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« La passion d'écrire » pourrait bien entendu qualifier nombre d'écrivains, mais pour titrer son documentaire sur le romancier, essayiste, diariste Pierre Bergounioux, Sylvie Blum a fait en tous points le choix de la sobriété. L'écrivain est filmé au tout petit matin, « le silence absolu sur la Corrèze endormie », alors qu'il est déjà à sa table de diariste (son quatrième volume de Carnet de notes a paru aux éditions Verdier, en tout 4 500 pages depuis l'année 1980). Tout en commentant le paysage alentour, « le vide s'est fait il n'y a plus personne », et revenant sur l'histoire du Limousin (« pays souffrant », disait Michelet, région de mauvaises terres), Pierre Bergounioux confie à son interlocutrice son sentiment d'écrire à la fois pour les vivants et pour les morts, ses ancêtres qui n'ont pas eu droit à l'écriture, paysannerie sans texte, privée de sa propre « légende ».
Consigner le « registre des jours »
Des extraits d'archives locales (témoignage d'une institutrice sur la désertification) viennent dialoguer avec le propos de Bergounioux sur la rupture qu'a vécue sa génération, celle qui est partie (lui aussi, installé dans la banlieue parisienne, même s'il revient toujours au pays natal). Il parle encore de l'importance capitale de William Faulkner, qui a changé le cours de l'histoire de la littérature en rétrocédant « la conduite du récit aux acteurs », comme, en quelque sorte, Bergounioux lui-même a donné voix aux sans-voix de sa « petite patrie », sans jamais relever d'une littérature régionaliste. Le roman (son premier, Catherine, a paru chez Gallimard en 1984) est derrière lui, avoue-t-il, puisqu'il se consacre désormais à consigner le « registre des jours » et aux essais. « Écrire mange la vie », dit-il encore, mais son carnet montre qu'après les heures passées à sa table, l'homme sait revêtir d'autres rôles comme se passionner pour l'art et... la chasse aux papillons.
« La capture »
Ce qui nous ramène droit à un précédent documentaire, disponible en DVD et hautement recommandé, La Capture. Sous-titré « en compagnie de Pierre Bergounioux », il s'agit d'un moment d'une tout autre nature à la fois poétique et tonique, souriant malgré la pluie qui a marqué le tournage. Le décor est le même, la maison de Corrèze et les paysages alentour, mais ce film, d'auteur, est une véritable création artistique de la part du jeune réalisateur Geoffrey Lachassagne, son voisin du plateau des Mille vaches qui a rencontré Bergounioux via Faulkner (voir Jusqu'à Faulkner, l'un et l'autre, Gallimard).
Portrait à l'insecte
C'est le récit Le Grand Sylvain (du nom d'un papillon) qui a mis le réalisateur sur la trace de cette activité impunie à laquelle se livre Bergounioux depuis l'enfance. Tout petit, l'auteur de Simples, magistraux, et autres antidotes (ed.Verdier) bénéficiait de la complicité maternelle : pour sa collection de papillons, sa mère lui donnera en effet les épingles de sa boîte à couture, légitimant cet irrésistible penchant… La Capture est une sorte de portrait à l'insecte, où l'on voit l'œil de l'écrivain guetter l'apparition, sa main se refermer sur le coléoptère capturé. On y assiste à la mise à mort de l'animal à l'éther, ce qui n'est pas le moment le plus agréable de ce parcours. Puis l'entomologiste rend compte de son rapport à ce qui paraît là relever de la pure cruauté !
Quadriller la Corrèze
Subtilement, le film file la métaphore avec l'écriture, et jusqu'au projet littéraire même. En effet, en quadrillant son territoire corrézien à la recherche de toutes les espèces à recenser, Bergounioux honore la faune de ses origines. Et immortalise la Corrèze en pattes de mouche, cette façon d'écrire qui appartient aussi à sa légende. En accompagnement du film, le coffret adjoint les entretiens de Marie Richeux sur France culture, station où l'écrivain, à l'érudition partageuse, est venu parler d'Homère lors d'une grande traversée mémorable. Encore une.
« Pierre Bergounioux, la passion d'écrire », de Sylvie Blum , France 3, 21 août, 0 h 10.
« La capture, en compagnie de Pierre Bergounioux », co-édition Verdier / La Huit Production / France Culture, 50 mn, 80 p, 25 euros.
Un collectionneur de papillon est quelqu'un qui, pour son seul plaisir et au gré de sa fantaisie, capture, empoisonne puis empale un être vivant d'une espèce dont il se dit épris.
S'il traite ainsi ceux qu'il aime, à moi la peur !