Jacques Chancel, Monsieur "Radioscopie", coupe le micro

Amoureux fou de la vie et des artistes, le journaliste, producteur et écrivain vient de décéder à 86 ans. Il laisse une trace profonde sur le monde de la culture.

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Jacques Chancel, ici en 2001.
Jacques Chancel, ici en 2001. © AFP PHOTO

Temps de lecture : 4 min

Lorsqu'il faut mettre en avant une émission référence du service public, personne n'hésite longtemps avant de citer Le Grand Échiquier. Lorsqu'il faut se remémorer un modèle d'interview, tout le monde se souvient d'une Radioscopie. Lorsqu'il faut citer un honnête homme, féru de culture classique mais tourné vers l'avenir, le nom de Jacques Chancel vient sur toutes les lèvres. Joseph Crampes - son nom de naissance - était un journaliste modèle, un intervieweur modèle, un père de famille modèle et un ami modèle.

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Toute sa vie, la curiosité lui a servi de boussole et le snobisme de repoussoir. Il détestait les préjugés. Les gloires trop rapides lui semblaient suspectes, les anathèmes soudaines trop injustes, les oubliés de l'Histoire avaient droit à son intérêt, les hâbleurs trop pleins d'eux-mêmes restaient en périphérie de son univers. Homme de média, Chancel n'a jamais sombré dans la maladie de ses pairs qui confondent souvent l'important et l'accessoire. Dans l'exercice de son métier comme auprès de ses amis, il n'avait qu'un principe : "Il ne faut pas donner au public ce qu'il a envie de voir, mais ce qu'il pourrait aimer." De cette phrase qu'il répétait à l'envi découlaient son exigence et sa curiosité naturelles. Toute sa vie il n'a songé qu'à s'élever et à élever ses interlocuteurs, d'où qu'ils viennent, en considérant que la culture est un bien commun et pas un produit d'élite.

Il ne pensait qu'à mettre l'autre en valeur

Au Grand Échiquier, il recevait Lorin Maazel et Serge Lama, Yehudi Menuhin et Alain Prost, Maurice Druon et Raymond Devos, Mstislav Rostropovitch et Bernard Hinault, Herbert von Karajan et Isabelle Adjani, Luciano Pavarotti et Angelo Branduardi. Pour être invité, l'important n'était pas de briller, mais d'avoir du talent. Un écrivain à la mode (qui se démodait l'année suivante) n'arrivait pas au talon d'Achille d'un rugbyman au soir de sa carrière, l'enfant chéri du tout-Paris méritait moins d'égards qu'un écrivain régionaliste qui avait su magnifier son terroir et s'en faire son humble porte-parole.

Regarder une émission du Grand Échiquier équivaut à une année d'école de journalisme : Chancel ne pensait qu'à mettre l'autre en valeur, qu'à extirper ce qu'il y a de meilleur chez lui, qu'à faire profiter de la lumière un inconnu qui en était inexplicablement privé. Jamais il ne rabaissa un genre pour en élever un autre. Le sport valait autant que l'opéra, les écrivains du second rayon étaient aussi estimables que les ministres. Toute sa vie, Jacques Chancel a parié sur l'intelligence du téléspectateur et de l'auditeur. A misé sur la jeunesse plutôt que de ressasser éternellement de vieilles gloires aux costumes élimés et au refrain éculé.

Imperméable à la médiocrité ambiante

En plus d'animer Le Grand Échiquier pendant 18 saisons, d'avoir présenté 2 878 émissions de Radioscopie, Jacques Chancel a fondé Antenne 2 avec son ami Marcel Jullian en 1975, et dirigé FR3 à la fin des années 80. Passionné de tous les sports et de cyclisme en particulier, il a l'idée géniale de comprendre que le Tour de France n'est pas seulement une compétition sportive, mais également le tour de la France. Qu'on pouvait dans une même émission exalter les performances d'un grimpeur et les ruines d'un château de Dordogne, s'enthousiasmer pour une victoire d'étape et célébrer l'artisanat d'une ville-étape. Jean-Pierre Pernaut n'a rien inventé, il a tout emprunté à Jacques Chancel !

Ce sacerdoce journalistique ne faisait pas de lui un moine qui s'interdisait les plaisirs de la vie. Peu avant de mourir, son père, escaliérisite dans les Pyrénées, lui avait inculqué ce principe : "Surtout, n'oublie pas de vivre." Il l'appliqua fidèlement, constamment et avec délice. Un verre de vin, une promenade dans les montagnes de Bigorre où il est né le 2 juillet 1928, un récital de musique classique, un programme télé original, un match de foot ou de rugby, une discussion entre amis, un bon cigare au coin du feu, une soirée au casino, un livre bien enlevé suffisaient à le rendre heureux. Ces derniers mois, ce n'était pas tant la fatigue, un début de cécité, une "longue maladie" ou la prescience que la fin approchait qui l'attristait, mais plutôt l'acculturation d'un pays qu'il adorait, la pauvreté de ce qu'il voyait à la télévision, la bêtise ambiante, le manque de curiosité de ses contemporains. Jusqu'au bout il est resté imperméable à la médiocrité qui envahit et corrompt tout. Une attitude qui demande une énergie dévorante...

Permettez-moi de dire qu'avec la disparition de Jacques Chancel, je perds un ami, un homme dont la voix chaleureuse, les encouragements permanents et les conseils avisés m'ont souvent accompagné. Jacques vous apprenait que la grandeur était le meilleur remède à la mesquinerie, que la générosité ne se mesurait pas, que la mansuétude n'était pas la qualité des faibles, que la confiance rapportait plus que la défiance.

Mes pensées vont à sa femme Martine, à ses enfants Gauthier et Marie-Alix, à ses petits-enfants Philippine et Augustin. Ils perdent plus qu'un parent.


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Commentaires (76)

  • Nordman

    Merci Monsieur Chancel pour ce que vous nous avez apporté.

    Vous aviez une classe qu'on ne voit plus.

    Quand on voit le niveau moyen aujourd'hui (qui peut aller jusqu'à la vulgarité), on se dit qu'on a bien régressé.

  • sohanna

    Je viens de voir l'hommage sur France 5 à Mr Chancel. Le goût des autres de la vie. Un grand homme grand journaliste qui poussait le spectateur vers le haut à la différence de notre époque
    Merci pour l'image de Mr Chancel avec sa petite fille... Brève mais bouleversante
    Pensées pour ses proches

  • Chan14

    À l'annonce de la disparition de cet écrivain, journaliste et Grand Monsieur de télévision et de radio. Et merci infiniment à Jérôme Béglé pour ce très bel hommage.
    "Il ne faut pas donner au public ce qu'il a envie de voir, mais ce qu'il pourrait aimer. " Si seulement la télévision actuelle pouvait s'inspirer de cette ambitieuse pensée !
    "Il vaut mieux attraper un torticolis en visant trop haut que devenir voûté en regardant trop bas. " Tant qu'il y aura des iles (1980)...