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Haguenau, ou comment exploiter un privilège géographique

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Publié le 25 nov. 1997 à 01:01

Il aura fallu moins de quarante ans à Haguenau pour se bâtir ex nihilo un destin industriel. La petite cité d'Alsace, victime, comme le reste de la province, des déchirements de l'Histoire, était demeurée longtemps une laissée-pour-compte du développement économique. Une sous-préfecture perdue au milieu des cultures et des forêts, tout juste animée par les centaines de militaires qui y tenaient garnison, oubliée tant de la révolution industrielle du second Empire français que du Reich allemand après l'annexion de 1870. Une région sacrifiée par la politique de glacis pratiquée après 1918 par la France, qui souhaitait verrouiller les confins du territoire national en s'abstenant d'y construire routes et voies ferrées.

L'entrée d'Haguenau dans le monde moderne n'en aura été que plus spectaculaire. A l'origine de cette mutation : la reconstruction de l'industrie allemande après la Seconde Guerre mondiale. Presque du jour au lendemain, la position géographique de la ville a cessé d'être un inconvénient pour devenir un atout majeur. Quand l'Alsace s'est imposée comme la porte d'entrée privilégiée sur le marché français pour des entreprises allemandes en rapide expansion, Haguenau a profité de son statut de principal centre urbain au nord de Strasbourg pour retenir l'attention des investisseurs. Et les Allemands ont trouvé dans ce terroir marqué par un vieux fond de ruralité une main-d'oeuvre bien adaptée à leurs attentes, tant il est vrai que l'attachement au travail bien fait, le goût pour la paix sociale, la fidélité à l'entreprise, sont des qualités appréciées outre-Rhin. La proximité culturelle et linguistique a fait le reste dans cette partie de la province traditionnellement fidèle au dialecte alsacien.

Un vivier de PME
Amorcé avec l'arrivée, vers 1960, des premiers industriels allemands, INA Roulements puis Sew Usocome, le flux des investissements venus d'outre-Rhin n'a fait par la suite que grossir. Les évolutions structurelles de l'économie ont en l'occurrence servi Haguenau. A l'objectif initial de conquête du marché français, s'est ajoutée, pour de nombreuses entreprises allemandes, une logique de délocalisation. Profitant d'un différentiel favorable en matière de salaires et de coût du foncier, elles fabriquent en Alsace des pièces détachées ou des produits finis qui seront ensuite envoyés de l'autre côté du Rhin.

La ville, qui a su aussi séduire d'autres investisseurs étrangers tels le suisse Neutra ou l'américain Mars, a continué de marquer des points au fur et à mesure que se développaient autour d'elle les axes de communication. « C'est un noeud géographique incontournable, entouré d'un hinterland très important », rappelle Claude Gassmann, directeur de la Chambre de métiers d'Alsace. L'autoroute Bâle-Strasbourg-Bruxelles passe tout près, sans parler des « Autobahnen » allemandes. Il ne faut que trois jours à une barge pour descendre le Rhin jusqu'à Rotterdam. Et, entre les aéroports de Strasbourg, de Bâle-Mulhouse et de Stuttgart, le voyageur n'a que l'embarras du choix. Autre avantage de la géographie, et non des moindres : le pouvoir d'attraction qu'exercent sur la main-d'oeuvre haguenauvienne le Bade-Wurtemberg voisin et la métropole strasbourgeoise, située à moins de 30 kilomètres. Quelque 700 Haguenauviens vont chaque jour travailler de l'autre côté de la frontière, tandis que 2.000 d'entre eux rallient la capitale régionale. De quoi contribuer efficacement à la modestie du taux de chômage dans la ville, qui avoisine aujourd'hui 7,5 %.

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Est-ce à dire qu'Haguenau ne doit son dynamisme qu'à une rente de situation géographique dont il retirerait sans coup férir les bienfaits ? Ce serait faire peu de cas du dynamisme manifesté par les entrepreneurs du cru. L'exemple des sociétés étrangères venues s'implanter ici a suscité des vocations. La cité s'est dotée d'un réseau de firmes industrielles de 50 à 200 salariés aussi performantes que, souvent, peu connues, que renforce une multitude d'établissements de taille plus modeste. La zone de l'aérodrome, l'un des trois parcs d'activités de la ville, rassemble ainsi à elle seule 150 entreprises représentant 2.500 emplois.

Absence de grands projets
Au total, un appareil industriel d'une rare densité pour une commune qui ne compte que 30.000 habitants. La municipalité, dirigée par l'hyperdiscret Pierre Strasser, un indépendant proche de l'UDF, entend cultiver ce filon. « Le rôle d'une collectivité locale est de savoir accompagner la chance ou le hasard en aménageant des pôles d'activités, en favorisant le développement de services, en encourageant la formation », affirme Damien Ott, au cabinet du maire. Principal instrument de cette politique : le Caire (Centre d'animation, d'information et de relais économique). « Cette structure exerce une fonction d'accueil, de renseignement et, le cas échéant, de bureau d'études. Elle fournit également des locaux aux jeunes entrepreneurs », explique Carmen Muller, la directrice du Caire. Actuellement, la pépinière héberge 6 sociétés, qui se consacrent au génie climatique, à l'informatique industrielle, au désamiantage, aux câbles chauffants, à l'étanchéification des locaux souterrains. Parmi les réussites récemment enregistrées par le Caire : la contribution au lancement d'Artesys, qui emploie aujourd'hui une quinzaine de personnes à la fabrication de condensateurs haute tension, et d'Anetame, un spécialiste du génie environnemental.

En dépit de ces réussites, on a le sentiment que l'élève haguenauvien pourrait faire beaucoup mieux. Les dirigeants d'entreprise ne manifestent guère de souci de travailler ensemble au développement du bassin, malgré l'existence de quelques forums comme les rencontres périodiques entre responsables des relations humaines. « Les entreprises font avant tout partie de leur corporation », regrette Carmen Muller. Chez Mars, on reconnaît cette absence d'implication dans la vie de la cité : « Nous avons choisi de nous implanter à Haguenau, car nous avions besoin d'un site proche de nos autres usines européennes, avec de l'espace pour une extension future et la proximité d'une grande ville. Mais nous avons avant tout une stratégie de groupe international et ne travaillons que de manière marginale avec des partenaires locaux», indique-t-on à la direction française du groupe américain, qui emploie dans la localité bas-rhinoise 700 personnes à la fabrication de barres et de bonbons chocolatés, plus une centaine dans sa filiale informatique ISI.

Même absence de coopération entre Haguenau et son hinterland. Bischwiller, situé à 8 kilomètres à l'intérieur du même bassin d'emploi et qui bénéficie d'une tradition industrielle ancienne, semble vivre sur une autre planète. Et, avec Niederschaeffolsheim, Kurtzenhouse ou autre Batzendorf, toute vraie idée d'intercommunalité paraît absente. Aucun grand projet d'aménagement n'est en cours. La perspective de réalisation d'une vaste plate-forme logistique, qui permettrait à Haguenau de valoriser au mieux ses atouts géographiques, se heurte à de multiples obstacles fonciers mais aussi psychologiques. « Les Haguenauviens n'ont pas une approche ambitieuse de leur développement. Sur ce projet, ils se réfugient derrière des arguments techniques, mais en réalité ils restent complexés par leurs voisins d'outre-Rhin et craignent de voir leur région devenir un gigantesque parking pour les camions allemands », affirme un observateur.

Premières difficultés
Beaucoup mettent cette tendance à l'inertie sur le compte d'un excès d'opulence. « Il faut avoir faim pour manger. La bonne santé économique n'incite pas à l'action collective », analyse Marie-Christine Creton, directeur de l'industrie à la Chambre de commerce de Strasbourg et du Bas-Rhin. Reste que les vaches grasses pourraient ne pas durer toujours. Haguenau n'est pas épargné par la montée du chômage. Il y avait déjà eu les réductions de voilure pratiquées par l'empire De Dietrich dans son fief tout proche de Niederbronn, la fermeture des entrepôts du constructeur automobile russe Lada, les problèmes de l'usine de vêtements Vestra, de Bischwiller. Depuis peu, ce sont les difficultés de l'économie allemande qui rejaillissent sur le marché local de l'emploi. Un paradoxal retour des choses qui pourrait inciter Haguenau à chercher d'abord en lui-même son second souffle économique. Et découvrir les ressources qui lui permettront tôt ou tard de déclencher une nouvelle vague de croissance et d'emploi.

JEAN-FRANÇOIS POLO

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