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L'éclaireur de livrets

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Publié le 28 mars 2003 à 01:01

Si l'on considère avec attention la carrière de Jean-Louis Martinoty, on est frappé par son éclectisme. On avait trop vite associé ce metteur en scène d'opéra à l'univers baroque parce qu'on avait en tête des réussites marquantes : « Le Couronnement de Poppée » de Claudio Monteverdi monté à Tourcoing, en 1984, dans la version de Naples, ou encore, voici tout juste vingt ans, la première production scénique française des « Boréades » de Jean-Philippe Rameau, qui avait fait sensation au Festival d'Aix-en-Provence. En 2001, des « Noces de Figaro » mozartiennes présentées au Théâtre des Champs-Elysées (reprises en avril prochain à l'Opéra de Marseille) avaient rappelé l'acuité de son regard. Mais l'intéressé remet lui-même les choses au point : « Tout m'intéresse, je ne suis pas plus à l'aise dans le baroque que dans Wagner ou Richard Strauss. J'ai parfois l'impression d'être celui qu'on appelle pour faire les ouvrages qu'on ne veut pas donner aux autres : on m'a confié "Les Boréades" mais pas "Les Indes galantes", je n'ai jamais fait "Don Giovanni" ni "Cosi fan tutte". Je suis passionné par la musique contemporaine, j'en programmais régulièrement lorsque j'étais administrateur de l'Opéra de Paris, mais on ne m'en propose jamais, et je le regrette. »

Respecter le contexte
De ce passage officiel dans une maison réputée difficile, il garde le souvenir d'une période exaltée et fatigante. « C'était un château en Espagne ; un peu comme lorsque le roi vous nomme seigneur mais que vous devez vous battre pour prendre le pouvoir. Nous avons pu tenter des nouveautés. Je suis satisfait d'avoir proposé pendant la même saison la version originale du "Don Carlos" de Verdi et la traduction italienne courante, d'avoir programmé les deux versions du "Boris Godounov" de Moussorgski, d'avoir permis à des artistes françaises comme Michèle Lagrange et Martine Dupuy d'interpréter les rôles principaux de "Norma", d'avoir associé à nos activités des plasticiens comme Olivier Debré ou Arman. Nous sommes là pour que le public éprouve du plaisir, mais il n'y a aucune raison de l'empêcher d'être intelligent. »

A la rentrée 2001, ô surprise, c'est à une comédie musicale que s'attaque cet infatigable curieux. Le succès du « Petit Prince », toujours à l'affiche du Casino de Paris, confirme qu'il a eu raison de se lancer dans l'entreprise. « J'accepterai probablement d'autres propositions de ce genre. Dans ces entreprises privées, la mentalité n'est pas la même qu'à l'opéra, le patron, c'est celui qui paie. J'ai été vraiment ravi d'une telle aventure qui pose de véritables questions à un homme de théâtre. J'ai fait moi-même le découpage du livret. Pour composer nos images, nous avons utilisé des moyens très conventionnels, des toiles peintes et des tulles. Avec certaines innovations, bien sûr... mais les lois qui régissent la pratique théâtrale sont immuables. »

La méthode de Jean-Louis Martinoty ne varie pas : « Mon système de lecture, c'est de considérer l'oeuvre pour ce qu'elle est, pour ce qu'elle veut dire, de la prendre dans son siècle, dans son contexte, et de voir comment elle opère. Alors que la mode actuelle veut que l'on fabrique des spectacles qui parlent aux gens d'aujourd'hui avec des moyens d'aujourd'hui, quitte à ce qu'ils ne soient plus lisibles. » Ses classes, il les a faites auprès de Jean-Pierre Ponnelle, metteur en scène renommé disparu, hélas, en 1988. Critique musical à « L'Humanité », Martinoty le rencontre à l'occasion d'un entretien. « Je n'avais pas la moindre intention de devenir metteur en scène, mais j'aimais l'opéra et je suivais son travail. Je suis resté auprès de lui de 1970 à 1975. Au début, je n'étais pas payé, je dormais n'importe où, dans un sac de couchage ; j'ai longtemps pratiqué l'alpinisme, et vivre à la dure ne me posait pas de problème. Je n'étais pas son assistant, j'occupais plutôt les fonctions d'un dramaturge. J'ai travaillé sur "Les Noces de Figaro" et j'ai fait la reprise de la production à Salzbourg, avec Karajan. J'ai aussi collaboré à ses films, comme "Madama Butterfly". Il était attentif à l'articulation musicale, d'une façon presque chorégraphique dans les ensembles ; l'organisation scénique révélait l'organisation musicale. »

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Satire jouée en costumes XVIIIe
Passer du « Petit Prince » à « L'Opera seria » de Florian Gassmann, c'est se plonger à nouveau dans la Vienne du XVIIIe siècle _ cette « commedia per musica » fut en effet créée au Burgtheater en 1769 _ à travers une production dont la première eut lieu au Festival de Schwetzingen, en 1994, et fut suivie de reprises à Innsbruck et à la Staatsoper de Berlin en 1997-1998. Et c'est faire jouer une fois encore cette dialectique entre le texte et la musique qui est au coeur de toute mise en scène lyrique. « "L'Opera seria", c'est en quelque sorte une stratégie de l'opéra buffa contre le seria, mais l'attaque est menée moins contre le genre que contre ceux qui en sont les protagonistes, chanteurs, librettistes, compositeurs... Une satire qu'il serait facile et pratique de transposer dans un univers plus moderne, ce qui serait méconnaître des codes de l'époque qui y sont dénoncés comme tels. Elle est donc jouée en costumes XVIIIe et dans un décor qui n'hésite pas à brandir la carte du kitsch. Tout est "trop" dans l'ouvrage et dans sa mise en scène : les airs sont trop difficiles, tout au moins pour les personnages qui sont censés les chanter, certaines scènes sont trop statiques, d'autres trop remuantes. Il faut garder l'équilibre au milieu de tous ces excès, tout doit être pesé au milligramme de manière à ce que les personnages restent crédibles, ce qui n'est pas évident ; avec René Jacobs nous travaillons beaucoup à varier les couleurs des récitatifs. Les trois mères des cantatrices sont interprétées par trois hommes ! Il faut qu'au bout d'un certain temps le spectateur les considère comme des femmes... Entre l'action proprement dite et les répétitions, nous sommes constamment dans un phénomène de miroir ; j'ai parfois du mal, lorsque je donne une indication aux chanteurs, à me différencier du librettiste, qui en fait autant. » Avec Martinoty, il s'en passe, des choses, côté coulisses !

MICHEL PAROUTY

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