Mortemart : des meubles rares et chargés d'histoire aux enchères
PHOTOS. Le mobilier de l'une des premières maisons ducales françaises est dispersé mercredi par Sotheby's. À suivre, deux meubles exceptionnels en tôle peinte.
Par Pauline SimonsTemps de lecture : 3 min
La dispersion des collections des ducs de Mortemart permettra-t-elle de faire remonter la cote du mobilier XVIIIe ? Demain, chez Sotheby's, sont mis aux enchères un ensemble de deux cents pièces provenant du château du Réveillon, en Bourgogne, propriété appartenant à la seconde branche de la maison de Rochechouart, l'une des plus anciennes familles de la noblesse française, et l'une des rares à prouver ses origines avant l'an mille. Celle-ci compte, parmi ses membres, des personnalités aussi célèbres que la grande Athénaïs (1640-1707), fille du premier duc de Mortemart, marquise de Montespan, mécène des arts décoratifs et... favorite de Louis XIV.
Aujourd'hui, Charles-Emmanuel, 16e duc de Mortemart, actuel chef de nom et d'armes, se déleste d'une grande partie des collections du château du Réveillon afin de se recentrer sur sa propriété principale, le château de Mortemart en Limousin.
Tôle peinte
Comme le scandent les résultats, les pièces exceptionnelles, quels que soient leur époque ou leur genre, surfent sur les modes et les crises. La vente Mortemart abrite deux chefs-d'oeuvre : un bureau à cylindre (de 300 000 à 500 000 euros) et une commode à encoignures (de 200 000 à 300 000 euros) d'époque Louis XVI, ornés de tôles peintes, attribués à Claude-Charles Saunier. D'autant plus rarissimes qu'il s'agit d'une suite. "Ne sont répertoriés, à ce jour, qu'une dizaine de meubles de ce type", précise Louis-Xavier Joseph, spécialiste en mobilier et objets d'art chez Sotheby's.
La technique de la tôle peinte fut inventée en Italie après 1730, afin de concurrencer, en quelque sorte, les panneaux de laque de Chine ou du Japon, à la fois coûteux et fragiles. Encouragées par les marchands merciers, deux manufactures royales virent le jour dans Paris à la fin du XVIIIe siècle : la Manufacture de la Petite Pologne en 1768 et la Manufacture de la veuve Gosse cinq ans plus tard. "Elles eurent toutefois une durée de vie très courte et quand on fit l'inventaire de leurs stocks respectifs, on remarqua que peu de plaques en tôle étaient destinées au mobilier."
L'époque Transition avait déjà laissé quelques beaux spécimens - d'aucuns se souviennent peut-être d'une commode à décor d'éventails présentée par la galerie François Léage. "À la fin du règne de Louis XVI, le décor s'est émancipé du goût de la Chine prônant un retour au classicisme avec grotesques, rinceaux, guirlandes et fleurs ainsi qu'un goût marqué pour les décors en porcelaine", souligne Louis-Xavier Joseph.
Clientèle venue d'Asie
L'effet "collection" va-t-il booster les estimations raisonnables de certains meubles un peu passés de mode ? "Il est vrai que les stéréotypes du XVIIIe siècle se vendent plus difficilement", admet le spécialiste. La commode tombeau - un modèle Louis XV estampillé est ici estimé entre 5 000 et 8 000 euros -, le secrétaire à abattant à décor chargé, le fauteuil cabriolet, la grande armoire qui voguaient allègrement vers les États-Unis, il y a encore une dizaine d'années, restent à la niche. Aujourd'hui, à l'exception des chefs-d'oeuvre, ce sont les pièces atypiques, le mobilier de grande décoration ou encore les meubles masculins et épurés qui fascinent les acheteurs. Estimés entre 20 000 et 30 000 euros, les amateurs ne devraient pas manquer cet escalier de bibliothèque en acajou du tout début du XIXe siècle et cette paire de consoles en bois sculpté, relaqué blanc et rechampi vert d'époque Louis XVI ou encore deux meubles d'appui en acajou, très sobres, de facture probablement étrangère (de 40 000 à 60 000 euros).
"Fait récent, les acheteurs sont aussi moins regardants sur les estampilles et sur ce qui fut jadis un élément sacro-saint : l'époque. On voit toutefois apparaître une clientèle venue d'Asie qui s'intéresse de manière attentive à l'histoire des arts décoratifs français et réapparaître, en pointillé, quelques anciens collectionneurs lassés du total look design", conclut Louis-Xavier Joseph. Le 18 mars prochain, Sotheby's dispersera la collection des Dillée, célèbre dynastie d'experts. Cet ensemble vante l'objet des Lumières qui, contrairement au mobilier, est passé entre les gouttes.