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Décès de Jacques Rozier, figure de la Nouvelle Vague, doué et rare

Depuis la mort de Jean-Luc Godard en septembre 2022, il était le dernier représentant de l’emblématique mouvement cinématographique né dans les années 1950. Il était admiré par ses pairs et la critique pour ses prises de risque et son obsession de l’image juste

Jacques Rozier le 5 septembre 2001 à Venise. — © GABRIEL BOUYS / AFP
Jacques Rozier le 5 septembre 2001 à Venise. — © GABRIEL BOUYS / AFP

Cinéaste du grand air et du grand large, Jacques Rozier, décédé le 2 juin à l’âge de 96 ans, est devenu grâce à une poignée de films seulement une figure de la Nouvelle Vague, admiré de ses pairs et de la critique.

Prix Jean Vigo 1986 pour Maine Océan, prix René Clair 1997 pour l’ensemble de son œuvre, Carrosse d’or 2002 à Cannes, il a réalisé Adieu Philippine (1962), Du côté d’Orouët (1973) et Les Naufragés de l’île de la Tortue (1976). Soit quatre films en plus d’un demi-siècle… Il en a tourné deux autres, Fifi martingale (2001), jamais sorti en salles, et Le perroquet parisien (2007), resté inachevé.

Il était le dernier

Anar au cœur tendre, amoureux des chemins de traverse, metteur en scène parfois incontrôlable, parfois en dilettante, mais aussi chercheur obsessionnel de l’image juste, il a également tourné une vingtaine de courts métrages, souvent remarqués, et travaillé pour la télévision.

En 2019, Jean-Luc Godard (décédé en septembre 2022) saluait la trace laissée par Jacques Rozier dans le cinéma français: «Quand Agnès Varda est morte, j’ai pensé: la vraie Nouvelle Vague, on n’est plus que deux. Moi et (…) Jacques Rozier qui a commencé un peu avant moi.»

Le mouvement de la Nouvelle Vague, né à la fin des années 1950, entendait rompre avec les techniques cinématographiques classiques au profit de l’expérimentation et d’une approche individualiste, voire iconoclaste. Outre Jacques Rozier, ses figures les plus emblématiques sont Jean-Luc Godard, François Truffaut, Agnès Varda, Louis Malle, Claude Chabrol, Jacques Demy ou encore Eric Rohmer.

«Des cinéastes de la Nouvelle Vague, Rozier est celui qui divague. Celui qui aime que tout aille de travers, pour mieux alimenter son sens très particulier de la dramaturgie (…)», a salué à l’annonce de son décès la Cinémathèque française.

Jacques Rozier naît le 10 novembre 1926 à Paris. Diplômé de l’IDHEC (l’école de cinéma devenue la Fémis) en 1947, il est assistant de Jean Renoir pour French Cancan (1955), réalise des courts métrages comme Paparazzi et Le Parti des choses (les deux en 1963) sur les coulisses du tournage du Mépris de Godard. En 1962 sort son premier long métrage, Adieu Philippine. Chronique douce-amère de la jeunesse française, sur fond de guerre d’Algérie, il devient un des films phares de la Nouvelle Vague.

Financement restreint

François Truffaut et Godard le soutiennent, pourtant il n’a guère de succès. Même destin pour le film suivant, onze ans plus tard, Du côté d’Orouët, récit (filmé en 16 mm initialement) d’une famille de la classe moyenne en vacances. Jacques Rozier fait appel à Pierre Richard, alors vedette du cinéma hexagonal, pour jouer dans Les Naufragés de l’île de la Tortue. Le film marche un peu mieux.

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On y retrouve son humour teinté de cynisme et un goût pour les ambiances oniriques. Il raconte l’histoire de deux employés d’une agence de voyages qui lancent un nouveau concept touristique à la Robinson Crusoé. Au final, c’est le fiasco…

Maine Océan (1985) relate le voyage, ou plutôt la virée pataphysique dans l’ouest de la France de personnages farfelus: une chanteuse brésilienne, deux contrôleurs de train (Bernard Menez et Luis Rego), une avocate hystérique et un marin-pêcheur irascible.

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Vos films «ont la fausse légèreté, la fraîcheur qu’on ne trouve que dans les premiers films (…). Tous vos films ressemblent à des premiers films», disait en 2019 le jeune cinéaste Guillaume Brac lors d’une rencontre organisée par Télérama avec le vieux maître.

«Les réalisateurs français qui s’inscrivent dans votre sillage, je pense à Sophie Letourneur, à Justine Triet et à moi-même, ont en commun d’avoir écrit et tourné leur premier film en quelques semaines, avec un scénario rarement complet, un financement extrêmement restreint. Des conditions qui vont à rebours de la norme actuelle où l’écriture peut prendre des années», avait-il ajouté.

Ce à quoi Jacques Rozier, toujours vif malgré son âge, avait répliqué: «Dès que j’entends quelqu’un me dire qu’il peaufine son scénario depuis deux ans, j’ai envie de lui dire de le garder pour lui. Le cinéma est une question de risque et de désir. Comme l’amour.»

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