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Avec lui, la culture et le sacré ont toujours quelque chose d'érotique. « Un garçon qui, au réveil, vous faisait entendre, les fesses à l'air, le livre des Psaumes chanté par les moines de la Sainte Montagne ne pouvait pas être foncièrement mauvais », énonce-t-il. L'a-t-il fait ? Trouver refuge, le roman le plus solaire de la rentrée, permet à Christophe Ono-dit-Biot, directeur adjoint de la rédaction du Point, de poursuivre sa quête de l'éros érudit - on y trouve d'ailleurs un développement autour du terme « sapiosexuel » - en la coulant dans une dérangeante intrigue politique. Prophétique, même ? Jusqu'ici, c'était Michel Houellebecq qui faisait office d'oiseau de malheur national. Sauf que dans son dernier roman, anéantir, dont le contexte était la fin du second mandat d'un président qui ressemblait beaucoup à Emmanuel Macron, il faisait finalement triompher à l'élection présidentielle le successeur macroniste face à un jeune candidat RN aux allures de Jordan Bardella. Ramolli, Houellebecq ? Plus assez malheureux pour imaginer « la grande bascule » ? C'est curieusement Ono-dit-Biot, l'auteur de Croire au merveilleux - difficile de faire moins houellebecquien dans la vie -, qui franchit le pas : à l'Élysée, c'est désormais « Papa » qui trône. Un clone, lui aussi, de Bardella. Et ça barde. « Il faut parfois moins de liberté pour préserver la liberté », dit-on dans la France de « Papa », où, précise-t-il, « la vérité n'existait pas, il n'y avait que des perceptions ». Cela vous dit quelque chose ? Oh ! ce n'est pas tout à fait La Servante écarlate, la chape est plus subtile, plus insidieuse et plus plausible.
L'histoire commence par une fuite en famille, pour « trouver refuge », précisément, au mont Athos, sanctuaire orthodoxe grec « interdit à toute femme et toute femelle », ce qui ne va pas de soi lorsque la troupe comporte une femme et une petite fille… C'est le début d'une cavalcade captivante, jubilatoire et déroutante, brillante et sexuée, entre un lourd secret présidentiel, un livre caché, une sublime lesbienne noire et anti-woke - elle s'appelle Oshun, quel personnage ! -, un moine aimant et bourru et d'autres cénobites plus ou moins cinglés, avec leurs chats et leur mantra, « l'orthodoxie ou la mort ». Invité surprise : le drone, bourdonnant et sournois instrument de la dystopie nouvelle.
Réparer l'erreur. Trouver refuge est le premier de ses romans rédigé à la troisième personne. Et il s'en sert, le fripon. Il nous balade, joue avec nous, entre faux espoirs et vraies frayeurs, à moins que ce ne soit l'inverse, et signe un roman palpitant. Ono-dit-Biot est un fou de plongée : il aime troubler la gravité. Trouver refuge culbute les certitudes, politiques et culturelles. Il ressuscite aussi l'extraordinaire Byzance, civilisation mal connue, peu enseignée chez nous, où l'on pense avoir le monopole de l'Occident. Milan Kundera avait son Occident kidnappé, cette Europe restée coincée derrière le rideau de fer, lui nous parle de cet autre Empire romain, enfermé depuis cinq siècles derrière un mur de l'oubli. Réparer l'erreur, donc, puisque l'auteur aime les infinitifs. Sans oublier de vivre, et ce choix d'être « un homme plutôt qu'un ange ». « Ils firent l'amour comme on nage, peut-on lire dans les premières pages du roman. Comme on nage ou plutôt comme on nage sous la surface, où tout est plus beau et plus intense. » Lui, en tout cas, écrit comme on nage.
Trouver refuge, de Christophe Ono-dit-Biot (Gallimard, 416 p., 20 €).
Franck Ferville/Agence VU