Jacques et Bernadette Chirac, six décennies d'un mariage tumultueux

Ils se sont rencontrés en 1951 et mariés en 1956. Une union de plus de 60 ans qui aura résisté aux aléas et aux vicissitudes de la vie.

Par Émilie Lanez

Bernadette Chirac, désormais veuve de l'ancien président de la République.

Bernadette Chirac, désormais veuve de l'ancien président de la République.

© JOEL SAGET / AFP

Temps de lecture : 6 min

Cet après-midi-là, en juin 2017, Bernadette Chirac, affaiblie, les cheveux coupés court et portant un survêtement sombre, reçoit son amie, Béatrice de Andia, une fidèle rencontrée lors de leurs années Sciences Po. Les deux octogénaires boivent un thé, elles croquent un ou deux biscuits, lorsque soudain l'épouse de l'ancien président de la République questionne sa visiteuse. « As-tu idée du plus beau jour de ma vie ? » Béatrice de Andia, comme le raconte Erwann L'Eléouet dans son livre Bernadette Chirac, les secrets d'une conquête, croit savoir répondre à cette question. « Le jour de ton mariage ? », avance donc l'amie, assurée d'obtenir une approbation facile. « Non, claque Bernadette Chirac, le plus beau jour de ma vie, c'est lorsque Jacques m'a demandé d'être candidate aux élections cantonales en Corrèze en 1979 ! »

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L'histoire de Bernadette et Jacques Chirac, c'est ainsi la tumultueuse aventure d'un couple qui chemina ensemble pendant soixante-trois ans, se chamaillant, se moquant, se chicanant, se surveillant, se blessant aussi, douloureusement, et que la politique, avec ses devoirs impératifs et ses frissons d'extase, aura soudé jusqu'à la mort. L'histoire commence dans les années 1950. À la bibliothèque de Sciences Po, rue Saint-Guillaume, un magnifique escogriffe, élancé, brun, fumeur, le fils de deux instituteurs corréziens. Jacques Chirac est brillant, pressé, et séducteur. Bernadette Chodron de Courcel est une jeune fille de la haute bourgeoisie, l'arrière-petite-fille d'un notaire auquel il fut permis au XIXe d'ajouter la particule à son patronyme Chodron. Courcel, le nom de la propriété familiale dans l'Essonne. Bernadette est scolarisée chez les dominicaines, puis à l'école normale catholique. Débarquant à Sciences Po, elle porte des perles aux oreilles et un chemisier fermé jusqu'au cou. Jacques repère qu'elle étudie plus vite et mieux que les autres, il l'embobine afin qu'elle lui fasse cadeau de son résumé de De la démocratie en Amérique, qu'il n'a pas pris le temps de lire. Elle accepte. Il l'invite à boire un rhum. Ils se marient en mars 1956. Les parents Chodron de Courcel manifestent une joie contenue, espérant pour leur fille un mari mieux né. L'avenir éclairera leur erreur d'appréciation.

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Bernadette n'ignore pas que son mari demeure un incurable volage

Bernadette Chirac n'aura jamais la chance de perdre ses illusions sur la nature profonde de son conjoint, car à peine sont-ils mariés que celui-ci s'engage en Algérie, revient étudier à l'ENA, puis est repéré par Pompidou, dont il devient le très jeune conseiller. Seule pour s'occuper de leurs deux filles, Laurence et Claude, Bernadette exècre la politique et manifeste bruyamment son dédain. En 1965, alors que Jacques Chirac obtient sa première victoire électorale, élu conseiller municipal en Corrèze, sa jeune épouse ne daigne pas assister au dépouillement. Il est furieux, elle aussi. La carrière de Jacques Chirac est alors celle d'un ogre pressé que sa femme empêche. À 34 ans, il devient secrétaire d'État sous Pompidou, et Bernadette provoque le premier scandale médiatique. Elle s'est entichée du château de Bity, 2 000 mètres carrés de bâtiment, son mari l'a acheté, les journaux se gaussent. Georges Pompidou lui passe une soufflante, on ne devient pas propriétaire de château lorsqu'on arrive dans un gouvernement. Oui, mais Bernadette aspire à cette reconnaissance sociale, à ses pierres anciennes qui donneront à sa famille les lettres de noblesse, dont manque – encore – son fougueux mari. En Corrèze, Bernadette Chirac remplace souvent son mari, elle découvre dans les maisons de retraite visitées, dans les banquets honorés, dans les rubans coupés cette excitation si douce de se lire important et de se croire aimé dans le regard des électeurs. Elle y prend goût, s'affranchit d'une mine hautaine, elle apprend, elle est douée. Mais tandis que le père de famille caracole, elle, la mère, quand elle ne pallie pas ses absences sur le terrain, soigne leur fille aînée qu'une méningite a foudroyée. Laurence sera anorexique, et sa vie entière un combat quotidien contre la mort qui l'attire tant.

Mme Chirac goûte à la politique locale

Préoccupée par cette enfant si fragile, Bernadette n'ignore pas que son mari demeure un incurable volage, elle feint d'en rire. « Les papillons tournaient autour de la lampe », déclare-t-elle, mutine et fataliste, à la journaliste Marie-Thérèse Guichard, seulement c'est elle sa « Bichette », celle vers laquelle toujours il revient, le plus souvent pour se faire rabrouer, d'ailleurs. Le couple connaît mille disputes, mille accrocs, mille blessures, mais ne rompt point. Jusqu'à l'année 1974, où Chirac, Premier ministre, s'éprend d'une journaliste du Figaro, Jacqueline. « Le point de départ d'une histoire interdite, qui risque de compromettre le destin présidentiel du jeune loup », ainsi que l'écrivent Laureline Dupont et Pauline de Saint-Remy dans Jacques et Jacqueline. Jacques Chirac est amoureux fou de celle qu'il nomme « ma petite payse » et qu'il retrouve dans un appartement clandestin, lui écrivant des lettres tendres, la comblant de cadeaux, y perdant la tête. Bernadette Chirac ne s'effondre pas, elle se démène et obtient que son mari renonce brutalement à cette liaison. Dorénavant, l'épouse humiliée sera vigilante. Jacques Chirac réalise que cette épouse coriace peut aussi lui servir tout en l'éloignant. Il lui propose de se présenter aux cantonales de 1979. « Le plus beau jour de la vie » de Bernadette.

Effrayée, mais téméraire, Mme Chirac goûte à la politique locale, ses grandeurs, ses petitesses, et à la satisfaction profonde de changer parfois un peu le cours des vies. Elle est élue, le virus de son mari l'a contaminée et, contre toute attente, l'épouse à l'allure de grande bourgeoise s'avère une fine conseillère, devinant les trahisons, déjouant les pièges, Elle montre de l'instinct politique et ne craint pas de porter des coups ou de fomenter des vengeances acides. Moins affable que son mari, elle brave. On se souvient de son : « Bonjour, monsieur le stratège » lancé à Dominique de Villepin, qui conseilla à son mari, président de la République, la fatale dissolution de l'Assemblée nationale en 1997. L'épouse effacée s'est imposée en partenaire, indépendante et peu docile. Car Bernadette est, au fil des ans, malgré ou grâce à son petit sac à main verni et son casque de cheveux blonds, devenue une figure populaire, et Jacques Chirac ne peut que se réjouir de la voir arpenter les plateaux télévisés où elle fait merveille sous ses airs de tante Micheline à collier de perles. La Fondation des hôpitaux de France, qu'elle préside, devient sous sa poigne une efficace association récoltant en l'an 2000 quatre millions de francs en quelques semaines. L'épouse de Jacques Chirac prend la lumière. Quand la maladie atteindra son conjoint, Bernadette ne se laissera plus freiner. Seule à la manœuvre, elle poursuit le combat. Par-devers lui parfois, comme lorsqu'elle déclare avoir voté Sarkozy à sa place à la présidentielle de 2012, alors que Jacques Chirac avait manifesté de l'amitié corrézienne à François Hollande. L'âge, les tourments de santé les ont ensuite éloignés tous deux des regards. Bernadette avait un jour confié qu'elle ne voudrait pas survivre au départ de cet homme, qui fut, toujours et malgré tout, absolument le sien. Bernadette et Jacques Chirac, un couple de deux politiques.

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Commentaires (7)

  • Opéra-18-32

    Et il fallut bien que "le grand" s'y fasse.

  • Jolicaro

    ... Jacques Chirac n'était pas le fils d'instituteurs mais leur petit-fils. Son père a d'abord travaillé dans une succursale bancaire avant de rejoindre un avionneur. Quant à sa mère, comme beaucoup de femmes de cette époque, elle ne travaillait pas.
    Un petit peu plus d'exactitude ne nuirait pas...

  • chicago51

    Le couple Chirac était croyant ce qui explique aussi la solidité de leur couple devant les vicissitudes de la vie. En ce temps où la morale et les valeurs ont disparu même au plus haut niveau c’est bien de le rappeler.