VIDÉO. Guillaume Gallienne : "Je n'ai pas besoin de jouer ma mère, elle est en moi"

Dans "Les garçons et Guillaume, à table !", l'acteur, non l'actrice, - non, pardon ! - l'acteur taquine les genres. Rencontre avec un prodige.

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Guillaume Gallienne, bluffant, campe sa mère dans
Guillaume Gallienne, bluffant, campe sa mère dans "Les garçons et Guillaume, à table !". © Thierry Valletoux/Gaumont

Temps de lecture : 6 min

Les hommes sont des femmes comme les autres et inversement. La preuve, Guillaume Gallienne, 41 ans, 513e sociétaire de la Comédie-Française. C'est le grand acteur, pardon, actrice, re-pardon, acteur de sa génération. Enfin bref, désolé, avec lui, on ne sait plus. Qu'il joue un homme ou une femme, Guillaume Gallienne est toujours lui-même. S'il fallait trouver un nom pour son travail, c'est celui, hybride, d'acteurice qui convient le mieux. Voilà un phénomène comme on n'en avait jamais vu. L'immense acteurice du nouveau siècle. Par ailleurs animateur d'une des meilleures émissions de l'histoire de la radio (1).

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"Je hais la misogynie"

Avec son premier film, Les garçons et Guillaume, à table !, tiré de sa pièce autobiographique, où il interprète à la fois son rôle et celui de sa propre mère, Guillaume Gallienne entre dans la cour des grands. Un numéro hallucinant. Rien à voir avec Jack Lemmon dans Certains l'aiment chaud ou Dustin Hoffman dans Tootsie. Contrairement à ceux-ci, cet hétérosexuel marié avec enfant est naturellement une femme. De même qu'il est, bien sûr, naturellement un homme. Dans Un fil à la patte, de Feydeau, l'une des grandes réussites théâtrales de ces dernières années, qui revient à la Comédie-Française, il est à la fois une femme et un homme. Avec la même évidence. Au point qu'on en vient à se demander si, un jour, il ne pourrait pas reprendre simultanément les rôles de Vivian Leigh et de Clark Gable dans un remake d'Autant en emporte le vent. Guillaume Gallienne ou le comédien total.

Selon les critères que l'on s'est choisis, c'est l'anti-Zemmour ou l'anti-Hemingway, une incarnation vivante des transgenres que nous devenons tous, plus ou moins, dans un monde où les hommes se transforment en ménagères et les femmes en maîtres de maison. Pour sa part, Guillaume Gallienne adore faire la cuisine, avec quelques spécialités comme le velouté de courgettes à la truffe ou le poulet en gelée à l'estragon ("Je suis nul en poisson mais bon en sauce", observe-t-il).

Dans son drolatique auto-biopic, Guillaume Gallienne raconte avec légèreté comment, après une enfance efféminée, il a découvert qu'il était un homme. Tout en restant une femme, cela va sans dire. Pour lui, c'est le souffle qui fait la différence entre les deux sexes : "Le plus beau son du monde, comme disait l'autre, c'est celui d'une femme française qui dit oui en inspirant. Les femmes sont plus reliées que nous au ventre, à l'instinct. Elles ne cloisonnent pas tout. Elles ont aussi quelque chose qui, souvent, nous manque : la douceur. Sans elles, qu'est-ce qu'on s'ennuierait ! Je hais la misogynie."

REGARDEZ - La bande-annonce de "Les garçons et Guillaume, à table !" :


"Ils sont beaux, tes frères"

Quand on lui demande s'il se sent plus homme ou femme, Gallienne répond sans hésiter, avec sa voix de Comédie-Française, douce et enveloppante comme un bain tiède : "La proportion homme-femme, ce n'est pas une question de pourcentage, mais de moment. Si, dans ma vie courante, je fais plus appel à l'homme qu'à la femme en moi, j'assume cependant très bien ma part de féminité. Elle se manifeste par un goût prononcé pour la délicatesse, le raffinement, la distinction, une façon aussi de m'attendrir pour un détail. De plus, je suis très émotif, j'ai la larme facile. Enfin, je ne supporte pas la violence, même s'il m'est arrivé d'être brutal."

Gallienne n'est pas né androgyne. Ses parents, bourgeois aisés du 16e arrondissement de Paris, l'ont simplement laissé suivre sa voie. Enfant, il est devenu femme "parce que, dit-il,si j'étais allé du côté des garçons, je n'aurais pas eu ma chance. Mon père répétait sans cesse : "Ils sont beaux, tes frères." C'était vrai. Il fallait donc que je me distingue. La féminité m'apportait la fantaisie, la séduction. Il faut ajouter que je n'avais pas les codes masculins et que je ne m'aimais pas en homme. Je me préférais en femme puisque alors je devenais ma mère, dont j'imitais souvent la voix.

- Quand avez-vous découvert votre différence, comme on dit ?

- A 4 ou 5 ans. C'est un souvenir très précis. J'étais en bermuda beige avec un pull assorti. Je me suis vu descendre l'escalier de la maison avec une sorte de grâce toute féminine.

- Vous n'étiez pas particulièrement heureuse, pardon, heureux de ça ?

- L'horreur a commencé en 6e, quand j'avais 10 ans. J'étais en pension, on me traitait de tarlouze, de tantouze, de tapette. J'étais une sorte de tête de Turc. Alors, j'ai commencé à faire de l'hypersensibilité. Par exemple, je tombais dans les pommes pour un rien, au milieu de l'escalier. J'ai alors été récupéré par les psys avant d'être envoyé en Grande-Bretagne, dans une autre pension où j'ai été traité avec égards, comme un original."

Tu seras homo, mon fils

Après ça, il n'a plus à se chercher, il croit s'être trouvé. Tu seras homo, mon fils : voilà ce qu'il lit dans le regard de ses parents. Il n'a rien à redire. Désormais, quand on se moque de lui, ça le fait rire. Il accepte les humiliations parce qu'il ne sait pas encore qu'il faut s'aimer, dans la vie. Jusqu'à ce jour où il rencontre Amandine, la femme de sa vie, la première qu'il ait jamais "draguée et, qui plus est, sans se poser de questions". Une semaine plus tard, ils dînent ensemble, elle mange des sardines à l'ail, ils vont en boîte, il lui dit qu'il a des "cuisses musclées" et, de fil en aiguille, ils se marieront.

Dans ce film souvent hilarant, ce sont les trente premières années de sa vie que nous raconte Gallienne. Amateurs de pathos, s'abstenir. Nous sommes là dans une comédie et rien d'autre. Pas un mot, par exemple, sur les préoccupations mystiques de ce chrétien orthodoxe qui fréquente l'église russe de la rue Daru ("Le mystère n'est pas en Dieu, dit-il, mais dans le chemin entre nous et la sainteté"). Dans Les garçons et Guillaume, à table !, Gallienne ne laisse aucun message et ne règle aucun compte. Il s'amuse, transgresse et bouge les lignes avec des blagues à deux balles sans oublier de célébrer Amandine et de rendre à sa mère un hommage enamouré, quoiqu'un brin moqueur.

La femme, tuteur de l'homme

Melitta Gallienne, sa mère, est finalement l'héroïne du film. C'est une aristocrate russo-géorgienne avec qui notre grand(e) acteur(ice) national(e) vit en communion."Je n'ai pas besoin de jouer ma mère, confie-t-il, elle est en moi, il suffit de lui donner la parole, avec ses gestes de princesse en exil, never explain, never complain. Ma mère,c'est la classe et la pudeur. Une femme très saine. Avec ça, franche du collier et pas snob pour deux sous. Et puis jamais de plaintes ni d'états d'âme, elle se tient toujours bien droite, quoi qu'il arrive. Elle m'attendrit."

Quand on le lance sur la liste des femmes qui ont compté dans sa vie, Gallienne est intarissable. Après la mère, il y a la grand-mère, les tantes, la cousine, la cuisinière, la danseuse Sylvie Guilhem, la philosophe Cynthia Fleury et j'en passe. Que seraient les hommes sans les mères et sans les femmes ? Pas grand-chose. Des clowns dans des tunnels. Des vers lubriques, des herbes folles, des roseaux penchés. Et Guillaume Gallienne de citer une amie argentine qui lui a dit, l'autre jour : "La femme, c'est le tuteur de l'homme. Sans elle, il ne grandit pas, il pousse n'importe comment." Ne craignons rien. Les femmes sont toujours si nombreuses autour de Guillaume Gallienne qu'il n'a pas fini de pousser...

1. "Ça peut pas faire de mal", sur France Inter, autour d'un auteur ou d'un classique de la littérature, le samedi de 18h 10 à 19 heures.

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Commentaires (3)

  • navrre

    Cet homme est hétérosexuel et se contente de jouer sur une ambiguïté qui servira d'argument aux tenants du genre. C'est très habile, mais cela ne change rien à rien. Effet de mode : dans quelques jours, malgré son indéniable talent, on ne parlera plus de lui. Or, on parle encore de Gérard Philippe et de Jean Vilar.
    Benny Hill aussi adorait se travestir...

  • Megalon

    En dehors de toute considération philosophique ou métaphysique sur les genres et les relations hommes/femmes, j'ai trouvé, en voyant la bande-annonce de ce film, que Guillaume Gallienne offrait là un film qui semble bien joli, à la fois drôle et touchant.
    Bref, ne nous prenons pas la tête, contentons-nous d'apprécier.

  • Killer

    "Que seraient les hommes sans les femmes", "La femme, c'est le tuteur de l'homme". Toutes ces phrases sont d'une grande absurdité. L"homme, la femme, c'est le même concept exhaustivement décliné selon deux normes, complémentaires et indissociables. Ensuite, tout est une question de regard, de contexte, de culture, car la part de féminité, la virilité, la sexualité, c'est toujours de l'humain, de ce même socle conceptuel. Gallienne bouscule les conventions du moment, en rassemblant dans le même personnage, sous la même enveloppe, des codes placés en opposition.