On est d’un livre comme on est d’un pays. On en connaît les avenues, les ruelles, les impasses. Ainsi, les proustiens, comme on appelle ces êtres foudroyés par la lecture des trois mille et quelques pages d’À la recherche du temps perdu, peuvent-ils se balader mentalement dans Combray que Marcel Proust (1871-1922) a imaginé et peuplé de ses personnages.
Pour les retrouver, ils viennent en pèlerinage dans cette bourgade d’Eure-et-Loir, berceau de la famille Proust, devenue, depuis 1971, Illiers-Combray après que le ministère de l’intérieur a permis que la fiction s’empare du réel. Ils savent qu’ils seront désappointés, mais s’en réjouissent.
La maison de tante Léonie, où le narrateur s’est « longtemps couché de bonne heure », se fissure par endroits. (Ici une première digression s’impose : les proustiens se disputent sur la question de savoir qui dit « je ». Certains l’appellent le narrateur, d’autres le héros, d’autres encore Marcel. On peut trouver la question subalterne.) On fait le tour du jardin en trente secondes. On grimpe le raidillon des aubépines en petites foulées. Désappointés mais pas déçus. La réalité est toujours moins séduisante que le désir qu’on en avait. C’est une des grandes lois du livre, donc de la vie. Ou vice versa.
C’est ici, dans ce village placide entre Beauce et Perche, que Patrice Louis a choisi d’habiter quand il est revenu en métropole après un long séjour aux Antilles et au Bénin. Nous avons rendez-vous, chez lui, dans une rue au nom de poète. Pendant cinq ans, au rythme d’un post par jour, il a tenu un blog dont le titre, Le fou de Proust, pourrait s’appliquer à tous ceux que nous allons croiser. Sa conversion est tardive.
« Proust m’a démasqué », dit l’un. « Il me ressemble », assure un autre. « Il parle de moi », dit un troisième.
Il raconte : « Sexagénaire et journaliste retraité, vivant à Cotonou, j’ai eu un jour un échange un peu vif avec Violette, mon épouse. Je suis parti bouder sur mon hamac, non sans m’être muni d’un livre. » Voilà des années qu’il trimballait, au gré de ses déménagements, les volumes de l’édition de « La Pléiade » d’À la recherche du temps perdu, sans jamais parvenir à dépasser la 100e page. « Ce jour-là, j’ai pris le premier tome avec moi et, paf, ça a marché. Je suis allé au bout. » Il se veut proustiste et non pas proustien. La différence ? « C’est comme entre les gaullistes et les gaulliens. Les premiers étaient les fidèles ; les seconds se prenaient pour lui. »
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