L'écrivain Christian Gailly est mort, le vendredi 4 octobre, à la suite d'une infection pulmonaire. Auteur de quinze livres, il laisse une oeuvre (publiée aux Editions de Minuit) marquée par un mélange de virtuosité littéraire et d'autodérision. En quatrième de couverture de son premier ouvrage, Dit-il, publié en 1987, on pouvait lire cette phrase éclairante, écrite par lui-même : "Christian Gailly, né le 14 janvier 1943, a manqué sa naissance, ses parents, enfances et adolescences, études, service militaire, mariage, enfants et tous ses premiers romans."
Son aventure avec l'écriture est pourtant venue sur le tard. Car Christian Gailly a d'abord rêvé plusieurs vies. Né à Paris pendant l'Occupation, à Belleville, au sein d'une famille modeste, le jeune garçon, dès l'âge de 10 ans, ne pense qu'à une chose : devenir aviateur. Mais il est bien trop myope pour concrétiser ce rêve. Plus tard, à l'âge de 16 ans, son père lui offre un saxophone ténor. Sous l'influence de Charlie Parker, il veut devenir jazzman, métier qu'il exercera un temps, mais qu'il finira par abandonner : cette activité est peu rentable et il doute bien trop de lui.
A l'image de ses personnages irrésolus, Christian Gailly échoue, mais recommence toujours. Après avoir été technicien chauffagiste, il ouvre un cabinet de psychanalyste, mais il est bientôt obligé de le fermer, car personne ne lui rend visite. Cette expérience psychique ne sera cependant pas totalement vaine. Sous l'influence de son propre analyste, il trouve enfin sa voie définitive : la littérature. "Je me souviens d'une séance où j'en faisais peut-être un peu trop, mon thérapeute m'a dit : "Vous devriez écrire." Je pense que c'est ainsi que je suis devenu écrivain", confiait-il à Libération, en janvier 2002.
Sa conversion à l'écriture prend alors une place obsédante dans sa vie d'homme. Sa maison de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) devient son atelier d'écriture. Il y écrit sans relâche, convoque la mémoire de ses maîtres (Thomas Bernhard et Samuel Beckett) qui l'aident à affirmer un style et à raconter ses histoires. Christian Gailly pressent que l'écriture est désormais du côté de l'épreuve. "En s'inventant une vocation de créateur, par la force du travail, on se place dans un espace de solitude totale : c'est pratiquer l'art au péril de sa vie et il n'y a plus de compagnie possible", confiait-il au Monde en décembre 2009. En 1985, la rencontre avec Jérôme Lindon, créateur et directeur des Editions de Minuit, est décisive : Christian Gailly s'attriste de n'avoir aucune imagination, l'éditeur l'encourage alors à raconter ce qui se passe dans son environnement immédiat. Christian Gailly s'exécutera.
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