Les «Shadoks» ont 50 ans et pompent toujours énormément

De drôles d’oiseaux qui pompaient, pompaient… Il y a 50 ans jour pour jour ce 29 avril, les « Shadoks » faisaient leur apparition à la télévision française. Une série animée absolument culte à (re) découvrir d’urgence.

 Ronds et hauts sur pattes, les Shadoks sont devenus cultes.
Ronds et hauts sur pattes, les Shadoks sont devenus cultes. Rouxel

    Il y a 50 ans jour pour jour, le 29 avril 1968, les Shadoks sortaient de leur œuf. Sur leur écran qui ne comporte que deux chaînes, les Français font la connaissance de ces drôles d'oiseaux appelés à devenir cultes. Ronds, hauts sur pattes avec de petites ailes ridicules, ils sont bêtes et méchants, surtout bêtes avec leurs quatre syllabes de vocabulaire - « ga », « bu », « zo », « meu » - et leur activité principale qui consiste à pomper.

    Créées par Jacques Rouxel et développées – pour la première saison - sur un animographe, prototype pour réaliser des dessins animés du service de la recherche de l'ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française, démantelé en 1974), les aventures de ces piafs sont racontées par l'inénarrable Claude Piéplu sur une musique et des bruitages de Robert Cohen-Solal.

    Le trio participera aux quatre saisons, trois entre 1968 et 1973 puis une dernière en 2000 sur Canal +, soit 208 épisodes de 2 à 3 minutes, qu'on peut retrouver en ligne sur le site de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ou en DVD*. Il y a deux ans, le Musée International des Arts Modestes (MIAM) de Sète a aussi consacré une exposition aux Shadoks.

    Le programme avant-gardiste et assurément insolent divise la France

    Diffusé juste après le journal du soir de la première chaîne de l'ORTF, cet ovni télévisuel bouscule les habitudes. Avec son graphisme minimaliste et ses aventures absurdes, apparemment sans sens, le programme avant-gardiste et assurément insolent divise la France en cette veille de Mai 68. Les événements, d'ailleurs, en suspendront la diffusion, qui ne sera reprise qu'en septembre.

    Programme « immonde », « incohérent » et sans « queue ni tête » signé d'« auteurs analphabètes » pour certains, ces plumitifs « scintillent comme une étoile au milieu de la nullité des programmes actuels », estiment d'autres. Les courriers affluent au point que Jean Yanne les lira à l'antenne pour les tourner en dérision lors d'émissions spéciales !

    Dans la première saison du programme, la conquête spatiale – au cœur de l'actualité en 1968 - est au centre du récit. Les Shadoks et les Gibis, leurs alter ego à chapeau melon affables et intelligents, se livrant une course effrénée pour rejoindre la Terre. On devine un bloc de l'Ouest et un autre de l'Est avec son goulag – le « Goulp » - où sont envoyés, sur ordre du chef Shadok, les individus en dehors de la ligne.

    Constructeurs de machines loufoques

    Par la suite, de multiples apparitions de la tour Eiffel chez les Shadoks semblent indiquer qu'ils représentent bien les Français bêtas face aux Anglais, les GiBis, nom tiré des initiales de Great Britain prononcées en anglais… Constructeurs de machines loufoques et concepteurs de projets et d'entreprises voués à l'échec, ces Shadoks s'usent à pomper en vain.

    « Ils pompaient le matin, ils pompaient l'après-midi, ils pompaient le soir, et quand ils ne pompaient pas… ils rêvaient qu'ils pompaient », nous raconte le narrateur dans la première saison. Une « pompomanie » qui se transmettra de génération en génération et que justifiait une doctrine faite de maximes aussi assommantes qu'hilarantes : « Il vaut mieux pomper même s'il ne se passe rien, que risquer qu'il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas ».

    « S'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème »

    Devenus le symbole de masses laborieuses aliénées par leurs tâches et suivant aveuglément des élites pas mieux éclairées - le devin plombier, le chef Shadok ou le professeur Shadoko -, les volatiles n'ont pas leur pareil pour critiquer les imbéciles et brocarder l'absurdité du monde dit moderne.

    Jacques Rouxel « nous a transmis un monde époustouflant qui nous emmenait très loin sur une planète qui était finalement la nôtre, avec des histoires farfelues et des métaphores basées sur une philosophie de la vie et de l'humain », estimait Claude Piéplu en 2004, au décès du créateur des célèbres piafs.

    Développant une pensée shadoke (« s'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème »), Rouxel en a livré au moins une passée dans le langage courant : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». Soulignons aussi cette autre maxime, si actuelle et universelle : « Pour qu'il y ait le moins de mécontents possible, il faut toujours taper sur les mêmes. ».

    Les Shadoks - Edition intégrale », 29,90 €. Saisons 1 à 4 (11 heures 30 de programmes), en vente sur le site de l'INA (Institut national de l'audiovisuel), www.ina.fr.