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Ariane Mnouchkine, le soleil qui ne s’est jamais couché

OPINION. La grande dame du théâtre, à Lausanne pour trois semaines, a tenu bon, malgré une presse qui ne l’a pas toujours choyée. Elle croit dans un art joyeux et intelligent capable de changer les gens. Notre chroniqueuse y croit avec elle

Il y a trente-quatre ans, en juillet 1984, Ariane Mnouchkine au Festival d’Avignon, lors d’une répétition d'«Henry IV» de Shakespeare, mis en scène par la directrice et fondatrice du Théâtre du Soleil. — © Pierre Ciot/AFP
Il y a trente-quatre ans, en juillet 1984, Ariane Mnouchkine au Festival d’Avignon, lors d’une répétition d'«Henry IV» de Shakespeare, mis en scène par la directrice et fondatrice du Théâtre du Soleil. — © Pierre Ciot/AFP

L’Histoire est taquine. Elle donne raison aux fervents, aux tenaces, aux rocs sur lesquels sont construites des utopies. Lorsque j’ai commencé la critique dramatique dans les années 1990, le Théâtre du Soleil, fondé trente ans auparavant, ne vivait plus son plein rayonnement médiatique. Cette fin de XXe siècle vibrait pour les mouvements de cœur et de corps orchestrés par Patrice Chéreau autour de son auteur phare, Bernard Marie-Koltès.

Vies fragiles et souffles intimes

Elle palpitait aussi pour la fine dentelle relationnelle de Jean-Luc Lagarce, homme de plume et de scène qui partageait avec Koltès un destin brûlant et brutalement brisé par le virus du sida. Le chœur critique frémissait pour ces vies fragiles, ces souffles intimes qui disaient que la vie n’était rien sans l’incandescence. Alors, on descendait en soi, on regardait moins autour de soi…

Ariane Mnouchkine ne s’est pas découragée. La presse la boudait? Le public continuait à affluer, transporté par ses fresques populaires, humanistes, inspirées par l’ailleurs – l’Inde et l’Extrême-Orient – et guidées par l’idée que l’homme marche sans cesse vers son meilleur. Toujours, la femme de théâtre a maintenu son cap: au Soleil, tous les collaborateurs reçoivent le même salaire depuis plus de cinquante ans et le public est, chaque soir, accueilli en frère.

Lire aussi: Le Théâtre du Soleil ou le fabuleux destin d’Ariane Mnouchkine

Toujours, avec le concours de sa fidèle dramaturge Hélène Cixous, Ariane, comme elle aime qu’on l’appelle, a mêlé documentation fine et imagination pour construire des spectacles aussi éclairants que spectaculaires. En 2010, j’ai eu cet éblouissement – la conjonction du sens et des sens – avec Les naufragés du Fol Espoir, un tableau à multiples entrées qui racontait avec feu et fougue la double naissance du cinéma et des utopies socialistes sur fond de Première Guerre mondiale menaçante.

Oui, le théâtre peut changer les gens

Aujourd’hui, à l’aube de ses 80 ans, Ariane Mnouchkine a renoué avec le plein succès. Sa Chambre en Inde, que les spectateurs romands ont la chance de découvrir dès ce mercredi à Lausanne grâce à la mobilisation d’Omar Porras et de son équipe, a rallié tous les suffrages publics et médiatiques. Peut-être parce que la metteuse en scène ose s’y moquer du terrorisme et de tous les intégrismes qui ravagent la planète.

Lors d’une conférence donnée à l’Université de Lausanne, vendredi dernier, la grande dame a témoigné d’une vivacité rare et rappelé aux étudiants que «oui, le théâtre peut changer les gens. Il développe la compassion, c’est-à-dire la faculté de comprendre par l’imagination la souffrance de l’autre. Le théâtre rend les choses non pas réelles, mais vraies. Les gens vivent et voient, ça les réveille humainement.»

Je souhaite aux 13 000 spectateurs d’Une chambre en Inde une sublime veille de théâtre.

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