Mort d'Andreotti : le Divin Giulio, au paradis ou en enfer ?

Sept fois président du Conseil italien, Andreotti s'est éteint lundi au terme d'une exceptionnelle vie politique entachée de nombreuses zones d'ombre.

De notre correspondant à Rome,

Giulio Andreotti, ici en 2008 à Rome, s'est éteint le 6 mai 2013 à l'âge de 94 ans.
Giulio Andreotti, ici en 2008 à Rome, s'est éteint le 6 mai 2013 à l'âge de 94 ans. © FILIPPO MONTEFORTE / AFP FILES / AFP

Temps de lecture : 3 min

On l'avait surnommé "l'Inoxydable" pour sa longévité politique. Mais même les légendes meurent, et Giulio Andreotti s'est éteint lundi à 94 ans. Avec la disparition du "Divin Giulio" - l'un de ses nombreux sobriquets, comme "Belzebuth" ou encore "le Bossu" -, c'est plus d'un demi-siècle de vie politique transalpine qui tourne la page. Élu pour la première fois en 1945 à l'âge de 26 ans, puis réélu systématiquement jusqu'à sa nomination de sénateur à vie en 1991, il fut en effet sept fois président du Conseil italien et 22 fois ministre.

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Davantage que tout homme politique, Giulio Andreotti incarne le pouvoir avec ses zones d'ombre. Très proche du Vatican, il fréquenta sept papes. "Andreotti, c'est 2 000 ans de Vatican. Il est à la fois le Christ, les Borgia et l'Inquisition", avait dit de lui son adversaire politique Rino Formica. Sa carrière politique est émaillée de scandales et de sang. On l'accuse d'avoir trempé dans la P2 - une loge maçonnique dévoyée qui avait infiltré tous les rouages de l'État -, dans les assassinats des banquiers Michele Sindona et Roberto Calvi, ou dans la tentative de coup d'État du prince fasciste, Junio Valerio Borghese.

Mauvaises fréquentations

Lors de l'enlèvement du leader démocrate-chrétien Aldo Moro par les Brigades rouges en mai 1978, il s'opposa à ceux qui voulaient négocier avec les terroristes. Il était, dit-on, l'homme des services secrets américains qui refusaient le "compromis historique" avec les communistes prôné par Aldo Moro. Le mafieux repenti Tommaso Buscetta l'accuse aussi d'avoir commandité l'assassinat du journaliste Mino Pecorelli, qui avait révélé son implication dans un scandale financier.

En 1992, Giulio Andreotti est sur le point d'être élu président de la République, mais l'assassinat par la mafia de son représentant en Sicile, Salvo Lima, coule sa candidature. Les repentis multiplient alors les révélations, et Baldassare Di Maggio affirme avoir assisté à une rencontre au cours de laquelle le "divin Giulio" aurait embrassé - sur la bouche, comme le veut la tradition de Cosa Nostra - le parrain des parrains, Toto Riina. Belzebuth est absous au terme d'un procès qui durera dix ans. Absous..., mais par prescription. Car la sentence précise que "jusqu'en 1980, Giulio Andreotti a cultivé des relations avec les chefs de Cosa Nostra et leur a offert sa collaboration". Des ombres, encore des ombres. "On m'a accusé de tout sauf d'être responsable des guerres puniques", déclarait-il alors. Le secret était son culte et nul ne sait aujourd'hui ce dont il fut réellement coupable...

Un anti-Berlusconi

L'Italie pleure pourtant l'homme d'État disparu. Car derrière ses innombrables casseroles, Giulio Andreotti fut entre autres un remarquable ministre des Affaires étrangères, qui sut tisser des liens importants avec le monde arabe. Atlantiste, il négocia néanmoins avec le parti communiste italien, et son sens du compromis reste légendaire. Son style de vie ascétique tranchait avec les frasques vulgaires de Silvio Berlusconi, et jamais aucun ragot n'effleura son épouse Livia, ni ses quatre enfants. Très religieux, extrêmement courtois et d'une exactitude proverbiale, Andreotti a affronté dignement les procès, quand le Cavaliere a adopté des dizaines de lois ad personam pour échapper aux jugements. Éminemment cultivé, Giulio avait un formidable sens de l'humour et des formules. Ses aphorismes sont devenus des classiques du langage politique à l'italienne : "Le pouvoir n'use que ceux qui ne l'ont plus." Ou encore : "Dire du mal est un péché, mais on a souvent raison."

Giulio Andreotti est le symbole de la Première République d'Italie, qui a pris fin en 1994. Une époque dont les Italiens aujourd'hui angoissés par la crise ont la nostalgie. Son influence politique avait toutefois décru au cours des dernières années. Mais sa disparition intervient à dix jours de la formation d'un gouvernement guidé par Enrico Letta et Angelino Alfano, deux démocrates-chrétiens nourris d'un "andreottisme" maintes fois déclaré dépassé. Un pied de nez à l'histoire, dernier trait d'humour caustique du Divin Giulio.


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Commentaires (2)

  • Cath75

    A lire de toute urgence les livres du procureur Roberto Scarpino " le retour du prince" et "le dernier des juges" qui traitent des interactions entre le monde politique et les cols blancs de la bourgeoise mafieuse.
    Juge anti mafia Roberto Scarpino a travaillé avec Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, tous deux lâchement assassinés par la mafia, il a instruit le procès Andreotti qui met en cause la Démocratie chrétienne... Les mafieux qu'ils soient les bras armés du crime ou les donneurs d'ordre n'ont rien à voir avec les figures emblématiques telles qu'elles sont représentées au cinéma... Ce sont des tueurs, des criminels.

  • Illitch

    Des zones d'ombre dans la vie d'Andreotti ? C'est le moins que l'on puisse dire. La loge P2, le refus du compromis historique avec le Parti communiste italien et l'assassinat d'Aldo Moro, ses lien - directs ou indirects - avec la mafia... Sa vie fut celle d'un Borgia, où s'unissaient l'avidité du pouvoir et le machiavélisme politique. Si le paradis existe, sûr qu'il ne sera pas aux côtés d'Aldo Moro.