L’homme a 84 ans et en paraît quinze de moins. Sourire au coin des lèvres, langue déliée, œil pétillant, Michel Guérard est un phénomène. Un très grand chef qui en a formé et inspiré des centaines d’autres, mais qui respire toujours autant l’humilité et la générosité. C’est l’un des derniers fondateurs encore en vie, avec Paul Bocuse, Pierre Troisgros et Gérard Vié, de la fameuse « nouvelle cuisine », et le seul chef au monde, encore aux fourneaux, à pouvoir se prévaloir de quarante ans ininterrompus au firmament du guide Michelin, soit trois étoiles depuis 1977.
Car contrairement à bien d’autres de ses confrères, devenus désormais plus directeurs artistiques et businessmen que cuisiniers, il est toujours aux fourneaux. C’est sans doute cela qui impressionne d’emblée, quand on vient s’attabler chez lui, à Eugénie-les-Bains, son navire amiral des Landes : Michel Guérard est là, en tablier blanc et à l’œuvre, accueillant les clients, orchestrant sa brigade, goûtant à tout, se penchant sur les marmites fumantes et les poêles grésillantes. « J’aime créer des plats, peaufiner des sauces, des farces, des cuissons, explique-t-il ; c’est mon plaisir d’être en cuisine, pourquoi m’en priverais-je ? »
« Je voudrais que l’on mange mieux, et pas seulement dans les grands restaurants. » Michel Guérard
Il est comme ça, Michel Guérard : il a beau diriger, avec son épouse et éternelle complice Christine, ainsi que leurs deux filles Eléonore et Adeline, la plus grosse chaîne de médecine thermale de France (la Chaîne Thermale du Soleil), soit vingt stations essaimées sur tout le territoire, il continue de s’éclater avec les casseroles, les goûts, les mets et les produits. Peut-être en profite-t-il plus aujourd’hui que jamais, d’ailleurs.
Une philosophie libre et réjouie qu’il communique dans son dernier livre Mots et mets, paru en février aux Editions du Seuil (144 pages, 17 euros) – délicieux ovni culinaro-littéraire, où le cuisinier exerce sa plume agile et drôle, autour de 166 mots qu’il aime, d’une trentaine de recettes racontées, et de quelques pages-tranches de vie. L’ouvrage est à la fois tendre et impertinent, un poil désuet parfois, mais se lit et se savoure dans tous les sens, comme la cuisine et l’histoire de Michel Guérard.
Cuissons courtes et sauces légères
Né dans l’entre-deux-guerres à Vétheuil, dans le Val-d’Oise, près de Giverny, dans une famille d’éleveurs-bouchers, Michel Guérard rappelle volontiers l’héritage culinaire de sa mère et de sa grand-mère, qui préparaient notamment de merveilleuses tartes aux fruits, « monuments de gourmandise dont le secret résidait dans leur innocente simplicité » : une bonne pâte brisée ou feuilletée, des fruits bien mûrs du verger disposés par-dessus, un peu de beurre et de sucre cristallisé, et « hop au four ».
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