Mort de Michel Bouquet : «Il était un repère, un père», confie Muriel Robin

Le comédien a été le professeur de Muriel Robin au conservatoire. C’était il y a 45 ans. Entre eux, une relation forte et amicale s’était nouée. L’actrice et humoriste rend hommage à son maître et ami, disparu ce 13 avril.

«Je me trouvais plus intelligente quand il me parlait», raconte Muriel Robin à propos de Michel Bouquet. LP/Fred Dugit
«Je me trouvais plus intelligente quand il me parlait», raconte Muriel Robin à propos de Michel Bouquet. LP/Fred Dugit

    Il a su voir en elle le talent qui ne demandait qu’à éclore, l’a guidée, épaulée, encouragée. Elle l’a appelé « Monsieur Bouquet » pendant 30 ans malgré leur amitié et elle ne l’aura tutoyé qu’à deux reprises, les deux dernières fois qu’elle l’a vu… Muriel Robin et Michel Bouquet avaient une relation singulière et forte. Profondément triste, la comédienne évoque le monument disparu ce 13 avril.

    Que vous est venu à l’esprit en apprenant la disparition de Michel Bouquet ?

    MURIEL ROBIN. Tellement de choses… Ça aurait fait 45 ans en septembre qu’on s’est rencontrés avec Michel Bouquet… C’est mon arrivée à Paris, le conservatoire où il entre la même année que moi. C’est notre connivence, le fait d’avoir une relation avec lui, particulière. Quelques mois avant, je n’ai pas ouvert un livre de ma vie, jamais mis les pieds au théâtre et au milieu de plein de jeunes peut-être plus formatés pour le conservatoire, c’est à moi qu’il s’intéresse… Alors on prend un café tous les deux, un peu à part, et on parle de théâtre, j’écoute, j’écoute… Je me trouvais plus intelligente quand il me parlait. J’étais flattée qu’il s’intéresse à moi. J’ai toujours vouvoyé Michel Bouquet. Je l’ai tutoyé les deux dernières fois que je l’ai vu, il en était d’accord. Mais je l’ai appelé Monsieur Bouquet pendant au moins 30 ans, je n’arrivais pas à l’appeler Michel. C’est un monstre sacré, un monument, un maître. Ce qui me vient aussi, c’est cet homme qui, quand j’ai voulu tout arrêter il y a 15 ou 17 ans, m’a dit : « Tu n’as pas le droit d’arrêter, ce que tu donnes aux gens, il faut continuer à le leur donner ». C’est arrivé deux fois. Après le conservatoire, déjà, je voulais rentrer à Saint-Étienne, il m’en avait dissuadée.



    Qui était-il pour vous ?

    Il me disait : « Je suis ton père de théâtre ». Mais quelqu’un qui décide de votre vie deux fois, c’est plus qu’un père de théâtre. Il était un repère, un père. Quand je le croisais après le conservatoire, je le remerciais toujours. Il me répondait : « C’est moi qui te remercie ». Ce qui a fondé notre histoire d’amour, d’amitié, je l’ai su après, c’est qu’il s’est senti moins seul avec moi. On s’est épaulés. Je n’aurais pu l’imaginer, mais il me l’a dit tellement souvent et sa femme aussi. Elle me l’a dit encore tout à l’heure quand je l’ai appelée. Il rentrait et parlait de moi, disant « heureusement qu’il y a Muriel, elle comprend ce que je dis ».

    Pourquoi ?

    Il parlait respect du texte, travail, humilité. C’est ce que m’avaient appris mes parents, c’était pile pour moi… Il va me manquer et manquer à la France. J’ai peut-être un peu plus de tristesse que les autres, mais je pense qu’il est vraiment entré dans le cœur des gens. Il était très loin de l’image de cette bouche pincée qu’on voyait dans les films où il jouait toujours les méchants. Il était rock, fou, d’une folie singulière, il était audacieux, pas du tout l’acteur bourgeois dont il avait l’air. Il sortait souvent des clous, mais dans la dignité. Il était passionnant. Il était tellement de choses… Et je le trouvais beau en plus, parce que quand on a tout ça, on est beau.

    Qu’avait-il perçu en vous ?

    Il disait que j’étais un talent brut… Il fallait que ce soit au moins lui qui me le dise pour que je supporte de l’entendre. S’il le dit, lui qui s’y connaît… Waouh ! Ça, ça donne de la confiance ! Les artistes doutent, tous, et moi je n’ai pas vraiment confiance en moi, je ne pense pas que du bien de moi. C’est très important quelqu’un qui vous choisit et vous élève comme il l’a fait. Dans les moments, et il y en a eu, où je n’étais pas choisie, je me sentais seule, je me consolais parfois en me disant : « Est-ce que ce n’est pas mieux d’avoir un seul Michel Bouquet qui te dit qu’il est ton père de théâtre et qui t’aime infiniment plutôt que beaucoup d’autres moins intéressants ? »

    Vous preniez régulièrement de ses nouvelles ?

    Bien sûr, je parlais régulièrement à Juliette (sa femme) et je suis allée le voir. C’est bien pour lui, que ça se soit arrêté, moins bien pour moi et pour beaucoup d’autres, j’imagine… Et puis, ce n’est pas si mal d’arriver à cet âge-là, les choses sont à leur place. Il était unique, et moi je fréquente peu de monde, très peu, alors quand il y en a un qui s’en va, il en reste moins à chaque fois. Il va rester avec moi, à chaque fois que je vais aborder un texte. Il est tout le temps avec moi Michel Bouquet, il est en moi pour toujours et je ne le remercierais jamais assez de m’avoir élue.