Il aime bien les rez-de-chaussée, Olivier Cadiot, surtout quand on peut voir des arbres par la fenêtre. Le sien, par exemple, juste en face du parc des Buttes-Chaumont, à Paris : un grand appartement tout en longueur, avec un immense couloir et un salon plein de soleil. C’est bien, dit-il, « cette impression d’avoir les pieds directement sur la terre ». On dirait que le contact avec le sol le rassure. Que ça lui permet de fixer les idées, les phrases, les souvenirs qui volettent autour de lui comme des papillons. A 64 ans, Cadiot n’a pas la sagesse de ses cheveux blancs. Il vit en plein feu d’artifice, avec cent idées à la minute et une pensée arborescente. Son quatorzième livre, Médecine générale, est d’ailleurs une sorte de volcan sans cesse en éruption, donc un casse-tête pour le critique. Comment parler d’un texte pareil ? Pour le lecteur, en tout cas, un conseil : ne pas résister, accepter de perdre pied. A trois, vous lâchez les bords et vous vous laissez emporter – vous verrez, c’est un délice.
Derrière les étincelles qui jaillissent de chaque page, il y a bien une histoire, même si elle émerge très progressivement. Celle d’une petite troupe, trois personnes, réunie presque par hasard dans une maison à moitié en ruine pour refaire le monde. Ou, plutôt, le défaire. Se débarrasser de l’excès de tout. De « cette mélasse de choses et d’êtres » qui provoquent un lancinant sentiment d’incompréhension, « d’ignorance ». En avant, donc ! « On essaie de tout enlever autour pour voir les choses en face », ordonne le narrateur, qui prétend créer « une nouvelle religion ». Sauf que ça ne marche pas, bien sûr. C’est même le contraire. Plus il est question de dépouillement, d’ascèse, plus le texte explose, plus il se déchaîne. Ça s’infiltre de partout, ça dégringole de paragraphe en paragraphe, ça finit par former un gigantesque kaléidoscope, où les images et les mots se recomposent à l’infini.
Arbre généalogique
A l’origine de cette valse folle, entre trop-plein et hantise de l’oubli, il y a sûrement une époque, la nôtre, bourrée à ras bord d’informations vouées à disparaître. Dans de précédents ouvrages, l’écrivain mettait déjà en scène son héros récurrent, Robinson, un monsieur je-sais-tout bouffé par l’angoisse de ne plus savoir. Mais, plus discrètement, ce penchant pourrait prendre sa source dans la vie même de l’auteur. Issu d’une famille protestante du Sud-Ouest, Olivier Cadiot n’a qu’à lever la tête pour voir des grappes de personnages romanesques dans son arbre généalogique : un espion, des militantes féministes en 1848 et même un mage, Eliphas Lévi, figure de l’occultisme au XIXe siècle – sans compter « une tripotée d’apprentis écrivains ». En soi, rien d’accablant, mais les choses se compliquent quand cette parenté se transforme en injonction d’écrire.
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