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Geneviève Fraisse : « Quand on parle d’identité, on oublie l’égalité »

En près d’un demi-siècle, la philosophe, spécialiste de la pensée féministe, n’a jamais craint d’être à contretemps. La nouvelle édition de « La Fabrique du féminisme » en témoigne à nouveau.

Par  (Philosophe et collaborateur du « Monde des livres »)

Publié le 25 septembre 2022 à 08h00, modifié le 25 septembre 2022 à 08h00

Temps de Lecture 6 min.

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La philosophe Geneviève Fraisse, à Paris, en 2021.

En voyant passer devant elle, en 2021, le mot « féminisme » dans le slogan d’une publicité placardée sur un autobus, Geneviève Fraisse a été saisie d’étonnement. La philosophe, chercheuse émérite au CNRS, a traversé des périodes « tellement désertiques », dit-elle pour décrire le champ des études féministes de ses débuts, que voir ainsi le « mot maudit » devenir presque à la mode ne pouvait que la frapper, comme elle le raconte en nous recevant chez elle, près de la gare de l’Est, à Paris.

Depuis près de cinquante ans, la spécialiste de la pensée féministe a l’habitude de pratiquer cette forme d’étonnement pour analyser ce qui se passe dans le mouvement des idées touchant le rapport entre les sexes, le droit des femmes ou la politique des sexualités. Comme le montrent la réédition augmentée de La Fabrique du féminisme et sa lumineuse préface inédite, sa pensée détonne, car elle n’est pas embarquée dans les véhi­cules les plus courants de l’opinion ni même entraînée sur les lignes les plus empruntées de la théorie féministe.

Elle vise en effet depuis les débuts de sa vie de chercheuse à produire des « généalogies » ou, mieux, à établir des « provenances », dit-elle en reprenant un terme de Michel Foucault. Ou encore à tracer des « lignées » dans lesquelles la geste féministe prend sens au-delà des surgissements soudains, des vagues limitées dans le temps, ou encore du catalogue des femmes d’exception où puiser éventuellement l’inspiration pour baptiser une station d’autobus. Voilà pourquoi, tandis qu’elle entre au CNRS, en 1983, elle choisit d’écrire sur une philosophe inconnue du XIXe siècle, Clémence Royer (La Découverte, 1985), autodidacte mais non moins traductrice et critique de Darwin, qui n’eut jamais la chance de pouvoir vivre de sa recherche.

« L’historicité, mon seul combat »

L’autrice des Femmes et leur histoire (Folio, 1998) nomme cette attention aux liens diffractés dans le temps « l’historicité ». « Mon seul combat », dit-elle en guise de synthèse au sujet de ce concept faussement simple. « “Historicité” ne ­signifie pas seulement qu’il y a une histoire des femmes », précise celle qui dirigea, avec l’historienne Michelle Perrot, le quatrième volume, consacré au XIXe siècle, de l’Histoire des femmes en Occident (Plon, 1991), cette série d’ouvrages qui marqua une évolution historiographique majeure dans le domaine.

Se plaçant sous l’angle de l’épistémologie, cette branche de la philosophie qui réfléchit aux conditions rendant une connaissance possible, Fraisse explique : « “Historicité” signifie que, pour comprendre ce qui a trait à la différence des sexes, il faut l’inscrire dans l’histoire et non la renvoyer à des invariants qui existeraient “de tout temps”. Mais cela signifie aussi, à l’inverse, que, pour comprendre l’histoire, il faut l’inscrire dans la différence des sexes, car les sexes, aussi, font l’histoire. » Par exemple, on comprend mieux l’histoire de la démocratie si, derrière tout « contrat social », on met au jour le « contrat sexuel » implicite, selon un terme de la politologue britannique Carole Pateman, que Geneviève Fraisse a fait traduire en français.

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