"Dom Juan" à la Comédie-Française, un rendez-vous manqué

Jean-Pierre Vincent échoue à donner une nouvelle jeunesse au séducteur de Molière.

Par

Serge Bagdassarian et Loïc Corbery n'arrivent pas à
Serge Bagdassarian et Loïc Corbery n'arrivent pas à "sauver" le "Dom Juan" de Jean-Pierre Vincent. © DELALANDE RAYMOND/SIPA

Temps de lecture : 4 min

Le précédent Dom Juan donné à la Comédie-Française remonte à une quinzaine d'années. La mise en scène était signée Jacques Lassalle ; Andrzej Seweryn et Roland Bertin étaient les protagonistes de ce spectacle un peu froid, mais d'une grande beauté.

La newsletter culture

Tous les mercredis à 16h

Recevez l’actualité culturelle de la semaine à ne pas manquer ainsi que les Enquêtes, décryptages, portraits, tendances…

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Il fallait aujourd'hui en donner une nouvelle vision conforme au temps qui passe et à la troupe qui a considérablement changé. Aussi a-t-on demandé à Jean-Pierre Vincent d'affronter à son tour le chef-d'oeuvre de Molière. Comme Vincent dispose d'un des plus beaux CV du théâtre français - il a été tour à tour patron du théâtre de Strasbourg, du Français, de Nanterre -, les auspices et les aruspices annonçaient une réalisation passionnante. D'autant que la distribution donnait enfin un rôle de premier plan à des comédiens encore jeunes et souvent cantonnés au deuxième rang : Loïc Corbery, qui joue Dom Juan, et Serge Bagdassarian, qui incarne Sganarelle. Mais patatras ! Notre espoir s'effondre sous une douche plutôt froide, bien que la qualité de jeu et le savoir-faire inhérents à notre premier théâtre national soient au rendez-vous.

Un bon début

Pourtant, cela commence bien : il est inattendu, amusant, mutin, gamin, le Dom Juan que compose Loïc Corbery dans le premier acte. Coiffé d'une perruque filasse, qu'il n'hésitera pas à enlever, il joue hardiment les jolis coeurs sans scrupule. On a tellement vu d'interprètes du rôle aux frontières de la limite d'âge et dans le stéréotype du libertin vieillissant que cette jeunesse rieuse nous enchante. Ce plaisir ne va pas durer, car Jean-Pierre Vincent échoue à construire son spectacle sur cette image-là, sur ce comédien-là. Le jeu de Corbery devient changeant, tantôt blagueur, tantôt grave, mais il n'est plus central.

La mise en scène semble s'intéresser davantage au valet Sganarelle qui, superbement interprété par Serge Bagdassarian, n'est pas fluctuant, mais affirme, dans la farce, dans la drôlerie, une solidité quasi mystérieuse. Vêtu d'un costume qui s'inspire de celui que portait Molière dans le rôle de Mascarille, volumineux, massif et néanmoins mobile, l'acteur n'entre pas dans la rouerie que la tradition du théâtre classique attribue à tout domestique. Il semble plutôt perdu, égaré dans un songe parallèle aux folies de son maître. Au comique du personnage il apporte une étrangeté, un trouble qui le rendent peut-être plus philosophique que Dom Juan lui-même, pourtant par essence agitateur d'idées.

Un rythme brisé

N'empêche. À perdre la nature de Dom Juan et à laisser l'excellent Corbery emprunter diverses voies sans en choisir aucune, la soirée brise son rythme prématurément. Jean-Pierre Vincent semble vouloir tout conter par le menu, détailler chaque épisode, préférer l'épaisseur du roman à la vitesse du théâtre. Les scènes des paysans et de la poursuite dans la forêt prennent leur temps. Les interventions de l'épouse délaissée, jouée avec talent par Suliane Brahim, sont d'une gravité extrême. L'acte qui se passe chez Dom Juan et où il reçoit son créancier pour mieux le mettre à la porte ne trouve pas son ton de comédie, comme si Corbery, de nouveau facétieux, jouait une pièce plus gaie que celle de ses partenaires. La statue du Commandeur, réinventée par Jean-Paul Chambas, est quand même plaisante lorsqu'elle apparaît en transparence : c'est un géant rouge qui bouge.

Mais les actes se succèdent dans un respect professoral et un esprit de sérieux qui plombent nos paupières. Même si Molière aborde les thèmes les plus élevés - la question de l'existence de Dieu est sans cesse là, traitée par un athée fier de son audace -, il rit, il est picaresque, il s'amuse des soubresauts qu'il impose à son histoire chaotique. La mise en scène n'épouse pas cette vivacité narquoise. Or les meilleurs Dom Juan qu'on a pu voir ces dernières années (par Jean-Marie Villégier et par René Loyon notamment, sont tous allés vers la légèreté et la simplicité des moyens. Ici, pas de design, rien que du massif ! Au compteur, on sent la différence : alors qu'une pièce classique est conçue pour une durée d'environ deux heures quinze (le temps que durent cinq lots de bougies), le spectacle du Français approche les trois heures. Il eût fallu courir, mais tout va à un train de sénateur.

Une fin modifiée

Enfin, doit-on s'effaroucher devant la fin que Vincent - devenant curieusement facétieux à son tour, à la dernière seconde - corrige à sa façon ? Dans le texte de Molière, comme dans tous les Dom Juan et Don Giovanni jamais écrits ou composés -, le séducteur meurt au moment où il prend la main de la statue du Commandeur ; il est immédiatement propulsé aux enfers. Sur la scène du Français, Dom Juan tombe à terre, comme foudroyé. Mais il se relève. Le couple Dom Juan-Sganarelle se relève, se reforme et repart à l'aventure. Ce duo est éternel, invulnérable ! C'est une idée discutable, mais joyeuse, comme on aurait aimé en voir plus au cours de la soirée. D'ailleurs, rien n'oblige le spectateur à la prendre pour argent comptant : c'est peut-être un rêve, le songe qui traverse Sganarelle au moment où il cesse de répéter "Mes gages ! Mes gages !"

Un tel dénouement décalé est secondaire. Ce n'est pas là que le rendez-vous est manqué. Jean-Pierre Vincent a surtout commis le péché de gravité. Cette pièce n'est profonde qu'à condition d'être truculente et insolente. Or, ici, la truculence et l'insolence sont bien pâlichonnes.

Dom Juan, Comédie-Française Théâtre Ephémère, jardins du Palais-Royal 75001 Paris, tél. : 08 25 10 16 80, en alternance, jusqu'au 11 novembre.


Expos, ciné, livres, musique... : retrouvez tous les choix du Point.fr

Commentaire (1)

  • Eric Symak

    La seule différence, dans cette représentation révolutionnaire qui ne s'attaque plus au Dogme mais au dogme du Mythe pour l'éclaircir, c'est qu'il suffit à Sganarelle de se désoler de ne pas trouver les gages que la raison exige de sa foi imparfaite. . . Pour que son seigneur et maître les lui donne. J'ai envie d'aller voir.