Alain Madelin : "La TVA sociale est une manipulation fiscale"

L'ancien ministre libéral explique au Point.fr pourquoi il s'oppose à la TVA sociale.

Propos recueillis par

Le très libéral Alain Madelin juge la TVA sociale tout au plus inutile.
Le très libéral Alain Madelin juge la TVA sociale tout au plus inutile. © Abaca

Temps de lecture : 4 min

L'ancien ministre de l'Économie et des Finances du gouvernement Juppé parle d'un effet dérisoire sur la compétitivité.

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Le Point.fr : Êtes-vous toujours aussi opposé à la TVA sociale au moment où Nicolas Sarkozy la reprend à son compte ?

Alain Madelin : Il n'y a pas de nouvelle bonne raison qui me ferait changer d'avis. Bien au contraire. Dans la crise actuelle, proposer une réduction du pouvoir d'achat des Français pour le transférer vers les entreprises ne me paraît pas de bonne politique.

Cela vous fait un point commun avec le PS et Benoît Hamon...

Oui, mais pas avec Manuel Valls (rires) !

Mais de quoi s'agit-il ? De baisser les cotisations sociales des entreprises et de garder les bénéfices de cette baisse pour ces mêmes entreprises, même si, à l'intérieur du Medef, certaines voix se font entendre pour faire porter une petite partie de cette baisse sur les cotisations sociales des salariés. Au final, le jeu est très largement en faveur du patronat.

Par principe, vous êtes aussi opposé à ce que vous appelez "l'étatisation de la Sécurité sociale"...

Il faut d'abord déterminer de quoi on parle ! S'agit-il de transformer toutes les charges sociales des entreprises en TVA ? Si c'était le cas, il faudrait l'augmenter de 50 %. Il n'en est évidemment pas question. Il s'agit en réalité de ne transférer, dans la version la plus extrémiste, que 90 milliards de cotisations. Mais plus vraisemblablement, dans l'esprit du président de la République, cela concerne les seules cotisations patronales liées à la famille (30 milliards). Un tel transfert repose sur l'argument recevable que les allocations familiales ne constituent pas une politique d'assurance - on ne s'assure pas contre le risque d'avoir des enfants - et doivent ressortir de la solidarité nationale, contrairement aux retraites et à la maladie. Mais j'estime que le gouvernement devrait se garder d'augmenter la TVA ou la CSG pour financer les caisses percées de la Sécurité sociale et favoriser ainsi les entreprises qui bénéficient déjà de 30 milliards d'exonérations de charges sociales qui n'ont aucune justification historique de long terme !

Pourquoi la TVA sociale ne va-t-elle pas, selon vous, améliorer la compétitivité des entreprises françaises ?

Parce qu'on va appliquer cette baisse de cotisations sociales de 30 milliards d'euros à l'ensemble des entreprises, y compris celles qui ne sont pas exposées à la concurrence internationale. Dans l'industrie, on va l'appliquer à des entreprises qui utilisent une main-d'oeuvre relativement peu chère travaillant sur des machines très sophistiquées. Or, ce qui compte dans ce cas, c'est le coût de la machine et non pas le coût du travail.

Au final, si vous prenez 30 milliards d'exonérations de charges sociales, cela représente 4 % du coût du travail (salaires bruts plus charges patronales) de toutes les entreprises françaises. Pour une entreprise à 20 % de main-d'oeuvre, cela représente à peine 1 % du prix total ! Quand on pense que l'euro peut varier de 5 à 10 % par mois, on voit bien l'effet dérisoire. D'autant qu'on est aussi en compétition avec des pays où le coût du travail est trois ou dix fois moins cher...

D'une manière générale, il est faux de dire que la compétitivité de la France est un problème de compétitivité salariale alors que nos salaires industriels sont les mêmes que ceux des Allemands. La clé de la compétitivité est ailleurs que dans la recherche de la baisse du coût du travail, même s'il existe, il est vrai, une pression assez forte dans les pays qui ont profité du parapluie de l'euro pour mener des politiques d'endettement ou de distribution de pouvoir d'achat un peu imprudente car ne correspondant pas à leur productivité ces dernières années. C'est vrai à l'évidence pour la Grèce et l'Espagne, mais aussi un peu pour la France, ce qui explique cette pression en faveur d'une manipulation fiscale qu'est la TVA sociale.

Elle permet de faire participer les produits importés au financement de la protection sociale française...

Je vous rappelle que j'ai offert depuis longtemps un prix d'un million d'euros si on me montre un produit importé qui paie une taxe. Comme le dit la sagesse fiscale, ce n'est pas parce que vous mettez un impôt sur les vaches que ce sont les vaches qui paient l'impôt. Au final, ce sont les consommateurs de produits importés qui paient les taxes. Ce ne sont donc pas les Chinois qui paieront la protection sociale des Français, mais bien les Français eux-mêmes.

Quelles mesures faudrait-il prendre pour sortir de la crise ?

L'État français doit redevenir compétitif. Pour cela, des pans entiers de l'activité publique doivent être soumis à la concurrence à la manière des démocraties sociales nordiques. La France a aussi besoin d'un marché du travail beaucoup plus fluide, plus souple, d'une fiscalité tournée vers la croissance et de l'ouverture des secteurs protégés à la concurrence.

J'avais dit un jour, sous forme de boutade, qu'il ne faut pas chercher à copier l'Allemagne mais à copier l'iPad, c'est-à-dire la nouveauté. Le président de la République explique qu'il ne veut pas que des entreprises françaises aillent produire ailleurs pour réimporter en France. Si Obama avait tenu le même discours, il aurait condamné l'iPhone ou l'iPad ! Si on disait ça à Seb, on condamnerait les usines françaises de Seb. La compétitivité du futur se trouve dans des produits au "design" meilleur, mieux fabriqués, accompagnés de davantage de services... Bref, dans l'innovation et l'investissement.

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Commentaires (85)

  • MARIGNAN

    Lorsque la Révolution industrielle est arrivée, début XIX° siècle, l'Angleterre et le Japon, l'Italie et l'Allemagne dans une moindre mesure, ont dû batailler dur pour nourrir leur population, c'est-à-dire acheter leur nourriture à l'extérieur ! C'était notamment le cas de l'Angleterre au cours des deux derniers conflits où "l'échec et mat" s'est joué sur l'Atlantique : sans l'entrée en guerre du Japon, qui a entraîné l'entrée en guerre des USA, nous ne pouvons savoir si, dans l'hiver 1941-42, les U-Boat n'auraient pas obligé l'Angleterre à transiger avec Hitler... C'est un aspect fort méconnu de notre histoire et qui explique pour beaucoup l'attitude de Philippe Pétain à cette époque ! Ce fut pareil en 1916-17, où les USA sont arrivés à temps pour compenser la défection bolchevique ! C'était moins grave en Méditerranée car la France et l'Italie, pour une fois alliées, tenaient la mer !
    Pour en revenir à la situation présente, il est un fait certain que tout est fait, et a toujours été fait, en Allemagne, pour favoriser l'industrie... Ce n'est pas le cas en France où nous sommes écartelés entre les trois cordes de notre arc : industrie, agriculture et tourisme ! Il est de notoriété publique que dans les sphères dirigeantes, on n'aime pas beaucoup l'industrie : c'est sale, ça fait du bruit, etc. S'en sortir dans la vie, c'est ne plus être "ouvrier"... Les gens qui nous gouvernent sont des "hâbleurs", des avocats en français courant, rarement des cadres de l'industrie... Nous aurions peut-être un léger changement de mentalité avec François Bayrou, son tracteur et ses 6 enfants ! Sinon rien ne changera : la TVA sociale ne sera qu'une souris, venant de la montagne des bonnes intentions...
    Il faut reconnaître que lorsque la France se gargarise de vendre de belles robes à l'extérieur, les Allemands vendent de belles voitures, ce n'est pas la même rentrée d'argent...

  • thirigol_18

    Notre gouvernement me fait penser à un jeune chiot qui essaie d'attraper sa queue. Avec près de cinq années d'errance il est temps qu'"ils s'en aillent tous" pour paraphraser un célèbre homme politique. Alain Madelin qui n'a pas la réputation d'être de gauche à une vision juste de la TVA dite sociale et ses propos sont sérieux. Par ailleurs ce gouvernement risque de plonger tête baissée, tout comme la gauche en son temps avec les lois Aubry, dans le piège tendu par certains syndicats patronaux. Nous ne savons même pas si ces syndicats sont réellement représentatif du patronat français. Depuis près de quarante ans un certain patronat essaie de transférer à l'État sa responsabilité sociale. Pour conclure je sais pour qui je ne voterai pas en avril.
    Il serait peut-être temps d'avoir des idées saines puisque nos ressources s'épuisent de jour en jour et je vois pas comment avec un pouvoir d'achat en berne et un niveau qui s'étiole inexorablement les entreprises française pourraient gagner davantage de compétitivité.

  • Gnotiseauthon

    Tout le monde veut un job, et le gouvernement veut réduire le chômage. Dans une économie de marché, un emploi sera créé en France s'il est moins cher qu'une machine ou qu'un emploi délocalisé. Donc il faut réduire le coût du travail.
    Comment le financer dans cette concurrence mondiale ? La solution de taxer les produits et services importés est idéale. Dans un contexte français (un produit fabriqué en France avec contenu de travail "normal"), la hausse de TVA compense la baisse de charges sociales en principe. De plus, cela devrait permettre d'améliorer la compétitivité des produits et services exportés, donc augmenter l'emploi français et instaurer une spirale positive.
    La mesure actuelle sera-t-elle suffisante ? Non, une politique européenne en ce sens sera nécessaire, afin notamment d'adapter les fourchettes de taux de TVA permises.
    Mais il faut qu'un leader fasse le premier pas et entraîne ses partenaires. Pourquoi pas la France ?