, appelé lou beniquier de las fadas, le bénitier des fées. Une légende y est attachée, que l’abbé Colly rapporte dans son fascicule sur la Madeleine : « Les fées [du mont Madeleine] se signalaient par une beauté exceptionnelle, et leur dieu était d’or.

Photo Vincent Jolfre

Il s’est raconté, d’âge en âge, qu’un jeune homme de bonne famille, épris d’amour pour l’une d’elles, résolut de la demander en mariage. Un jour donc le gaillard, pimpé comme on pense, se hasarda à gravir l’Olympe d’Ibis. Modeste et quelque peu tremblant, il approchait de la retraite sacrée des nymphes, lorsque soudain il aperçut celles-ci, au nombre de trois, couchées et dormant sur le sol. Le profane s’arrête stupéfait… Horreur !…. Il voit une vermine pullulante, hideuse, sortir par le nez et rentrer par la bouche de ces fées spécieuses, devenues repoussantes. Le tableau n’est pas de son goût ; il tourne talons et décampe sans mot dire. La leçon avait été comprise ».Photo Vincent Jolfre

 

Bruno Mestre


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2 commentaires

ange1900 a posté le 27 novembre 2020 à 08h51

vous avez fait un très beau reportage du plateau de la Madeleine .Bravo ça fait un peu rêver en ces temps sinistre, encore merci.

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Xavier Arcis a posté le 26 novembre 2020 à 21h02

Je ne suis pas historien, mais j'imagine qu'on ne vient pas du désert. Mais, c'est sûr qu'on ne doit pas non plus venir du pôle Nord. En tout cas, c'est toujours un bonheur de voir que les couleurs, les paysages et les endroits de notre département, soit toujours aussi intéressant, et rempli de mystères. Mais bon, il faut aussi en garder pour soit, sinon, ce ne sont plus des mystères ;+). Prenez soin de vous et soyez prudent. Avec respect et pacifisme.

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