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Alain Juppé, la machine à perdre

Toujours favori des sondages, l’ancien premier ministre français a de plus en plus de mal à contenir les attaques sur sa droite, décuplées par la candidature de Nicolas Sarkozy. Pis: le voici désormais «ringardisé» par Emmanuel Macron…

Toujours favori des sondages, l’ancien premier ministre français Alain Juppé a de plus en plus de mal à contenir les attaques sur sa droite, décuplées par la candidature de Nicolas Sarkozy. — © AFP
Toujours favori des sondages, l’ancien premier ministre français Alain Juppé a de plus en plus de mal à contenir les attaques sur sa droite, décuplées par la candidature de Nicolas Sarkozy. — © AFP

Difficile, pour Le Temps, d’oublier cette scène. Ce 22 novembre 2014, Alain Juppé vient de se faire huer lors du meeting de Nicolas Sarkozy dans sa ville de Bordeaux. Embuscade. Snipers. Prélude aux règlements de comptes à venir entre candidats aux primaires de la droite française.

Le soir même, le même Juppé se retrouve à débattre avec l’écrivain Alexandre Jardin – promoteur des «Zèbres» et grand détracteur de l’Etat français paralysé – et l’ancien patron des maires de France Jean-Paul Delevoye. Ambiance détendue. Echange cordial. Suit une tournée du candidat gaulliste au fil des bâtiments de l’ancienne caserne Niel, devenu un repaire de start-up et d’associations bordelaises.

Celui que l’on écoute mais qui ne donne guère envie de dialoguer

Accompagné de son épouse Isabelle, Juppé marche. Il multiplie les arrêts «selfies». On lui apporte une bière. Problème: personne ne vient trinquer avec lui, sauf son entourage. Le maire ne discute pas. Ses administrés ne l’interpellent pas. Il prend la pose. Ainsi va Juppé, le «meilleur d’entre nous» que l’on écoute, mais qui ne donne guère envie de dialoguer…

Imaginons maintenant une autre scène, cette fois de politique-fiction. 13 octobre 2016. Premier débat télévisé entre les candidats de la primaire de droite. La colère des électeurs, attisée par les harangues de Sarko, suinte dans l’assistance. Le concept de «l’identité heureuse» défendu avec courage par Juppé le conservateur-rassembleur, est pilonné depuis des semaines par ses adversaires. Les sondages, évidemment discutables, estiment que la barre des deux millions de votants sera franchie avec peine les 20 et 27 novembre. La bataille se jouera à droite toute.

«Je ne vous suivrai pas dans ce fossé»

Tension. François Fillon et Bruno Le Maire, les poursuivants directs, ont musclé leurs discours pour jouer leur va-tout. Nadine Morano et Henri Guaino, que Nicolas Sarkozy a aidé à obtenir les parrainages requis pour se présenter à la primaire, tirent à boulets rouges sur la «naïveté» du «cerveau» Juppé, si «brillant», et tellement «hors sol».

Le maire de Bordeaux se cabre. Le voici poussé dans les cordes, salué comme un «sage» apte à diriger l’ONU, l’OTAN ou l’UE, mais pas un hexagone effervescent. Jusqu’au clash en direct, devant les caméras: «Vous avez tous été contaminés par Donald Trump, rugit Juppé. Je ne vous suivrai pas dans ce fossé. Merci Messieurs, je quitte cette primaire démago…»

Ce scénario, au sein des observateurs politiques français, porte aujourd’hui un nom de code: «Juppé, la machine à perdre». Une machine alimentée, selon ceux qui connaissent bien l’ancien bras droit de Jacques Chirac, par trois facteurs convergents: son réel complexe de supériorité; sa colère envers Nicolas Sarkozy dont il a sous estimé la volonté de revanche; sa volonté, à 70 ans, de rester intellectuellement honnête après une vie consacrée à la politique.

Le sablier politique s’est cruellement renversé

Juppé «droit dans ses bottes» quand tous les autres sont tordus. Juppé coincé, surtout, par des primaires aux antipodes de la conception gaulliste du rendez-vous présidentiel «vertueux» entre l’homme et la nation: «Un grand renversement a eu lieu, confirme un de ses proches. Sarko, qui ne voulait pas des primaires, les domine désormais avec sa stratégie de saturation médiatique. Juppé, qui a joué le jeu, se rend compte qu’il aurait bien plus de chances s’il se présentait directement aux présidentielles.» Le sablier politique s’est cruellement renversé.

Reste la compétence. L’intelligence incontestée. La capacité à calmer les esprits. La posture d’homme d’Etat. Sauf que voilà: Alain Juppé le «meilleur d’entre nous» des années Chirac doit désormais compter avec le «premier de la classe» du quinquennat Hollande, Emmanuel Macron. Plus jeune. Plus moderne. Plus séduisant. Moins corseté. Plus aimable. Plus lyrique aussi. Bref, plus humain.

Sur les rails politiques qui mènent à l’Elysée, l’aiguillage est, pour le TGV Juppé, soudain déréglé. Avec, comme conséquence, un risque accru de collision.