Brice Couturier : « Le macronisme est un libéralisme de gauche »
INTERVIEW - « Nous vivons un moment saint-simonien », analyse Brice Couturier qui le définit comme la capacité à « ramener les problèmes à des données simples, de manière à les résoudre ».
Par Dominique Seux
Brice Couturier est essayiste, présentateur et producteur d'émissions notamment sur France Culture. En 2017, il a publié « Macron, un président philosophe » (Editions de l'Observatoire).
Un an ou presque après l'entrée d'Emmanuel Macron à l'Elysée, cerne-t-on mieux ce qu'est le macronisme ?
Ce président est le produit de circonstances particulières. Nous sommes passés bien près de la guerre civile en 2017, avec deux populismes extrémistes qui se faisaient face et s'équilibraient. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont obtenu chacun autour de 20 % des suffrages au premier tour de la présidentielle. Si l'une ou l'autre l'avait emporté, une grande partie de la population - pas la même… - aurait absolument refusé ce résultat. Il y aurait eu des affrontements.
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Emmanuel Macron a été la solution que le pays s'est inventée pour échapper à ce piège redoutable. Comme Napoléon Bonaparte, toutes proportions gardées, avait été la solution quand la France hésitait, en 1797-1799, entre le retour des Monarchistes et la poursuite de la folie jacobine. Et comme, en 1958, lorsque de Gaulle a sorti la France du dangereux face-à-face entre les militaires et les communistes.
Certes, Emmanuel Macron n'a pas la légitimité que ces deux glorieux prédécesseurs avaient acquise sur les champs de bataille, mais lui aussi est arrivé à point nommé.
Voilà pour les circonstances de son arrivée. Mais depuis ?
Jacques Julliard avait, je crois, trouvé la formule la plus juste : nous vivons un moment saint-simonien. Le saint-simonisme, c'est une manière de court-circuiter les corps intermédiaires et de faire du déminage idéologique : ramener les problèmes à des données simples, de manière à pouvoir les résoudre. Le macronisme est un libéralisme de gauche à la scandinave, et non pas à l'anglo-saxonne. Il défend un modèle social universaliste et non corporatiste. A cause des circonstances et de la logique institutionnelle, il s'agit d'un libéralisme autoritaire.
Une partie de l'opinion a l'air de considérer que ce libéralisme est davantage de droite que de gauche…
C'est injuste. Ce président ne se préoccupe pas seulement de libérer les énergies ou d'organiser le « ruissellement » - terme qu'il n'a d'ailleurs jamais utilisé. Il combat des rentes et demande à ceux qui réussissent de faire preuve de solidarit é envers ceux qui n'ont pas réussi. En concentrant les moyens sur ceux qui en ont besoin. La réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage va dans ce sens. Assurer aux individus les moyens de leur employabilité est la contrepartie de l'assouplissement du Code du travail.
Ce président agit vite, est-ce nouveau à ce point ?
Il ne faut exagérer ni la vitesse ni l'ampleur de ce qui a été fait depuis un an. En réalité, ce libéral est très modéré. Et le rétablissement de l'autorité de l'Etat est prudent. Sa méthode, par contre, est nouvelle. Il contourne les bunkers, plutôt que de les prendre d'assaut. Emmanuel Macron pense qu'il peut contourner les syndicats et les médias. Que, comme les « partis de gouvernement », ce sont des coquilles vides. Des fossiles de « l'ancien monde ». Parmi les syndicats, il ne se cherche pas d'allié particulier comme ses prédécesseurs l'ont tous fait. C'est prendre un sérieux risque.
Sa façon de gouverner est-elle particulière, on la dit très verticale ?
Sa particularité est d'être intéressé à la fois par la gestion à court terme et l'horizon à 20 ans : dette publique, réchauffement climatique, etc. C'est, à mon avis, la vraie signification du « en même temps » au sens de Paul Ricoeur : regarder les problèmes avec l'oeil de l'immédiateté et en même temps garder de la distance. Du coup, il s'occupe de tout. De la gestion quotidienne.
Quant aux problèmes de long terme, les résultats arrivent trop tard pour gagner les élections. Il prétend refuser de se laisser dicter l'agenda par l'opinion et les médias, mais c'est ce qui risque d'arriver.
Qu'est-ce qui peut menacer Emmanuel Macron au cours des mois qui viennent ?
Son problème principal, dans l'immédiat, c'est que l'opposition de droite est parvenue à le faire passer pour un représentant des métropoles connectées et multiculturalistes. Un wonderboy de la mondialisation, ignorant « les territoires ». Mais la grande question, c'est de savoir s'il saura répondre aux attentes et à l'exaspération de ceux qui ont voté pour les extrêmes en 2017. Il est bien trop tôt pour le dire.
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Dominique Seux