« Entier » : Didier Bénureau, tordu génial dans un seul en scène féroce

Il est seul et multiple à la fois. Sur la scène du Studio des Champs-Élysées à Paris, le comédien de 67 ans incarne une série de personnages odieux. Et hilarants.

Tendu, énervé, arqué… Didier Bénureau compose avec sa palette, riche, une galerie de méchants, d'affreux ou de cyniques. Photo Dominique Plaideau
Tendu, énervé, arqué… Didier Bénureau compose avec sa palette, riche, une galerie de méchants, d'affreux ou de cyniques. Photo Dominique Plaideau

    Ils sont affreux, sales et méchants, mais terriblement drôles, tous ces personnages que croque avec un appétit d’ogre et une irrésistible férocité Didier Bénureau. Pour son nouveau seul en scène, actuellement au Studio des Champs-Élysées, à Paris (VIIIe arrondissement), l’humoriste de 67 ans, mû par une énergie infernale et le feu au corps, nous entraîne dans un coin, sombre, où se tapissent les monstres qu’il incarne avec une gourmandise renouvelée.

    S’il s’abreuve de l’humanité, c’est jusqu’à la lie. Le fumier fertilise, dit-on, l’homme y puise de quoi nourrir son imaginaire, édifiant des portraits fulgurants ou s’installant sur la longueur, des sketchs à l’ancienne, comme on dit, qu’il maîtrise parfaitement. Il est cet instructeur CRS au discours scandé et aux expressions creuses — « On m’écoute haut et fort ! », « Par ailleurs et de surcroît » — et prônant l’action ; la vieille mère acariâtre qui appelle sa fille pour l’agonir d’insultes. Qu’elle est odieuse ! « Mais qu’est-ce qu’on se marre », siffle-t-elle.

    Le tube du soldat Morales repris par la salle

    Il y a aussi ce vieux voisin avare, raciste et misanthrope — « Ah, cette misère, qu’est-ce qu’on peut y faire, on ne peut pas donner à tout le monde. Et puis, on ne sait pas où ça va. Alors, on donne rien à personne, comme ça, on sait où ça reste » —, le gay qui a couché avec les Allemands et qui sera tondu à la Libération — « On a pris cher pendant la guerre, enfin, pendant la guerre, après surtout » — qui va au ministère des Anciens Combattants pour voir s’il n’aurait pas droit à une pension pour ce qu’il a subi…

    Il enfile encore le costume d’un président de la République cynique à souhaits — « Nous sommes dans le même bateau, je tiens la barre et vous ramez » ; « Plus les riches sont riches, plus les miettes sont grosses » —, d’un évêque travesti fondant l’Association des travestis évêques belges, prononcez « l’ATEuB ». Mixant d’anciens sketchs et des nouveaux, il reprend des tubes, dont sa chanson sur le soldat Morales. En commençant par l’hommage décerné par son frère d’armes, « Toi qui l’auras trop bien z’aimée, et parfois même z’abusé, te voilà dedans la bière. Dors soldat Morales, dors dedans ta caisse ».

    Avant d’enchaîner sur la chanson elle-même, un classique que la salle reprend. « Morales, Morales… disparu t’au champ d’honneur pour sauver les trois couleurs (…), toi qui voulais voyager, te voilà z’éparpillé ». Des chansons, il en a d’autres, caustiques et grinçantes, scatologiques parfois aussi, Bénureau y allant parfois franco, débordant par moments sur le terrain d’un goût incertain.

    Gueules cassées et fêlés du casque

    S’affublant par moments de quelques perruques du plus bel effet, il se tord le corps et l’être pour faire naître ses personnages, diction accidentée, ou traînante, sifflante, la voix perchée ou grave, grinçante, un visage contracté de grimaces ou tout à fait relâché, multipliant les poses et postures, les démarches encore, on le voit tendu, énervé, arqué… Bénureau compose avec sa palette, riche, pour amuser de sa galerie de personnages.

    Ils sont vils ou tout bonnement stupides et lui permettent — même s’il assure toujours partir du personnage — d’aborder, en creux, des thèmes comme le consentement, l’écologie, la politique ou les violences policières. À l’écouter raconter ses horreurs, nous, on boit du petit-lait. Pas écrémé, ni même demi-écrémé, mais bien « entier », le titre de ce nouveau spectacle. Derrière l’outrance et la noirceur, se devine une certaine affection pour le genre humain, ses gueules cassés et ses fêlés du casque. À jouer ces tordus, lui, se montre génial.

    « Entier », de et avec Didier Bénureau, au Studio des Champs-Élysées (Paris VIIIe), du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 16 heures, 36 euros