Quand Jean-Edern Hallier s’est tué à vélo, à Deauville, au petit matin du 12 janvier 1997, Jean d’Ormesson a d’abord cru à un nouveau coup monté du « Breton mégalo », comme on l’appelait. Mais non, Jean-Edern est bien mort ce jour-là en Normandie. Sans témoin, ce qui va alimenter les plus folles rumeurs. AVC ? Assassinat politique ? On a dit qu’au moment de l’accident, le coffre-fort de sa chambre d’hôtel a été vidé et son appartement parisien visité. Mais on a dit aussi que, lorsqu’on carbure à deux litres de vodka et quatre paquets de cigarettes par jour, disparaître à soixante ans, ce sont des choses qui arrivent.
Qui croire ? En vérité, la fin de Jean-Edern Hallier est conforme à ce que fut sa vie entière. Une vie où rien jamais n’est net, où le réel et le ouï-dire scabreux se confondent en permanence, où dans un indescriptible chaos s’entrechoquent frénétiquement les sphères du littéraire, du fait divers et du politique. Un écheveau qu’il faut s’efforcer de démêler pour retrouver l’homme derrière le trublion narcissique.
Le nouveau Chateaubriand
Très jeune, Jean-Edern s’est voulu écrivain. Un très grand écrivain, cela va sans dire. Ses rêves de notoriété littéraire se forgent entre Saint-Germain-en-Laye et Edern, en Cornouaille, où son père, général, possède un manoir, La Boissière. Paris et la Bretagne. Deux pôles antagoniques, de la confrontation desquels l’inspiration va jaillir, ainsi que les névroses. Les débuts sont plus que prometteurs, brillants. En 1960, à 24 ans, Jean-Edern Hallier fonde avec Philippe Sollers la prestigieuse revue « Tel Quel ». Quelques années plus tard, il participe à la création de la Collection 10/18 et prend en 1968 la direction des « Cahiers de l’Herne ».
Et puis il y a les romans, flamboyants, qui le consacrent comme l’un des plus brillants stylistes de sa génération. En 1967, « Le Grand Écrivain » révèle l’incontestable talent d’un auteur comparé par certains critiques à Chateaubriand. D’autres beaux livres suivront, comme « Le premier qui dort réveille l’autre » en 1977 ou « Bréviaire pour une jeunesse déracinée » en 1982. Bernard Pivot, enthousiaste, avait prédit en 1974 : « Cet écrivain sera un jour à l’Académie française ».
L’écrivain plastiqueur
Il n’y aura pourtant pas d’Académie pour Jean-Edern. Car derrière l’éblouissant romancier se cache un punk déjanté. Un homme sans limite, qui a une manière très personnelle de régler ses contentieux. À coups de cocktails Molotov ou de colis piégés qui, fort heureusement, n’explosent pas toujours… Si « l’attentat » contre la résidence de Françoise Mallet-Joris en 1975 se résume à un simple feu de paillasson, le plasticage en 1982 de l’appartement de Régis Debray, rue de Seine, emporte tout de même la moitié de l’immeuble.
Le pamphlétaire désinhibé
Mais la légende noire du « Fou Hallier » eût été incomplète si ses agissements avaient seulement troublé la quiétude du petit monde des lettres parisien. Pour son malheur, le pouvoir fascinait Jean-Edern, qui y voyait le plus court chemin vers la grandeur. En 1979, il se paie Giscard dans sa « Lettre ouverte au colin froid ». Il n’en faut pas plus pour le convaincre qu’il a fait gagner Mitterrand en 1981, et que celui-ci lui doit la direction d’une chaîne de télévision. Las, le nouveau président, qui admire l’écrivain mais se défie de l’hurluberlu, l’ignore superbement. Fou de rage, Jean-Edern Hallier rédige dès 1982 son fameux brulot, où il dévoile tout sur Mitterrand : sa fille cachée, son passé vichyste, son cancer. Et menace de le publier.
Mais l’Élysée ne cède pas au chantage. Jean-Edern Hallier, qui s’était rêvé barde officiel du nouveau régime, en devient l’ennemi public n° 1. Mises sur écoute illégales de l’écrivain et de ses proches, surveillance policière incessante, pressions sur les éditeurs, tous les moyens de l’État sont mis à contribution pour bâillonner l’agitateur. Qui ne parviendra à publier « L’honneur perdu de François Mitterrand » qu’en février 1996, un mois après la mort du président.
Pour en savoir plus
Jean-Edern Hallier, « L’honneur perdu de François Mitterrand », Editions du Rocher/Les Belles Lettres, 1996.
Jean-Claude Lamy, « Jean-Edern Hallier, l’idiot insaisissable », Albin Michel, 2017.
François Bousquet, « Jean-Edern Hallier ou le narcissique parfait », Albin Michel, 2005.